Je me permets d’emprunter à S. Freud le titre d’un de ses ouvrages tant il traduit bien mes sentiments actuels.
Un ami me demandait, ces derniers jours, si l’accord des composantes du Nouveau Front Populaire (NFP) pour proposer Lucie Castets au poste de Première ministre me rassurait. J’aurais aimé lui répondre oui, lui dire que la gauche avait surmonté ses divisions et pouvait enfin profiter de son léger avantage en sièges à l’assemblée nationale, pour prétendre à la formation d’un gouvernement. Malheureusement, j’en suis incapable.
Il me semble au contraire que cet accord de dernière minute présente tous les traits de ce qui ne fonctionne plus dans notre système politique, en même temps qu’il exprime au plus haut point la faiblesse des partis de gauche en France.
Lucie Castets est certainement quelqu’un de très bien, ce n’est pas la question. Il y a dans ce pays des milliers de femmes et d’homme de gauche, très honorables et compétents dans de nombreux domaines. Cela n’en fait pas des premiers ministres.
L’incapacité de la coalition regroupée au sein du Nouveau Front Populaire (NFP) à désigner un de ses dirigeants comme possible chef du gouvernement n’est pas un fait sans conséquences et je m’étonne qu’il donne lieu à si peu de commentaires de la part de ceux dont c’est la profession (politologues, journalistes…). Comment une coalition incapable de se grouper derrière une personnalité issue de ses rangs pourrait-elle gouverner ? En réalité, ni La France Insoumise (LFI), ni le Parti socialiste (PS), ni les écologistes n’accordent une véritable importance au résultat des élections du 7 juillet. Ils savent qu’elles ne leur ont pas donné une majorité leur permettant de gouverner, mais ils veulent utiliser les positions conquises en commun pour mener une lutte qui les divise, la préparation de la prochaine élection présidentielle. Le poison présidentialiste de notre système institutionnel continue à infecter le corps politique jusqu’à son agonie finale.
C’est pourquoi ils se sont mis d’accord pour proposer une personne n’appartenant à aucun des partis regroupés dans le NFP, et d’ailleurs à aucun parti politique tout court. Presque personne, même parmi les leaders des formations du NFP, ne connaissait L. Castets jusqu’à cette semaine. Les formations du NFP ont organisé des auditions en visioconférence pour faire sa connaissance et vérifier qu’elle répondait aux critères de recrutement sur le poste fixés par ses employeurs. Ce n’est pas moi qui le dis mais Eric Coquerel, qui vient d’être confirmé dans les fonctions de président de la commission des finances de l’assemblée nationale (ce qui n’est pas une fonction secondaire) : « nous avons été assez vite convaincus qu’elle était la seule personnalité susceptible de faire consensus, et plus on s’est renseigné sur elle plus on a été convaincus. Nous exigions 2 critères pour la sélection de notre candidat. D’abord la capacité à gouverner, et de ce point de vue son statut de haut-fonctionnaire est rassurant, elle possède des compétences quasi immédiates. Ensuite elle a tout de suite dit qu’elle voulait respecter la logique du programme de rupture du nouveau front populaire. Elle ne l’affadira pas a priori. »
Ainsi, la France insoumise qui a bloqué toutes les propositions de candidature commune au poste de Premier ministre, depuis le 7 juillet, écartant en particulier toute figure connue d’une des organisations du NFP, donne son accord pour une candidate que ses dirigeants ne connaissaient pas la veille et qui n’appartient à aucune des formations du NFP.
C’est qu’en plus de toutes ses qualités, L. Castets en possède une qui a plus de prix que toutes les autres aux yeux de LFI, et sans doute de ses partenaires : elle est inconnue, elle n’a aucune base politique, aucun mandat électif, aucune position dans une organisation politique et ne pourra donc être qu’aux ordres des partis qui ont mis en avant sa candidature. Les composantes du NFP sont d’ailleurs en lutte pour placer autour d’elle les conseillers qui leur sont les plus proches.
On lit dans la presse, ce 26 juillet, que l’équipe en train de se constituer autour de L. Castets va organiser dans les semaines qui viennent des rencontres avec les groupes parlementaires de gauche et les dirigeants des partis du NFP pour qu’ils fassent connaissance avec la candidate qu’ils doivent soutenir pour son accession à Matignon ! Est-ce vraiment sérieux ?
L’essentiel est que le terrain reste libre pour la candidature à l’élection présidentielle de 2027, la seule qui compte, notamment aux yeux de JL Mélenchon.
Le processus décrit par E. Coquerel pour « recruter » une éventuelle première ministre est en tout point semblable au dispositif mis en place par E. Macron en 2017 pour recruter des députés, dont on conviendra que la responsabilité, pour importante qu’elle soit, est moins exigeante que celle de Premier ministre. C’est un entretien d’embauche.
Le président de la commission des finances nous dit que nous ne devons pas nous inquiéter sur sa capacité à gouverner puisqu’elle est haut-fonctionnaire, ce qui lui donne « des capacités quasi-immédiates ». La capacité à gouverner un pays s’acquiert donc à science-po Paris et à l’ENA, et non dans le combat politique, la démonstration de la capacité à convaincre et à entrainer une partie significative de la population, ou dans l’exercice de mandats électifs.
Le NFP serait-il favorable à la constitution d’un « gouvernement technique » jusqu’à la prochaine dissolution, lui qui s’élevait contre cette hypothèse il y a quelques semaines ?
LFI traitait de « députés Playmobil », les élus macronistes élus à l’AN en 2017 pour moquer leur absence d’expérience et de capacité d’action politique propre, ainsi que leur recrutement semblable à celui d’un cadre d’entreprise privée. Ne risque-t-il pas d’être l’arroseur arrosé ?
La caricature du macronisme offerte par le NFP ne s’arrête pas là.
E Macron a poussé à l’extrême les traits les plus détestables de la Vème République. Ce faisant, il a démontré qu’elle pouvait devenir un système ingouvernable, ce qu’elle est aujourd’hui.
Loin de s’appuyer sur cette situation et de laisser le Président de la République assumer la crise de régime qu’il a déclenchée, et d’en profiter pour préparer un programme sérieux, pour élargir et fortifier l’alliance des partis de gauche sur une perspective d’évolution institutionnelle et de renouveau démocratique, le NFP a proclamé sa « victoire » imaginaire (seul le RN a hélas renforcé sa position dans cette élection) et réclamé le gouvernement. Quel profit aura-t-il à gouverner dans les pires conditions ?
Puisqu’il souhaite gouverner, le NFP pourrait profiter de l’impotence d’E Macron pour s’engager sur le chemin d’un système moins présidentiel, en remettant l’assemblée nationale au centre du jeu.
Au lieu de cela, il implore E. Macron de nommer sa candidate à Matignon.
Si le projet du NFP est réellement de constituer un gouvernement, ce n’est pas à E. Macron que L. Castets doit s’adresser mais à toutes les composantes de l’assemblée nationale pour discuter avec elles des conditions d’une éventuelle investiture. A défaut, à supposer que le Président de la République cède aux injonctions du NFP, que se passera-t-il ? Une motion de censure sera déposée par plusieurs groupes de la chambre basse dès la présentation du discours de politique générale de la nouvelle première ministre, puisque celle-ci a dit vouloir mettre en œuvre tout le programme du NFP (rejeté par tous les autres partis représentés à l’AN) et a écarté toute alliance avec le camp présidentiel. Son gouvernement sera renversé. L’histoire de « la recherche d’un accord texte par texte », déjà racontée par Elisabeth Borne, est un conte pour endormir les enfants, encore plus lorsque l’on souhaite présenter en premier lieu un texte d’abrogation de la réforme du régime des retraites (que je souhaite par ailleurs, mais qui ne peut être obtenue dans les conditions actuelles, sauf peut-être en faisant accord avec le RN).
La désignation du premier ministre et de son gouvernement ne dépend plus exclusivement du président, comme ce fut le cas depuis 1958. Elle dépendra aussi de l’Assemblée nationale.
Comme les dirigeants du NFP ne peuvent pas ignorer cela, j’en conclus que cette candidature, sortie du chapeau, une ou deux heures avant la conférence de presse d’E. Macron, n’a qu’un but d’agitation médiatique, pour occuper le terrain dans une stratégie qui n’a rien à voir avec une réelle volonté de gouverner.
Le NFP était placé devant une alternative :
Profiter de sa force relative pour la faire croître, en disant simplement ce qui est : avec une telle assemblée, il ne peut pas appliquer son programme. Il laisse donc aux partis de droite la responsabilité de gouverner le pays dans les conditions qu’ils ont créées. Quant à la Gauche, elle se prépare pour les échéances futures sans faire naître de faux espoirs qui seront une fois encore déçus.
Soit il réclame le droit de gouverner, au nom de son avance sur les autres en nombre de sièges, mais comme il est loin d’avoir la majorité, il doit trouver des partenaires et négocier un accord.
Il ne fait ni l’un ni l’autre et perd progressivement toute crédibilité.
E. Macron a abusé du pouvoir et continue à le faire. Il fait comme si rien n’avait vraiment changé. Mais quelle que soit l’issue de cette crise de régime, elle se chargera dans quelques semaines de le faire redescendre sur terre. Notre pays est tellement habitué à vivre au rythme des plans et directives gouvernementales, des textes réglementaires et législatifs, qu’il ne pourra s’accommoder très longtemps d’un gouvernement démissionnaire réduit à la gestion des affaires courantes. Il faudra bien faire adopter un budget par exemple. Les jeux de rôles et faux-semblants seront difficiles à prolonger.
Le président de la République a jusqu’à maintenant la chance d’avoir en face de lui une gauche inconsistante qui, au fond, n’a pas plus envie que lui de faire évoluer le système institutionnel, persuadés qu’ils sont, à tort, qu’il leur profitera toujours et leur permettra par exemple, comme ils viennent de le faire, de n’accorder aucun poste au bureau de l’assemblée nationale au parti politique qui a recueilli le plus de suffrages aux élections législatives, le RN. Rappelons que le RN dispose de 126 députés dans l’actuelle assemblée et qu’avec 89 députés dans la législature précédente il avait deux vice-présidences, et que le règlement intérieur de l’assemblée précise que le bureau doit s’efforcer de reproduire la configuration politique de l’AN.
On voit par-là que le NFP parvient parfois à passer des accords avec les macronistes et autres membres de la droite républicaine… Difficile de contester sérieusement l’élection de Yaël Braun-Pivet après cela, comme l’ont fait à grands cris des dirigeants du NFP.
Mais à rester assis sur un couvercle qui peine de plus en plus à retenir la vapeur, ils ne font, tous ensemble, que préparer une explosion peu propice aux changements raisonnables
26 juillet 2024
JF Collin
Messages
1. L’avenir d’une cigale, 31 juillet, 20:41, par Bachèlerie
le spectacle de la politique est de mauvais goût, intellectuellement l’histoire d’une candidate au poste de premier ministre relève du comique triste,
une candidate autoproclamée ou presque, qui soigne son ego et fait la une bas de page des médias jusqu’au 15 aout.
Après avoir chanté tout l’été, sera t elle renvoyée au budget d’Hidalgo, ou va -telle discréditer ce qui reste de la gauche et offrir sur un plateau la présidence à MLP avec une majorité confortable à la clé ?
le NFP, conglomérat des débris de ce que fut la gauche lorsqu’elle était de gauche, ne sauvera , ni LFI, ni JLM malgré les espoirs placés dans le discrédit de Madame Castets, garantis par leur allié objectif Macron !