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Surveiller et punir... les réseaux sociaux

dimanche 1er mars 2020, par Denis COLLIN

Dès qu’une affaire embarrassant les puissants est révélée sur les réseaux sociaux, revient l’antienne de la surveillance de ces maudits réseaux qui seraient des amplificateurs des fausses nouvelles et de la haine. Ainsi la loi dit Avia (du nom de la députée qui porte ce projet) propose de compléter l’arsenal déjà bien lourd de la surveillance et de la censure des réseaux sociaux, c’est-à-dire au premier chef Facebook, Twitter, Instagram, etc. Ainsi le gouvernement de MM. Macron et Philippe envisage-t-il de promulguer des lois « contre la haine »… Pourquoi pas des lois rendant l’amour obligatoire, pendant qu’on y est ?

Pour l’heure, la loi Avia est légèrement encalminée. Mais l’affaire des vidéos X de Benjamin Griveaux, divulguées par internet, a vu une nouvelle éruption de boutons anti-réseaux sociaux. Il fallait d’urgence légiférer pour empêcher tous ces méchants de parasiter la vie publique en étalant aux yeux de tous la vie privée de tel ou tel grand personnage : il en irait de la « démocratie », des « valeurs de la république » et de tout tralala.

Essayons de voir un peu plus clair dans tout cela. Il y a très longtemps que l’on dispose de moyens de masse pour diffuser de l’information et donc aussi des fausses informations et pour éventuellement faire chanter la petite musique des messages de haine. Tout cela a commencé avec la radio dont on sait l’usage qu’en ont fait les régimes « totalitaires ». L’histoire de la radio est inextricablement liée aux discours d’Hitler et de Mussolini (voir Une journée particulière). Ensuite la télévision a pris la place. Les plus vieux ont encore en mémoire la RTF où le journal télévisé était supervisé par un ministre afin que « la voix de la France » ne puisse être travestie. La radio et la télévision ont ceci d’intéressant pour les pouvoirs que ce sont des organes de diffusion à sens unique. L’émetteur est le pouvoir et les citoyens les récepteurs, régulièrement conviés à écouter la voix de leur maître.

Pourquoi les réseaux sociaux sont-ils si souvent la cible des hommes politiques et des médias officiels ? La réponse est assez simple : la classe politicomédiatique a perdu le monopole de la diffusion des fausses nouvelles ! Et les hommes politiques ou les journalistes (sic) ne peuvent plus impunément désigner à la vindicte publique telle catégorie de citoyens, tel pays étranger, etc. Il suffit de suivre un peu régulièrement journaux télévisés et tranches d’information sur les grandes radios pour apprécier à sa juste valeur le sens de la vérité, le goût de l’impartialité qui anime les présentateurs vedettes, les Demorand, Patrick Cohen, Léa Salamé et tutti quanti et on comprend que la mise en cause de leurs bavardages mensongers les agace un peu.

On peut regretter l’instantanéité de l’information et la nécessité de réagir sur le champ, ainsi que le font régulièrement les doctes. Mais l’instantanéité est liée non aux réseaux sociaux, mais au moyens de diffusion modernes. En mai 1968, les reportages de RTL d’Europe 1 sur les manifestations étudiantes ont joué un rôle d’amplificateur considérable. Les reporters de guerre, pendant la guerre au Vietnam ont donné à voir, presque en direct, les horreurs produites par l’agression US. Lors des dernières guerres, d’ailleurs, instruits de cette leçon, les militaires américains ont transformé les reporters en « reporters embarqués » ne diffusant que les informations et les images validées par l’état-major. On n’est jamais si bien servi que par soi-même.

Mais un journaliste sait comment faire de l’information. Le quidam qui se mêle de faire le journaliste ne sait pas mettre l’information en contexte. Sans aucun doute ! à condition que les journalistes restent vraiment des journalistes. Mais peut-on considérer les éditocrates qui sévissent sur toutes les chaînes comme des « journalistes » (mention spéciale à M. Barbier et son écharpe rouge). Certes une vidéo amateur n’est pas un gage de vérité, mais les montages sur les armes de destruction massive de Saddam ou les charniers de Timisoara valent bien toutes les mauvaises vidéos amateurs.

Et l’appel à la haine, la calomnie, vous en faites quoi ? Là encore, aucun média n’est bien placé pour donner des leçons. Le grand air de la calomnie contre les grévistes, ils le connaissent par cœur et quand M. Ferry appelle l’armée à tirer sur les Gilets jaunes, personne n’a songé à la poursuivre pour appels à la haine…

Certes, les réseaux sociaux sont, comme les langues d’Ésope, les meilleures et les pires des choses. Mais ils peuvent être utilisés comme un outil de lutte contre le pouvoir, contre tous les pouvoirs et ils peuvent aussi être des instruments du pouvoir – il y a des armées de « trolls » payés pour assurer au gouvernement une place sur ces réseaux. Cependant, les tentatives de contrôler les réseaux sociaux, tentatives déjà bien engagées, s’inscrivent dans une tendance plus générale à en finir avec la liberté d’informer et avec la liberté d’opinion. C’est une des dimensions du caractère de plus en plus totalitaire pris par les États des pays avancés. Il est de bon ton de dénoncer les « démocraties illibérales » ailleurs (suivez mon regard vers Budapest). Mais c’est l’apologue de la paille et la poutre qui vient à l’esprit (Matthieu, 7:3).

Rappelons ce simple principe : la liberté d’expression ne se divise pas. Même si, et ce n’est pas le cas, on avait de bonnes raisons de vouloir limiter la liberté d’expression, il faut s’en garder comme de la peste. Et ceci vaut non seulement pour les gouvernements, mais aussi pour nombre de leurs opposants qui, hélas, ne sont pas les derniers à vouloir règlement l’usage de la parole et à définir quelles sont les pensées « correctes » qui, seules, auraient le droit de circuler sur le forum public.

Le 1 mars 2020. Denis Collin

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