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Evo Morales dans Brecha

lundi 17 février 2020, par Jean-Paul DAMAGGIO

En France Evo Morales a un défenseur très intelligent que je lis souvent et depuis longtemps, Maurice Lemoine. Je l’ai même invité à animer un débat à Montauban il y a quinze ans. Il utilise une vieille ficelle que j’ai connue autrefois quand toute critique de l’URSS signifiait un cadeau à l’impérialisme. Aujourd’hui toute critique des sociaux-démocrates d’Amérique latine vous classe, à ses yeux, dans le camp de Libération et ses acolytes. Il indiquera chaque fois que tout n’était pas parfait dans la politique de Morales, mais sans analyser les imperfections.

Aujourd’hui, la presse latino-américaine ne manquant pas de journaux audacieux, voici en Uruguay l’hebdo Brecha et le cas Morales. Savoir que Fabián Kovacic a interrogé l’ex-président Evo Morales m’est apparu réjouissant et je n’ai pas été déçu (article accessible seulement sur le site Rebelion).

Ce journal insolent n’a évité aucune question qui fâche.
Commençons par celle concernant le référendum perdu de 2016 qui fait que Morales ne pouvait pas se représenter vu que la Constitution n’a pas pu être modifiée. L’ex-président répète une musique connue : « Dans ce référendum c’est le mensonge qui a gagné ! » Et il insiste : « Ma candidature n’a été ni illégale ni anti - constitutionnelle. Il y a eu jurisprudence au Honduras, au Nicaragua, au Costa Rica. Ce ne sont pas les Boliviens qui ont inventé le principe. » Ailleurs il dira qu’il n’a été candidat que parce que son peuple le lui a demandé. Maurice Lemoine reprend le propos or la Constitution étant ce qu’elle est, le référendum n’avait pas lieu d’être.
Bref, une argumentation qui ne peut convaincre que les fidèles.
Ensuite sur le coup d’État ? Le journaliste lui rappelle que le syndicat majeur la COB (Central Obrera Boliviana) a fait partie de ceux qui ont demandé la démission au mois de novembre (parmi d’autres mouvements sociaux). Morales répond qu’en fait, ils ont eu peur. Peur de quoi ? Il ne le dit pas. Bref, « ce fut une erreur politique ».

Mais des erreurs, Evo en a-t-il commis ?

Dès le départ la question a été claire : « quelle autocritique faites vous de votre gestion ? » Il répond en faisant seulement l’éloge de sa politique.

Alors Fabián insiste. Et il indique qu’Evo hésite avant de répondre. Pour Evo le problème c’est qu’on lui a demandé plus qu’il ne pouvait faire.

Il ajoute cependant une idée que je partage et que je donne en espagnol :
«  La realidad es que hay casi tres millones de bolivianos y bolivianas que subieron de la clase humilde o pobre a la clase media y se olvidaron de donde vienen, prefieren no tener compromisos con la sociedad, y ya traen nuevas expectativas. No toman en cuenta que todavía hay muchas familias en la situación en la que ellos estaban antes .  » [1]

Une autre question insolente au sujet des politiques extractivistes. C’est le point où il est le plus décevant. Le rejet de ces politiques serait financé par les USA et les multinationales ! Vu de France on n’a pas toujours la connaissance de ce combat contre l’extractivisme, car on ne mesure pas que dans les conditions de production actuelles, toute politique minière est énergivore et utilise de l’eau outre mesure, sans compter les effets sur l’environnement. Or les multinationales toujours en quête de produits miniers, cherchent à extraire toujours plus. Partout, au Chili, au Pérou, en Bolivie ce sont des paysans qui s’opposent aux projets démentiels d’extraction de minerais. S’il y a un coin sur la planète où il existe une écologie sociale et solidaire, c’est bien en Amérique latine. Le combat écolo de France souvent majeur dans les classes moyennes n’est pas de même nature.

Par cette question Morales démontre qu’il a une stratégie de retard, un fait qui se vérifie quand il s’agit du choix du binôme pour les présidentielles puisque la question insolente est encore là :

Andrónico Rodríguez et Orlando Gutiérrez ont été proposés comme candidats par les mouvements sociaux et Morales a préféré son ex-ministre de l’économie formé aux USA (avec une concession pour le vice-président) l’auteur des politiques qui ont permis la réduction de la pauvreté mais comme je l’ai déjà noté, ce fut seulement une politique économique et non pas politique. Bref, une stratégie qui fait que la « gauche » produit elle-même son propre échec.

À la fin des questions suivront sur le féminisme bien faible de l’ex-président qui répond en répétant qu’il est féministe mais encore faut-il le prouver par des actes. Oui des femmes accèdent plus souvent aux diplômes et il y a plus de femmes élues. Comme il le note, la Bolivie est le troisième pays au monde en nombre de femmes dans le parlement. Voici la liste : Rwanda, Cuba, Bolivie, Mexique, Suède, Grenade, Namibie, Costa Rica, Nicaragua…

À lire cette liste, j’ai comme la sensation que ce critère semble bien peu celui du féminisme du pays ! Même si quand on regarde à la fin de la liste on ne se trompe pas : Iran, Nigéria, Thaïlande, Sri Lanka, Liban, Koweït, Haïti, Oma, Yémen. Bref, le féminisme se mesure par exemple à des lois sur l’IVG dont la Bolivie n’a pas vu la couleur.

Le constat critique que je peux faire n’est pas seulement le mien. Il n’existe que pour inciter à trouver le moyen de battre les forces dominantes qui vont s’unir dans le cadre d’un second tour qui sera fatal au MAS même s’il bénéficie d’un soutien encore très fort comme le PT au Brésil.

Ce constat critique nous renvoie à Marx et son texte sur Bolivar que j’ai réédité avec les commentaires des bolivariens marxistes qui disent que Marx était mal renseigné et les anti-bolivariens marxistes qui disent le contraire. Je me classe dans la deuxième catégorie.

J-P Damaggio


[1La réalité c’est qu’il y a près de trois millions de Boliviens et de Boliviens qui sont passés de la classe humble ou pauvre à la classe moyenne et ont oublié d’où ils viennent. Ils préfèrent ne pas s’engager envers la société et suscitent déjà de nouvelles attentes. Ils ne tiennent pas compte du fait que de nombreuses familles se trouvent encore dans la situation où elles se trouvaient auparavant.
Ce point est crucial, car il montre que les politiques économiques (plus que sociales) peuvent avoir des effets contre-productifs.

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