Je viens de relire un petit livre de Marcel Rocques publié en 1969 par les Editions sociales (du PCF) : Y-a-t-il une gauche aux Etats-Unis ? En fait le livre raconte les divers rapports de force de l’élection présidentielle de 1968 aux USA.
Il est sidérant de constater que depuis, l’histoire est la même aux USA, et y compris chez les commentateurs français. Un journaliste en bonne place sur l’émission 28 minutes vient de mettre en garde les téléspectateurs : attention Kamala ce n’est pas le NFP, et à peine le macronisme. Ce qui, comme le livre que je viens de mentionner, est une analyse de la politique US à partir des schémas français ou européens. Or toute l’histoire des USA démontre qu’il n’y a jamais eu dans ce pays ni droite, ni gauche, ni extrême-droite etc. Le système métrique cher à la Révolution française a failli s’y imposer aux cours des années 1960 mais Reagan a mis un frein définitif à l’opération.
C’est vrai, les années 60 qui virent la gauche marquer des points un peu partout dans le monde jusqu’à la contradictoire année 1968 ne pouvait qu’être présente aux USA. D’où le livre d’Elisabeth Vailland en 1972 . Sauf que le titre correspond là-aussi à une vision française des USA. Ce voyage dans l’univers de Jane Fonda, de Joan Baez et de tous les opposants à la guerre du Vietnam n’est pas un voyage dans l’Amérique de gauche mais dans une Amérique rebelle. La différence ? La gauche repose sur un projet global de société, les rebelles représentent un cri de colère. La fameuse phrase de Louis XVI : une révolte ou une révolution ? La révolte est circonstancielle et la révolution globale (même si Louis XVI ne mettait pas ce sens dans ces deux mots). Pour preuve ? La guerre du Vietnam terminée le mouvement s’est disloqué . Auparavant il y avait la lutte pour les droits civiques avec le même résultat .
Très jeune j’ai lu Les Raisins de la colère, lecture complétée aussitôt par En un combat douteux (moins connu mais encore plus beau). Un témoignage de la gauche des USA ? Je le croyais mais ensuite j’ai acheté History of socialism in the United States par Morris Hillquit un livre de 1910 réédité en 1971 chez un éditeur de New York avec une nouvelle introduction d’Albert Fried. Le socialisme y est arrivé par les sectes venues d’Europe, de Robert Owen à Charles Fourrier. Ensuite le Socialiste Labor Party est né et même un puissant mouvement syndical. Sauf que tout comme le puissant mouvement culturel de gauche, il a toujours été une part du capitalisme US qui, pour se développer en tant que capitalisme, a toujours eu besoin d’être contesté ! La grille politique européenne ne peut s’appliquer aux USA sauf à admettre, ce qui est arrivé ensuite chez nous, que la fonction de la gauche n’est plus de proposer une alternative globale au capitalisme mais l’alternance dont il a besoin pour se renouveler !
Aux USA, faut-il l’oublier, ce sont les Républicains qui conduisirent la guerre civile contre le sud esclavagiste (la gauche ?), ce qui fait que les politiciens du Sud se placèrent du côté des démocrates (la droite ?) ! Dans l’État très réactionnaire de Louisiane de 1877 à 1991 TOUS les gouverneurs furent Démocrates (le rôle des gouverneurs est considérable) . Aux USA le face-à-face gauche/droite est interne aux partis qui, par rapport à l’Europe, ne sont que des fantômes, ce qui tue le politique, objectif permanent du modèle US.
En conséquence, quand à Yalta USA (et son valet anglais) et URSS se partagent le monde ils mettent un terme à l’élan de la Révolution française car, aux USA comme dans la Russie devenue URSS, l’affrontement droite/gauche a toujours été inexistant : aux USA pour laisser l’économique maître du jeu, en Russie-URSS pour que le politique reste maître du jeu. Et les USA ont compris que d’offrir les pays de l’Est à l’URSS était un cadeau empoisonné. Si le système de dictature dite du prolétariat pouvait s’inscrire dans l’histoire russe, il ne pouvait s’inscrire dans l’histoire polonaise, hongroise ou tchèque. Au moment où l’URSS se croyait plus forte, elle devenait plus faible !
Mais revenons à la France. Comment la gauche socialiste pouvait-elle soutenir le système US en 1947 au moment où celui-ci replaçait Franco dans l’univers normal européen ?
J’ai lu avec intérêt le livre de Patrick Tort qui démontre minutieusement la nature du totalitarisme en Amérique . Je partage totalement son analyse, mais il manque une dimension : les conséquences de la façade démocratique.
Certes ce n’est qu’une façade, mais dans le système US les façades ne sont pas seulement un décor de cinéma quand elles permettent de disqualifier définitivement la Révolution française et son face-à-face droite/gauche.
Tout comme en 1945 les utopistes du capitalisme nouveau cher à Popper-Hayek ont lancé une opération sur le long terme pour arriver à leurs fins (un capitalisme loin des États pour schématiser), il appartient à la démocratie sociale de s’organiser pour, tenant compte du nouveau contexte sans droite ni gauche politique, construire sur le long terme, un autre type d’alternative au capitalisme actuel en partant de ce premier constat paradoxal : il met la société au bord du gouffre sans y être lui-même !
Jean-Paul Damaggio
Messages
1. La gauche aux USA ?, 30 août, 14:36, par grafteaux
contribution très intéressante. Néanmoins, manque les références bibliographiques des auteurs cités (Marcel Rocques,Elisabeth Vailland,Patrick Tort) Merci.