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Brexit : sortir de l’UE mais pour faire quoi ?

revue de presse du 6 février

jeudi 6 février 2020, par Antoine BOURGE

Une majorité de commentateurs de tout poil semblaient se délecter depuis le 23 juin 2016 de la catastrophe imminente qui ferait sombrer le Royaume-Uni, et, pensaient-ils, obligerait ses gouvernants à trahir le vote du peuple. Toutefois l’histoire semble s’écrire autrement...

• Damien Pelé dans Challenges paru le 31.01.2020 « Brexit : pourquoi faut-il préférer les actions anglaises aux européennes ? » interroge un investisseur qui explique ceci : « Dans la presse européenne, il y a une approche quasi-théologique du Brexit, comme un combat entre le Bien (l’Union européenne) et le Mal (le Royaume-Uni). C’est oublier que la première raison qui a poussé les Anglais à voter pour le Brexit, c’est le sentiment de fracture sociale du pays et l’envie d’y remédier en privilégiant l’économie nationale. » On sort ainsi du prêchi-prêcha officiel où les Brexiters (favorables au Brexit) sont systématiquement dépeints comme des xénophobes incultes et irrationnels et la question d’un projet politique réactualise les raisons qui ont poussé les britanniques à sortir de l’UE.

• Dans l’article « Ce soir, je quitte l’Europe » de Joseph Confavreux, paru le 31 janvier 2020 dans Médiapart sont présentés divers positionnements face au Brexit : un élu proche de Corbyn souligne le besoin d’immigrants pour combler le manque de personnel dans le domaine de la santé, un partisan de UKIP appelle de ses vœux « le contrôle [des] politiques migratoires [au Royaume-Uni] », et une britannique arrivée de Jamaïque en 1955 déplore l’augmentation des réactions racistes. Le pays reste donc focalisé sur la question de l’immigration telle qu’elle est posée par UKIP, ce qui crispe le débat, mais c’est aussi du côté du Labour que se situe le problème car le parti qui représentait traditionnellement les classes populaires a systématiquement botté en touche.

• C’est précisément le sujet de l’article de Chris Bickerton publié dans le Monde Diplomatique de février 2020, « Pourquoi le Labour a perdu. Au R-U, Jeremy Corbyn pris au piège du Brexit ». La manchette est assez éclairante : « « Ce n’est pas la défaite d’un homme, mais d’une idéologie ! » Pour l’ancien ministre T. Blair, l’échec du Parti travailliste lors des élections générales du 12 décembre 2019 s’expliquerait par un programme trop radical. Il existe une autre analyse du scrutin, qui cerne sans doute mieux les difficultés auxquelles se trouve confrontée la gauche britannique. » La base sociologique du Labour a changé, les ouvriers ont laissé leur place depuis le tournant Blair à de jeunes urbains diplômés portés sur les questions sociétales (antiracisme, transgenrisme, …) plutôt que sur des questions sociales et le Brexit a été abordé de façon très ambiguë par Corbyn (« soumettre un éventuel accord avec l’UE à un second référendum, dans lequel il aurait été possible de voter contre la sortie. ») En définitive T. Blair a bien raison sur un point : la synthèse est impossible entre des intérêts de classe opposés au sein du Labour, et les compromis hasardeux en l’absence d’une ligne idéologique et politique claire ont conduit le Labour à sa perte, et ce à l’instar des partis socialistes européens. Le Brexit n’est un piège que pour les thuriféraires d’une Union Européenne qu’il faudrait sauver au mépris des peuples de même que ces mêmes européistes soutiennent la moralisation, chimérique, du capitalisme. Corbyn n’était pas le « radical » qu’on voulait nous présenter...

• Sur ces questions deux articles parus dans Marianne apportent un éclairage qui vaut le détour. Le premier est un entretien relaté par Hadrien Mathoux et publié le 31 janvier 2020, « Entretien avec David Goodhart, l’homme du clivage entre les "gens de n’importe où" contre le "peuple de quelque part" ». Les « gens de n’importe où », les anywhere, correspondent aux élites mondialisées tandis que le « peuple de quelque part », les somewhere, rassemble les classes sociales qui évoluent à l’échelle locale. Cette grille de lecture permet à Goodhart de poser la question suivante : « Les travaillistes peuvent-ils résoudre la contradiction entre leur vocation de représenter la working class britannique et le fait que leur personnel est quasiment exclusivement composée de personnes "anywhere" ? » – l’échec retentissant du Labour y répond sans appel. Vers quels autres organes représentatifs vont se tourner les électeurs déçus ? UKIP, la gauche radicale et... les Tories ! Mais comme le souligne l’entretien : « Les conservateurs pourraient avoir des difficultés à plaire à la fois à leur nouvelle base électorale populaire du Nord et des Midlands, qui demandent un haut niveau de dépense publique, de bons services publics et beaucoup de redistribution, et à leur base traditionnelle aisée du Sud de l’Angleterre qui désire des impôts faibles et un Etat relativement limité. »

• Pour le moment Johnson vogue sur sa capacité à mettre en œuvre le Brexit et à faire respecter la décision de la démocratie parlementaire britannique. C’est l’objet d’un billet de Frédéric Farah paru dans Marianne le 31 janvier 2020, « Brexit : les Britanniques montrent la voie, quand l’Union européenne est à contre-courant de l’Histoire ». Farah affirme très justement : « Malgré plus de trois ans et demi de rebondissements, de tensions, le vote britannique a été respecté. La mise en œuvre du Brexit est l’anti-référendum de 2005 en France. En rien, cela signifie qu’il existe un consensus dans la société britannique sur le sujet, mais l’expression populaire n’a pas été foulée. » Il pointe du doigt certains choix politiques de Johnson qui dérouteront les commentateurs attachés aux étiquettes du prêt-à-penser politique : « Boris Johnson a compris aussi la nécessité de rompre avec une austérité qui a mis à mal le Royaume-Uni, s’il veut donner un avenir au Brexit. Le salaire minimum a été relevé, l’État reprend aussi la main sur certains biens publics en engageant un début de renationalisation des chemins de fer. Il reste à voir jusqu’à quel point, il consent à finir avec le legs thatchérien. » C’est bien l’inconnue qui se situe dans la dernière partie de la citation qu’il faudra surveiller de près. Le billet fait le parallèle avec la situation de tutelle dans laquelle se trouve la Grèce par rapport à l’UE et cela permet de souligner avec encore plus de vivacité l’horreur politique, économique et sociale que représente l’UE contre les peuples et donc la soumission qu’il faut à tout prix rejeter.

• Ludovic Lamant, dans son article du 29 janvier 2020 « Avec le Brexit, l’UE devient démontable » publié sur le site Médiapart, le risque de contagion « -XIT » dans les autres pays d’Europe est pointé du doigt. « Alors que le préambule du traité de Rome parlait d’une « union sans cesse plus étroite entre les peuples européens », la sortie du Royaume-Uni de l’UE prouve qu’il est possible de déconstruire l’Europe. Mais le risque de propagation est-il crédible ? » La construction européenne qui était perçue comme un « processus irréversible » a progressivement perdu ses fondations populaires. Il ne faut pas longtemps pour s’en convaincre quand on sait comment les statistiques de l’Eurobaromètre, qui affichent régulièrement une adhésion assez haute des Européens aux orientations politiques de l’UE, sont tout à fait contestables sur le plan méthodologique et défient la réalité. D’ailleurs le terme « irréversible » étonne par sa proximité avec le « there is no alternative » de M. Thatcher.

• Dans l’Humanité du vendredi 31 janvier 2020, dans l’article de Thomas Lemahieu « Avec les Tories, ce n’est qu’un au revoir, hélas ! » on trouve cette remarque juste qui dénonce la duplicité des Tories tantôt promoteurs des politiques ultra-libérales tantôt réticents à certaines avancées sur le plan des réglementations plus favorables aux travailleurs : « le Royaume-Uni quitte ce vendredi une Union européenne (UE) que les conservateurs au pouvoir à Londres ont eux-mêmes largement façonnée. En vérité, le monstre néolibéral et antidémocratique qu’ils laissent désormais courir à sa propre perte, c’est aussi le leur (…) ». Le masque va-t-il tomber dans les semaines ou mois à venir pour laisser à nouveau une majorité des déclassés sur le bas-côté ?

• Pour l’instant c’est quand même au Royaume-Uni que certaines mesurent sociales passent alors qu’en France, Hollande puis Macron et Philippe rivalisent de cynisme contre les classes laborieuses. « Smic anglais : quand le conservateur Johnson fait plus pour les salariés pauvres que le socialiste Hollande » par Franck Dedieu, publié le 1er janvier 2020 dans Marianne. Certes le SMIC anglais ne dépasse que de quelques centimes le SMIC français mais l’effort consenti est significatif : « Le haut clergé social-démocrate en perdrait son latin. Boris Johnson, présenté par les prélats de la gauche bruxelloise en brexiter « néolibéral », « antisocial », « ultra-individualiste » et autres épithètes dérivées du thatchérisme bas du front, vient de prendre les persiffleurs à leur propre piège. A son initiative, le salaire minimum augmentera de 6,2% en avril prochain. Un coup de pouce remarquable, cinq fois supérieur à la hausse automatique consentie aux Français par décret en ce début d’année (+1,2%). »

Un dessin de Tom dans Trouw, Amsterdam, est reproduit dans l’édition du Courrier International du 30 janvier au 5 février. C’est une caricature de l’Europe, une vieille femme corpulente en béquilles, échevelée, les bras écorchés et couverts de pansements, robe bleue usée aux couleurs du drapeau européen, la mine morne et le nez rouge, deux pansements sur le visage. La caricature de gauche porte le titre « Europe with the Britons » et celle de droite, identique en tout point, porte la mention « Europe without the Britons ». L’UE changera pourtant sans les Britanniques car la sortie d’un acteur majeur pourrait donner des idées de liberté hors du carcan des traités et institutions rejetés. L’UE sera sociale et pour les peuples ou ne sera pas... démocratique.

Le 6 février 2020
Antoine Bourge

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