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Quelques réflexions sur la situation

mardi 24 mars 2020, par Jean-François COLLIN

Désormais, la France n’est plus dirigée par un gouvernement, dont le chef est désigné par un Président de la République élu au suffrage universel, et dont l’action est contrôlé par le Parlement. Elle est gouvernée par un Conseil scientifique permanent de 10 membres, présidé par le professeur Jean-François Delfraissy.

Ce dernier, le caducée dans une main et la foudre que notre ex-Jupiter lui a remise dans l’autre, est chargé de nous indiquer au fil des jours comment nous devons mener la « bataille » contre « la guerre » au Covid-19. C’est en tout cas ce que nous expliquent E Macron et les médias depuis deux semaines.

Notons que les dirigeants emploient un vocabulaire militaire et non un vocabulaire médical pour nous expliquer ce qui se passe. Emmanuel Macron nous a dit à six reprises que nous étions en guerre dans son discours du 16 mars, alors qu’aucun pays ne nous l’avait déclarée, qu’aucun ennemi n’était à nos portes et que les militaires n’avaient pas été appelés à prendre les armes pour nous défendre.

Au-delà du vocabulaire, se pose une question sérieuse sur la répartition des rôles entre l’exécutif et le conseil scientifique permanent qui n’est peut-être pas celle qu’on nous présente.

Soit, comme le dit Emmanuel Macron, se sont les « sachants » qui décident et il ne fait que mettre en œuvre leurs décisions, et dans ce cas il devrait les laisser s’exprimer directement ; soit l’exécutif utilise les avis que lui donne le conseil scientifique pour tenir un discours politique qui n’a rien de la neutralité supposée du discours scientifique et peut être contesté comme n’importe quel discours politique.

Prenons quelques exemples.
Est-ce le comité scientifique qui a décidé de l’organisation du premier tour de l’élection municipale le 15 mars ?

Formellement non, c’est un décret du 4 septembre 2019, signé par le Président de la République et les ministres responsables qui a convoqué les électeurs les 15 et 22 mars, et un décret du 17 mars qui reporte, dans des conditions contestables, le second tour dans les communes n’ayant pas élu un conseil municipal dès le premier tour.

Le Conseil scientifique a-t-il pris une position sur l’organisation du premier tour de l’élection ? S’il l’a fait et s’il a donné un avis favorable à cette convocation, cela pose un sérieux problème. Comment ce comité d’experts a-t-il pu considérer qu’il était possible de convoquer des millions de Français à voter le dimanche pour recommander de les enfermer le lundi ?
Si le Conseil scientifique s’est effectivement prononcé de cette façon, nous avons toutes les raisons d’être inquiets sur sa clairvoyance et le droit d’avoir connaissance du compte-rendu de ses délibérations, des arguments avancés par ses membres pour arriver à un tel avis.
Si le conseil scientifique n’a rien dit sur l’organisation des élections, pourquoi laisse-t-il le gouvernement accréditer l’idée qu’il a pris cette décision en plein accord avec lui, après avoir expliqué qu’il avait pris cette décision sous la pression de MM. Larcher et Baroin ?

Autre exemple. Le gouvernement a fait adopter la semaine dernière, par le Parlement, une « loi sur l’urgence sanitaire » qui n’a pas grand chose à voir avec la santé. Ses principales mesures restreignent à nouveau les libertés fondamentales, permettent à l’autorité administrative d’infliger des amendes très lourdes aux citoyens qui mettraient le nez dehors et portent de nouveaux coups au code du travail, en autorisant le dépassement de la limite de 48 heures de travail hebdomadaire – tout en interdisant à la majorité des salariés de travailler - et en permettant à l’employeur d’imposer aux salariés de prendre leur congés pendant leur confinement.

Ces mesures ont-elles été inspirées par le Conseil scientifique ?
Poser la question c’est y répondre.
Pendant la pandémie, les travaux de démolition continuent.

Dans une interview au Monde publiée le 20 mars, M Delfraissy répondait ainsi à la question « pourquoi ne pas avoir mis en œuvre sans attendre cette stratégie ? » (il s’agit de la stratégie mise en œuvre en Corée) :
« Parce que nous en sommes incapables et que ce n’est pas l’enjeu dans la phase de montée de l’épidémie. Nous ne possédons pas les capacités de tester à la même échelle que la Corée du Sud… Nous avons un énorme problème avec les réactifs utilisés dans les tests. Ces réactifs de base proviennent de Chine et des Etats-Unis. La machine de production s’est arrêtée en Chine et les Etats-Unis les gardent pour eux ».

Nous sommes donc loin de problèmes uniquement sanitaires. La politique économique de la France a conduit à la disparition massive des capacités de production du pays, dans ce domaine comme dans d’autres, et nous découvrons que nous sommes complètement impuissants lorsque vient la crise.
Ce n’est pas la responsabilité du Conseil scientifique, mais celui-ci donne des conseils en tenant compte de la situation de pénurie dans laquelle nous sommes. C’est pourquoi dans la même interview, le Président du Conseil scientifique déclare :
« Le confinement, dans l’état actuel des ressources, est la seule façon de casser la courbe de l’épidémie et d’éviter que le système explose en vol. Ce n’est pas la meilleure des solutions mais c’est la moins mauvaise ».
Il s’interroge d’ailleurs sur la capacité de la population à supporter durablement le confinement et la possibilité de le renforcer sans que les gens résistent.

C’est bien l’état de nos ressources qui justifie ces décisions. C’est une décision de gestion de la pénurie en particulier de celle qui règne à l’hôpital, dont il faut éviter l’explosion en vol.
De cette pénurie, le gouvernement et le Parlement sont responsables. Pas seulement ceux d’aujourd’hui.

Si, comme les médias feignent de le croire, nous vivons dans une « expertocratie », si le gouvernement du pays est bien ce Conseil scientifique, alors nous avons le droit de connaître réellement et directement le contenu de ses délibérations et de ses décisions. Un compte-rendu intégral de ses délibérations doit être publié afin que les citoyens aient connaissance des arguments qui conduisent à fermer les marchés en plein air et permettre aux supermarchés de continuer leur activité.
La science n’est pas faite de certitude mais d’interrogations, de débats contradictoires ; les citoyens ont le droit d’en avoir connaissance puisqu’au bout du compte, des décisions sont prises.
La complète publicité des débats du « Conseil scientifique permanent » est la condition pour que subsiste un peu de démocratie dans ce pays, pour que nous puissions savoir ce qui relève des mesures sanitaires et des mesures politiques.
L’urgence sanitaire n’empêche pas de savoir ce qui dans la situation actuelle est la conséquence de décisions politiques auxquelles les dirigeants d’aujourd’hui ont participé hier comme ministres et députés.

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