Kohei Saïto : La nature contre le capital. L’écologie de Marx dans sa critique inachevée du capital. (Syllepse, 2021)
Voilà un ouvrage qui présente de très nombreux intérêts et qui mérite d’être lu largement. Tout d’abord, il tord le cou aux lieux communs propagés par les frères ignorantins de l’écologie politique officielle. Non, Marx n’ignore ni les limites des ressources naturelles, ni l’écologie, bien au contraire. S’il a pu un moment penser que l’industrie et la science pourraient permettre un développement presque illimité des « forces productives », dès les années 1860, il modifie son point de vue et s’intéresse particulièrement à la question de l’agriculture, lisant attentivement les traités de Liebig, Johnston ou de Fraas. Il retrouve là son intuition première : le rapport fondamental est le rapport de l’homme à la nature et la propriété privée qui prive une partie des humains de ce rapport à la nature constitue la première et la plus fondamentale des aliénations. Marx est parfaitement conscient que le développement sans fin ni mesure du mode de production capitaliste conduit à détruire la terre et le travail, c’est-à-dire les sources de la richesse. Kohei Saïto fait du « métabolisme de l’homme et de la nature », ce qu’est le travail, selon Marx, le fil directeur de ses interrogations et il faudrait creuser ce sillon.
Un deuxième aspect intéressant de ce livre tient à l’importance des discussions qui se mènent dans les années 1860 autour d’un potentiel épuisement des sols et de la manière dont on pourrait inventer une agriculture soutenable. Nihil novi sub sole ! Marx voit dans ces débats l’émergence d’une « pensée socialiste inconsciente ». L’écosocialisme que l’on tente parfois de construire aujourd’hui pourrait s’inspirer des problèmes et des méthodes de cette époque.
Une dernière remarque : le travail de Kohei Saïto s’appuie sur les premières publications de la « MEGA 2 » (œuvres complètes de Marx et Engels), publications encore très incomplètes et difficilement accessibles à tous – sauf quelques œuvres traduites aux Éditions Sociales et publiées dans le cadre du projet GEME. Marcello Musto a consacré un travail intéressant aux réflexions de Marx dans les dernières années de sa vie, notamment sur les sociétés anciennes « précapitalistes » et nous apporte aussi beaucoup d’informations importantes. Bref, le Marx du marxisme orthodoxe apparaît de plus en plus nettement pour un travestissement du Marx réellement vécu et pensé. Le marxisme est bien l’ensemble des contresens faits sur Marx. Ne jamais l’oublier.
Denis Collin
(voir Collin, D., Mais comment peut-on encore être « marxiste » ?, éditions Atlande, 2024)