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Colère et consternation

lundi 23 octobre 2023, par Denis COLLIN

Je suis en colère et je suis consterné. Je suis en colère quand je vois tant de groupes, partis et personnalités qui feignent de ne rien comprendre à ce qui se trame entre Israël et le Hamas et apportent un soutien ouvert ou hypocrite aux assassins du Hamas. Je suis consterné de voire l’évolution d’une certaine gauche incarnée par Mélenchon, mais aussi d’autres groupes de moindre importance, y compris certains secteurs de la CGT.

Je suis en colère et consterné par ces gens qui, aujourd’hui, se vautrent dans la fange. Dire que j’ai voté trois fois pour que Mélenchon devienne président !

On peut discuter pendant 107 ans de la légitimité de l’existence de l’État d’Israël, puisque c’est ça qui est en question. Mais la question du sionisme a été tranchée depuis la « nuit de cristal » (9-10 novembre 1938), depuis qu’il est devenu évident même pour les aveugles que Hitler mettrait en œuvre son projet d’élimination des Juifs d’Europe, et que les autres pays d’Europe étaient disposés à le laisser faire — une bonne partie de la classe dirigeante britannique, à commencer par l’éphémère roi Édouard VIII, était connue pour ses accointances avec les dignitaires nazis. L’extermination des Juifs d’Europe, aussi bien d’Europe occidentale que de Pologne ou d’Ukraine tranche définitivement la querelle du sionisme parmi les Juifs. On pourrait revenir sur l’histoire détaillée de l’installation des Juifs sur cette terre qu’on avait à nouveau appelée Palestine et on y verrait que les choses sont très compliquées et que les torts sont loin d’être tous du côté des Juifs qui ne sont pas les horribles colons dont parle l’extrême gauche. Le refus arabe de l’existence d’Israël a conduit une première guerre qui aboutit à la « nakba », c’est-à-dire au grand exode des Palestiniens. Malheur aux vaincus ! Mais loin de chercher une solution à ce drame — désormais deux peuples revendiquent la même terre, les États arabes refusent de reconnaître Israël et engagent deux guerres contre l’État hébreu, 1967 et 1973, toutes les deux perdues. Telle est la réalité historique. Les accords de Camp David qui ont ouvert la voie à la création de l’Autorité palestinienne entrouvraient une issue pacifique : deux États vivant côte à côte dans la paix et même la coopération. Mais cette issue s’est brutalement refermée, avec l’assassinat du Premier ministre Rabin, par un extrémiste juif, puis l’immigration massive en provenance de Russie, changeant largement la composition de la population israélienne, mais aussi les victoires électorales successives de Netanyahou avec la politique d’implantation des colonies et de harcèlement des Palestiniens. Pour parachever le tableau, le Hamas devient un acteur majeur — soutenu en sous-main par les gouvernements d’Israël qui voient dans ce mouvement islamique — non nationaliste palestinien — un bon moyen de marginaliser le Fatah et l’OLP, cette dernière étant une organisation non confessionnelle. Pourtant, tout le monde le sait, il n’y a pas de solution sans négocier avec les Palestiniens et la Jordanie pour la création d’un État palestinien, ce qui implique le démantèlement d’un certain nombre de colonies. Comme d’ailleurs l’avait fait son Ariel Sharon — qu’on ne classera pas parmi les pacifistes mous.

Ce contexte rappelé, nous sommes face à une situation terrible après l’agression du Hamas le 7 octobre. Le Hamas est un parti non pas palestinien, mais religieux fanatique, très proche en réalité de Daesh ou de Al Qaida dans l’idéologie comme dans les méthodes — même si les « protecteurs » sont différents. Son but n’est pas l’indépendance d’un État palestinien, mais la restauration du califat. Prolongement des « Frères musulmans », soutenu par le Qatar et l’Iran et certainement la Turquie, ce mouvement se fixe l’objectif de la destruction pure et simple de l’État d’Israël. Il n’est pas étonnant qu’Israël réagisse comme n’importe quel État dans sa situation. On ne va pas exiger de l’État hébreu une vertu supérieure à celle des autres États.

L’opération menée par le Hamas contre les kibboutz du sud d’Israël est clairement une opération génocidaire. Le Hamas n’a pas attaqué des installations stratégiques ou militaires d’Israël, mais des kibboutz très anciens pour la plupart et occupés souvent par des gens encore fidèles à l’esprit du kibboutz et partisans de la paix. Il a attaqué des femmes, des enfants, des vieillards, a enfermé les uns pour mettre feu à leur maison, éventré les autres, et finalement effectué une razzia comme celles que faisaient les pirates mauresques voici quelques siècles. Mettre les représailles de l’armée israélienne sur le même plan, c’est encore entretenir la confusion la plus terrible. Comme si les bombardements anglo-américains sur Dresde, Hambourg ou Berlin étaient à mettre sur le même plan que l’entreprise nazie. Ces terribles bombardements, d’ailleurs, mériteraient aussi d’être discutés. Les représailles israéliennes pourraient d’ailleurs être parfaitement contre-productives, obligeant les gazaouis à faire bloc avec le Hamas – comme les Allemands, jusqu’au dernier moment, ont fait bloc avec l’État nazi.

Par son idéologie et par ses pratiques, le Hamas est une organisation qui ne peut guère se comparer qu’aux nazis. Dans ces conditions, voir un certain nombre de personnalités et d’organisations en France et en Europe apporter un soutien critique au Hamas, qualifié d’organisation de résistance des Palestiniens est tout bonnement effarant. Les déclarations de Mme Panot, qui reprend sans sourciller la propagande du Hamas, celles de Danièle Obono et finalement la position du « chef suprême » Mélenchon devraient faire rougir de honte tous les militants de LFI qui est en train de confirmer ce que certains de ses adversaires disent d’elle : LFI, c’est La France Islamiste. En tout cas, moi j’ai honte de n’avoir pas mesuré plus tôt à quel point le cynisme et l’arrivisme de ce mouvement sans principes et sans morale nous préparaient le pire. Mélenchon était l’ami de Chavez qui était l’ami d’Ahmadinejad, le président iranien de l’époque. Voilà qui aurait dû nous alerter ! comme aurait dû nous alerter le mépris de plomb de ces gens pour la simple démocratie. LFI fait passer le PC de l’époque stalinienne pour un parti démocratique.

On peut penser que ces gens misent sur le soutien des islamistes pour des raisons électorales. L’un des leurs, l’islamiste militant Taha Bouhafs a déclaré que les banlieues (entendez les banlieues islamisées) seront les faiseurs de roi. Ce calcul repose sur un pari stupide : les musulmans seraient voués à être islamistes. Comme préjugé raciste, on ne fait pas beaucoup mieux. Dès qu’ils réussissent socialement, et cette réussite est plus fréquente à niveau social équivalent que pour les jeunes « Français de souche », les musulmans ou prétendus tels essaient de sortir de ces quartiers. La mobilité de la population de la Seine–Saint-Denis l’atteste. Les radicalisés ont du poids tant qu’ils contrôlent leurs territoires, les territoires perdus de la République, et tant qu’ils peuvent compter sur la couardise et le clientélisme des équipes municipales. Ajoutons que, dans ces quartiers, ils disposent souvent de l’appui matériel et financier des gangs de trafiquants de drogue. Il est vrai que, par réflexe communautaire, la majorité silencieuse musulmane peut hésiter à se désolidariser de la racaille, d’autant plus que tout est fait par les politiques de tous bords pour communautariser la politique. Le calcul électoral de LFI est donc non seulement dégoûtant moralement, mais débile politiquement.

Remettons les points sur le « i ». Dénoncer le Hamas et l’islamisme en général, ce n’est pas faire preuve de « racisme antimusulman » ou « anti-arabe ». Les musulmans ont souvent été les premières victimes des islamistes. En Algérie entre 1992 et 2002, la guerre civile menée par le FIS (Front islamique du salut) a été une guerre contre la population civile algérienne. En dix ans, les violences font entre 60 000 et 150 000 morts, ainsi que des milliers de disparus, un million de personnes déplacées, des dizaines de milliers d’exilés et plus de vingt milliards de dollars de dégâts
. En Afrique subsaharienne, les groupes terroristes islamiques s’attaquent aussi aux musulmans qui ne veulent pas les suivre. Ils contrôlent des régions entières par la terreur. Daesh a mené la guerre contre les musulmans chiites en majorité. Partout où les islamistes sont assez influents, il n’y a plus de liberté, sous quelque forme que ce soit. Qui voudrait vivre en Afghanistan sous de règne des talibans ? Le Hamas a été un parti anti-palestinien efficace. Ainsi un rapport d’Amnesty International, publie un rapport intitulé « Enlèvements, tortures et exécutions sommaires de Palestiniens par le Hamas durant le conflit israélo-gazaoui de 2014 », dans lequel était détaillée une série de violations, incluant notamment les exécutions extrajudiciaires de 23 Palestiniens. Certains d’entre eux étaient des membres du parti rival Fatah, le Hamas ayant profité du chaos pour éliminer des rivaux : « Dans le chaos du conflit, le gouvernement de facto du Hamas a donné carte blanche à ses forces de sécurité pour commettre de terribles abus, notamment contre des détenus se trouvant sous sa responsabilité. Ces agissements, dont certains constituent des crimes de guerre, avaient pour but d’obtenir vengeance et de répandre la peur à travers la bande de Gaza. »

Ajoutons qu’il est surprenant et même choquant de voir notre « gauche » voler au secours de groupes qui furent à l’origine soutenus, armés et financés par l’impérialisme américain. Le FIS était un prolongement de l’Arabie Saoudite avec la bénédiction de l’oncle Sam très heureux de pouvoir évincer la France de ses positions en Afrique. Les talibans furent une création américaine, tout comme Al Qaida… et le Hamas soutenu par Israël. Que les « idiots utiles » (à qui ?) de LFI refusent de voir ça, c’est à désespérer de tout.

Terminons sur l’avenir. Une fois le Hamas et l’islamisme clairement dénoncés, il n’est pas nécessaire cependant de devenir un soutien inconditionnel de l’État d’Israël. Il s’agit seulement de défendre le droit à l’existence d’Israël dans des frontières sûres. De ce point de vue, comme l’a remarqué le journal Haaretz, la politique des colonies fragilise Israël. Le refus de rendre justice aux Palestiniens a déjà rejeté une partie d’entre eux dans le camp islamiste et peut menacer directement la sécurité des Israéliens. Plus que jamais, le seul mot d’ordre est « la paix maintenant », même si on doute d’être entendu dans le vacarme des crimes et des bombardements.

Quand les hiérarques macronistes (présidente de l’Assemblée en tête) suivant Ursula von der Layen parlent de soutien inconditionnel à Israël et n’évoquent même plus les positions traditionnelles de la France et de l’UE ils ne font de remettre de l’huile sur le feu. Leur position est un vrai scandale politique. Il ne saurait y avoir de soutien inconditionnel, ni de soutien conditionnel d’ailleurs. Il faut réaffirmer 1) le droit d’Israël a exister en paix et 2) le droit des Palestiniens à avoir leur propre État sur une territoire continu et non sur morceaux de territoires que leur laisse la colonisation. En prenant parti « inconditionnellement » pour l’Israël de Netanyahou, les dirigeants européens s’interdisent d’œuvrer pour la paix et discréditent toute politique étrangère indépendante. Pensez : il a fallu que ce soit Biden qui mette les Israéliens en garde contre les excès ! Encore une, c’est désespérant.

Le 23 octobre 2023

Denis COLLIN