Accueil > Actualité > Vrai capitalisme vert et fausse démocratie participative

Vrai capitalisme vert et fausse démocratie participative

Revue de presse 13 février – 20 février

jeudi 20 février 2020, par Antoine BOURGE

Si la question de la réduction des gaz à effet de serre est omniprésente dans les médias, elle nous fait passer à côté de questions politiques et sociales essentielles. Plutôt que de dresser la liste des « petits gestes », certainement nécessaires à titre individuel, ou pire, s’engouffrer dans le « greenwashing »* pratiqué par les grands groupes et les pouvoirs publics, il faudrait interroger les responsabilités du système capitaliste mondialisé et de ses chantres ainsi que celles de nos représentants dont les décisions conduisent à dégradation de l’environnement.

Grand remue-ménage médiatique lors de la venue de Macron à Chamonix le 13 février dernier, dans un cortège de larmes de crocodile devant la Mer de Glace et de phrases creuses :

« Macron a fait semblant de s’étonner de l’étendue du désastre écologique : « Je n’imaginais pas une fonte aussi rapide, c’est impressionnant. On se rend compte comment les non-décisions ont fait en arriver là. [1]. »

Quelle manipulation consternante ! Nulle annonce capitale mais cette propagande grossière permet de faire gober à qui veut le croire que le gouvernement mène une politique écolo à un mois des élections municipales. Cependant même les instances récemment créées par Macron refusent d’être associées à des « non-décisions » : « (…) les personnels de la nouvelle structure [l’Office français de la biodiversité] sont appelés à faire grève par l’ensemble de leurs syndicats. « La défense de la biodiversité, on en parle surtout avant une élection. Mais il n’y a pas de réelle volonté. Nos moyens s’érodent, nos missions sont reléguées au second plan. [2]. »

La colère est compréhensible notamment quand Macron affirme : « Je ne peux pas interdire aux camions de passer » [3]. Et la réponse cinglante de Ruffin est tout à fait juste sur ce point :

« À Chamonix, « Emmanuel Macron a atteint le sommet de l’hypocrisie ! » tempêtait, hier sur Europe 1, François Ruffin. « Depuis le début de son mandat, aucune mesure n’a été prise en matière de ferroutage. Alors que de l’autre côté de la frontière, la Suisse a décidé, par référendum, que tout ce qui transiterait dans le pays passerait par le rail, sauf à payer une taxe. »

Deux autres points attirent notre attention sur l’organisation-même de l’événement : Un cadre, qui préfère rester anonyme, rit jaune : « Faire venir tous frais payés tous les galonnés de l’OFB à Chamonix, dans l’une des vallées les plus polluées de France, en pleine période de vacances scolaires, simplement pour faire la claque à Macron... En termes de crédibilité, on envoie d’emblée un message très fort. » Ce à quoi Florence Barreto, la responsable du pôle opinion médias, oppose un argument imparable : « L’OFB mettra en place un dispositif de compensation carbone intégrale de l’événement. Ouf !  [4] Clarté et franchise : tant qu’on paie on a le droit de polluer ! Et c’est cette conception de l’écologie capitaliste basse du front que défend Macron sans fard : « Il faut démontrer que cette stratégie est compatible avec les progrès économiques parce que c’est la stratégie à laquelle je crois » [5]. CQFD.

La solution viendrait-elle de cette fameuse Convention Citoyenne sur le Climat (CCC) mise en place le 4 octobre 2019 ? Cet article [6], fort détaillé, nous permet d’en douter : Toutes les craintes sont permises quand on apprend que parmi les douze personnalités « impartiales » chargées de sélectionner les experts de la CCC figure Mme Catherine Tissot-Colle, cadre dirigeante d’Eramet, une multinationale de l’extraction minière particulièrement polluante. Quand on sait que Macron interdit toute remise en question du modèle économique, il est évident que la CCC est condamnée aux préjugés et poncifs : « La notion de « progrès écologique » n’a pas de sens, explique l’historienne Valérie Chansigaud. (…) Si l’on ne réfléchit pas à l’architecture sociale que l’on souhaite, l’écologie s’apparente à une sorte de panoplie que n’importe qui peut revêtir. Depuis deux siècles, on trouve des références à la nature et à son respect chez à peu près tous les acteurs politiques (...) » [7]. Une autre instance, pilotée par Élisabeth Borne, le Conseil de défense écologique, se contentait d’annonces inoffensives le 12 février dernier, qualifiées de « mesurettes » par Reporterre.net : la ministre de la Transition écologique, Élisabeth Borne, a annoncé une série de mesures sur trois sujets : l’adaptation au dérèglement climatique, et en particulier aux inondations et au recul du trait de côte ; la protection de la biodiversité ; et l’exemplarité des services en matière de transition écologique [8]

Les intérêts des multinationales seront préservés, bien plus que l’environnement que le gouvernement prétend défendre. L’esbroufe ne tient pas face aux actes : (…) quand un membre de cette « Convention citoyenne » l’a interrogé sur les raisons qui ont conduit la France à approuver le CETA, cet accord de libre-échange entre l’Europe et le Canada, le président de la République lui a donné cette réponse : « Quand j’ai été élu président, la négociation était terminée, le traité était signé ». C’était vrai s’agissant de la négociation entre la Commission européenne et le Canada. Mais aucun des pays membres de l’Union européenne ne l’avait encore ratifié et la France pouvait le rejeter. Or, depuis son élection, Emmanuel Macron l’a fait approuver par une majorité de députés et il attend l’accord du Sénat qui n’en a pas encore débattu. [9] A très juste titre cet article rappelle que les délocalisations se font au détriment des salariés mais aussi au détriment de l’environnement : Quand Emmanuel Macron est allé à deux reprises, en mai 2017 et en automne 2019, sur le site de Whirlpool à Amiens rencontrer les travailleurs licenciés deux fois de suite en deux ans, suite au transfert de la production en Pologne, il a justifié cette politique qui augmente, à volume de production identique, le CO2 émis dans la production industrielle. Car Whirlpool cassait en France une usine en bon état de marche pour construire un autre en Pologne dans le seul but d’accroître les profits en bénéficiant de salaires trois fois plus bas. Au bilan carbone de la nouvelle construction polonaise, s’ajoutait son alimentation en énergie électrique, provenant du charbon à hauteur de 80% [10]

Notre salut écologique viendra-t-il de la sacro-sainte Union européenne ou d’exhortations internationales de bons samaritains ? On apprend que Bezos, le PDG d’Amazon, s’est subitement converti à l’écologie pour reverdir sa réputation  : Le milliardaire le plus riche du monde a annoncé lundi 17 février, sur son compte Instagram, la création du Bezos Earth Fund pour lutter contre le changement climatique. Cette initiative survient alors que l’impact environnemental du géant du commerce en ligne est de plus en plus critiqué aux États-Unis, y compris par les salariés d’Amazon. [11] Autre exemple sur la scène internationale, Greta Thunberg donne des leçons mais reste enfermée dans le carcan du capitalisme néo-libéral : La lanceuse d’alerte Greta Thunberg (…) devient (…) une sorte de Bernadette Soubirous des temps postmodernes, menant de gigantesques processions à travers le monde sans jamais dire un mot des accords de libre-échange leurs effets sur l’environnement. [12] Pour peindre les décisions de l’UE « vert écolo » le moulin à vent des idées creuses tourne à plein. La BCE, bras armé de l’UE pour asservir les peuples, (cf. le cas de la Grèce) se rêve en chef d’orchestre de la transition écologique peut-on lire dans un article publié sur Médiapart : Au moment même où les présidentes de la Commission européenne [Mme von der Leyen] et de la BCE [Christine Lagarde] scellaient leur alliance pour soutenir la lutte contre le réchauffement climatique, la Commission européenne adoptait deux textes, l’un pour soutenir des projets gaziers d’un montant de 28 milliards d’euros, l’autre pour donner son feu vert pour un nouvel accord commercial entre l’Europe et le Vietnam. [13] Toujours le grand écart entre paroles et actes, pour mieux préserver les intérêts du capital. Le fameux « Green Deal » européen (ou « Pacte vert ») lancé le 11 décembre 2019 est identique à ce que Macron a pu annoncer dernièrement, il faut en somme que tout semble changer pour que rien ne change. On relèvera : Ursula von der Leyen a insisté sur la nécessité d’être à la fois « ambitieux et réaliste », pensant ce Pacte vert avant tout comme une réponse aux mobilisations citoyennes pour le climat, et aux « millions de citoyens qui prennent conscience, qui se tournent maintenant vers les énergies propres ou choisissent d’éviter le plastique » [14] La prudence est de mise du côté des gouvernants, il ne faut pas avoir de politique trop ambitieuse au risque de soulever des questions politiques sur le modèle économique et il faut renvoyer les citoyens à leur responsabilité individuelle pour que les responsables politiques se lavent les mains de la situation. On retrouve cette idée chez Hulot : « M. Nicolas Hulot – qui critique les dégâts du « capitalisme sauvage » - estime (…) que les efforts individuels permettraient de « faire 20% du chemin vers les objectifs climatiques ». Si on prend ce chiffre pour argent comptant, pourquoi les pouvoirs publics ne s’attaquent-ils pas en priorité aux 80% qui les concernent directement ? « L’objectif, en montrant la voie individuellement, est d’encourager les acteurs politiques à aller plus loin ». [15]

La démocratie participative est présentée comme l’alpha et l’oméga des avancées sur le plan écologique. Nous verrons qu’il n’en est rien. Pour le Bezos Earth Fund, et toutes les organisations analogues, une grave limite est soulignée ici : La société commence à prendre conscience que les dons caritatifs sont une forme d’influence et que peut-être ces milliardaires ne devraient pas avoir autant de pouvoir. Car après tout, ce sera Jeff Bezos qui décidera qui financer avec ces 10 milliards de dollars, et non les contribuables par le biais d’un gouvernement américain démocratiquement élu. [16] L’injection de milliards dans l’économie verte par l’ONU est également un miroir aux alouettes : En 2009, l’ONU a elle aussi appelé à investir dans l’infrastructure verte à hauteur de 1 % du PIB : le New Deal vert mondial était avant tout une opportunité pour stimuler la croissance. Dix ans plus tard, alors que l’essor de l’économie verte n’a absolument pas permis de juguler le chômage ne de faire chuter les émissions de gaz à effet de serre, les Nations unies continuent à s’enfermer dans cette impasse et à marteler que « nous avons besoin d’un Green New Deal global ». [17] Pour l’UE, idem : La BCE dit vouloir soutenir le programme d’investissement de la Banque européenne d’investissement qui projette de devenir la banque du climat. Mais sous couvert de soutien, ses interventions ont des chances d’aboutir à des surfinancements vers des secteurs privilégiés par la finance comme l’éolien ou le solaire, si prisés par les fonds d’investissements ou les family offices, au détriment de nombre d’activités tout aussi importantes écologiquement mais entrant moins dans le champ des investisseurs, comme la biomasse ou l’économie circulaire. Ce qui reviendra en fait à organiser à nouveau d’immenses transferts du privé vers le public pour le seul profit du privé (…). [18]En France le simulacre de démocratie participative est à rapprocher des violences qui accompagnent les manifestations pacifiques de militants écologistes [19]. La CCC pose également un problème démocratique au même titre que Bezos et la BCE : (…) au nom de quoi attribuer à un aréopage résultant du hasard, et donc sans mandat, le pouvoir d’influencer des décisions politiques prises par des autorités issues du suffrage universel ? [20] En définitive la remise en question de la maximisation des profits et de réseaux commerciaux absurdes [21] doit être complètement écartée. D’abord, il faut que les plus riches puissent échapper aux contraintes légales liées à la protection de l’environnement (compensation carbone, payer pour polluer, etc.), ainsi on peut lire : Ceux qui (…) évoquent avec insistance une remise en question des libertés s’imaginent-ils définir les limites qui affecteront celles des autres. Si on restreint le tourisme de masse, par exemple en limitant le tonnage des bateaux de croisière ou en renchérissant le coût du transport, les classes aisées n’en pâtiront pas, car elles trouveront d’autres moyens de faire le tour du monde. [22] Et aussi il faut maintenir sous contrôle le peuple : Depuis les lois liberticides de Sarkozy, Hollande & Valls, l’achèvement (provisoire) de dispositions de l’état d’exception intégrées dans la loi par Macron, nous savions bien que les justifications réitérées pour imposer ces lois successives étaient un masque, un paravent de pure forme pour la constitution de cet arsenal juridique et réglementaire destiné à mater tout mouvement social dès lors qu’il ne s’épuise pas de lui-même, qu’il s’oppose efficacement aux réformes, qu’il constitue une contestation irréductible, une limitation de la force et du passage en force, unique façon de gouverner et régner pour ce tandem Macron/Philippe. [23]

L’avènement d’une véritable politique écologique est indissociable du développement d’une politique sociale juste où l’emploi est protégé par le droit du travail, où les industries et l’agriculture peuvent se reconvertir vers une production plus respectueuse de leurs salariés et de l’environnement. Gestion de l’eau, des déchets, des transports… Mais cela passe par la nécessité absolue de rompre avec l’économie capitaliste autoritaire qui organise cette gabegie contre les peuples [24] et contre les territoires [25].


[4Le Canard Enchaîné (12 février 2020), « Un séminaire à Chamonix, ça vous dit ? », par J.-L. P.

[6Le Monde Diplomatique (janvier 2020), « Au nom de l’urgence écologique », Anne-Cécile Robert

[7Ibid.

[10Ibid.

[12Le Monde Diplomatique (janvier 2020), « Au nom de l’urgence écologique », Anne-Cécile Robert

[15Le Monde Diplomatique (janvier 2020), « Au nom de l’urgence écologique », Anne-Cécile Robert

[17La Décroissance (février 2020), « Green New Deal : le triomphe du capitalisme vert », Pierre Thiesset

[20Le Monde Diplomatique (janvier 2020), « Au nom de l’urgence écologique », Anne-Cécile Robert

[21Lire à ce sujet : Le Monde Diplomatique (février 2020), « Un mode de production moyennement romantique. Allons voir si la rose... », Zulma Ramirez et Geoffroy Valadon

[22Le Monde Diplomatique (janvier 2020), « Au nom de l’urgence écologique », Anne-Cécile Robert

[24Une fois de plus, l’UE pousse à dénier aux États et aux acteurs publics toute capacité d’intervention, tout pouvoir, à refuser de toucher à tous les carcans budgétaires imposés dans le cadre des traités. https://www.mediapart.fr/journal/international/170220/la-bce-se-reve-en-chef-d-orchestre-de-la-transition-ecologique