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Encore décrypter le FN

lundi 16 avril 2018, par Jean-Paul DAMAGGIO

Je viens de recevoir le n°47 des Zindigné.e.s qui comme toujours apporte son lot de réflexions et d’analyses utiles. J’ai la surprise de découvrir à la lecture de l’article d’André Koulberg [1] sur le FN que je peux être au départ en total désaccord, et en total accord avec lui, à la conclusion.

Suivant une idée bien connue, pour analyser le FN il faut le décrypter c’est-à-dire ne pas prendre au pied de la lettre ses propositions : « Le FN n’a cessé de construire des rhétoriques très élaborées pour dissimuler la réalité radicale de ses positions et présenter une façade respectable qui, seule, pouvait lui ouvrir les porte d’une politique de masse. ». L’auteur donne ensuite quelques exemples pour conclure ainsi : « Ce sont les dysfonctionnements de la société française, les relais que le FN y trouve, ou pas, qui sont à l’origine de ses succès, et de ses échecs. »

Or, par exemple, l’auteur démontre que quand le FN défend la laïcité ce n’est pas la laïcité, et il appelle ça du décryptage. En fait si le FN a pu s’emparer du combat laïque, c’est suite à ce qui me semble un dysfonctionnement de la société française, à savoir l’abandon par la gauche de ce combat là.

Quand la gauche abandonne le combat social, le FN s’empare du combat social et j’en conviens là aussi avec André Koulberg ce n’est pas le véritable combat social, mais pas parce que le FN veut se masquer, se cacher, mais parce que ses adversaires lui laissent le champ libre [2].

Le FN a donc ce mérite : son existence, qui permet à des millions de français de ne pas déserter les urnes, est comme l’alerte que vous avez sur le tableau de bord de la voiture et qui vous indique que vous allez tomber en panne d’essence.

Le voyant en question n’est pas une illusion, ce qui ne signifie en rien que je me rallie à ceux qui partagent la poire en deux en disant : le FN soulève de vrais problèmes mais apporte de mauvaises solutions. Il existe toujours une dialectique entre analyse et solution donc si les solutions sont mauvaises c’est que l’analyse l’est tout autant.

Etudier l’évolution du FN est nécessaire pour, en regard, suivre la décomposition de la vie politique nationale (manifeste chez les adversaires souvent les plus résolus du FN !), celle de la gauche qui une fois au pouvoir a déçu, celle de la droite qui cherche seulement à copier le FN alors que l’original est toujours meilleur que la copie.

A partir du moment où l’analyse pointe surtout les dysfonctionnements de la société, il est facile de comprendre que le FN n’est pas seulement un révélateur de l’état de la société française mais que les mêmes causes produisant les mêmes effets, l’élection de Trump provient elle aussi de maladies sociales communes.

Comme souvent, la France a été à l’avant-garde d’une évolution qui se généralise partout avec des forces d’extrême-droite de plus en plus dynamiques. Au départ le FN a copié sur le MSI italien, mais à présent c’est La Ligue qui, cessant d’être seulement Ligue du Nord, est devenue une copie du FN ! [3]

Qu’est ce qui dans nos sociétés sert de relais volontaire ou involontaire au FN ? Pas seulement les médias mais plus fondamentalement le fonctionnement actuel des grands médias. Or ce fonctionnement est lui-même révélateur de la mutation que vient de connaître le capitalisme. Pendant des décennies le capitalisme a suivi une évolution linéaire : il a élargi son champ d’intervention en s’appuyant sur les Etats comme organisme régulateur. Il existe une grande crise en 1929, le pouvoir aux USA invente le New Deal. Il existe une grande guerre mondiale et en 1945 les Etats élaborent des stratégies de reconstruction. Etc. Le tout pour en arriver à ce que certains ont appelé : le capitalisme monopoliste d’Etat. Dans ce cadre les médias avaient une dimension publique qui fait qu’en France la télé pouvait proposer « les dossiers de l’écran » tout en étant aux ordres du pouvoir d’Etat. Aujourd’hui les grands médias sont d’abord de grandes entreprises aux mains des multinationales (et c’est vrai de facebook etc.).

Depuis les années 80 la force des multinationales est devenue telle que nous allons vers un capitalisme monopoliste sans Etat ! Attention, je ne viens pas d’écrire que Reagan a pratiqué le laisser faire, laisser aller, pas du tout ! Les Etats restent des puissances plus considérables que jamais mais qui ne fonctionnement plus en tant qu’Etat mais en tant qu’entreprise ! (je ne dis là rien de nouveau)

Cette mutation et ses conséquences sur les esprits n’ont pas été analysées et combattues avec les moyens adaptés aux temps actuels et dans ce vide, l’extrême-droite s’est engouffrée.

Je prends l’exemple bien connu des services publics en tant que services de l’Etat. Toute la lutte sociale est devenue une « défense » des services publics quand jusqu’en 1968 on assistait à une promotion des dits service or l’heure est à une réinvention de leur nature, de leur fonctionnement, de leur objectif. L’auteur nord-américain James Petras a depuis longtemps appelé les forces démocratiques à cet effort (avec des propositions concrètes) mais sans succès [4]. L’actuelle grève des cheminots, ultime forteresse assiégée, est héroïque, mais ne cherche en rien, à aller vers des services publics non productivistes par exemple. Tant que nous ne saurons pas comment remettre du carburant dans la voiture, la jauge va rester au rouge et souhaitons qu’on ne finisse pas en panne sèche.


[1Auteur du livre Le FN et la société française : l’extrême droite banalisée, éditions Utopia

[2J’ai moi-même publié : Le F.N. et les paradoxes d’hier et de demain, trente ans d’études à partir du cas du Tarn-et-Garonne, 318 pages, 19 euros, 2017

[3En son temps Berlusconi a été à l’avant-garde pour recycler les droites du monde mais elles aussi sont au plus mal.

[4La Face cachée de la mondialisation, l’impérialisme au XXIe siècle, Editions Paragon, 2001