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Pourtant une gauche aux USA ?

lundi 2 septembre 2024, par Jean-Paul DAMAGGIO

Pourtant une gauche aux USA ?

Suite à mon article précédent j’entends les cris de ceux qui me disent :« mais tout de même les USA ont Chomsky (pour prendre un exemple de phénomène de « gauche ») ! ». J’évoquais l’absence incontestable de gauche politiqueaux USA et de l’effet produit sur la France à partir des années 1980,quand le modèle US s’est imposé globalement (et malgré tout certains plaquent sur les USA l’histoire de France !).Mais il n’est pas interdit de penser par ailleurs qu’il existe unegauche intellectuelle qui vit dans le ciel des idées. Par définition, tout intellectuel, vit dans le ciel des idées, mais parfois il veut (ou peut) les confronter à la réalité (par exemple pour certains en accédant aux lieux de pouvoir). Artistes, intellectuels peuvent s’inscrire dans la gauche générale, toucher des milliers de gens avec comme effet de conforter la société US dans sa supériorité. Sans lien avec les classes populaires, par le moyen d’une histoire de la gauche politique, le terme degauche intellectuelle devient une abstraction qui peut avoir sa propre utilité.

Les USA ont donc plusieurs revues socialistes confidentielles. Certaines sont très anciennes, d’autres nouvelles et je commence par celle en vogue aujourd’hui :Jacobin(accessible gratuitement sur le net avec même une version pour l’Amérique latine).

Le 18 juin 2024 elle a publié un long article faisant les éloges de Chomsky qui débute ainsi : « Depuis plus de soixante ans, il est l’intellectuel de gauche le plus visible et le plus prolifique de la planète. Il n’existe pratiquement aucun coin du monde où ses écrits et son combat inlassable pour la justice n’aient pas touché la vie des gens » et se termine par cette phrase : « C’est vrai, il n’y aura plus jamais de Noam Chomsky. Nous devrions donc tous être Noam Chomsky. »

Quelles que soient les polémiques, Chomsky est classé parmi les critiques « radicaux » du système US. Même si aux USA on parle de « left », le plus souvent on utilise le terme « radical » pour des hommes comme Chomsky. Bien sûr le cas de Marx est évoqué : « C’est là que nous voyons une autre convergence avec Marx. Peu de penseurs ont autant méprisé l’intelligentsia que Chomsky et Marx. »

Sans entrer dans le parallèle injuste entre les deux hommes (c’est loin de ma compétence) j’aime regarder du côté du Québec où l’éditeur LUX a beaucoup appuyé Chomsky relayé par Stéphane Baillargeon qui sur Le Devoir du 13 janvier 2024 indique : « Lux lance une traduction du livre The Withdrawal proposant une série d’entrevues avec le plus célèbre gauchiste radical des États-Unis d’Amérique, maintenant âgé de 95 ans. Son compatriote d’origine indienne, Vijay Prashad, directeur de l’institut Tricontinental, mène les échanges. Chomsky se décrit comme un socialiste libertaire ou un anarchiste. Prashad se présente plutôt comme un marxiste d’assez stricte obédience. Les deux se rejoignent dans une critique acharnée du capitalisme, de l’impérialisme et du colonialisme ancien ou nouveau. »

Chomsky adore les publications à deux et dans celle-ci il répète que Trump est pire qu’Hitler mais nous savons qu’il soutient le droit « démocratique » d’enseigner que la Terre est plate, tout comme il propose un traitement « équilibré » de la question « Dieu ou Darwin » impulsé dans l’enseignement des sciences, par Ronald Reagan, qu’il combat. Pour lui, toute conviction a le droit d’être défendue (au nom du relativisme sans doute). Ce qui me semble être du trumpisme(1).

Les Editions Lux ont aussi édité Les conséquences du capitalisme. Du mécontentement à la résistance, où Chomsky est avec le géographe Marv Waterstone. On y apprend que « la critique portée par les deux auteurs sur le capitalisme est des plus classiques. Elle doit tout à Marx et à une lecture classique de ce dernier. L’autre influence majeure est Gramsci et son concept d’hégémonie. »

Marx a eu quelques occasions d’analyser les Amériques et quand il l’a fait, ce fut à partir des réalités de ce continent, d’où un texte sur Bolivar qui dérange le plus souvent les marxistes d’Amérique du sud.

Inversement, Chomsky a vécu au cœur de l’Empire sans pointer les originalités propres à cet empire, préférant reprendre des lieux communs venus d’Europe. Sa notoriété n’est que le bénéfice d’une incohérence, sans danger pour le système.

Sans faire un grand bilan, je peux citerd’autres revues :New Politics, New Left et je m’arrête sur Monthly review.

John Bellamy Foster qui la dirige bénéficie d’une « petite » traduction française de ses travaux avec Marx écologisteaux Editions Amsterdam (sur ce thème le Japonais Kohei Saïto a bénéficié d’une traduction chez Syllepse).

Toutes les revues sont soumises aux mêmes limites sociales, mais à la différence de Chomsky,le manque de notoriété de John Bellamylui permet de travailler plus sérieusement. Sauf que les Editions Lux, malgré leurs mérites, ne connaissent pas John Bellamy qui a pourtant enseigné à Toronto.Ceci étant, la place centrale des USA permet à ces revues d’être au cœurdes débats de société de partout.Par exemple le Roumain-Hongrois Gáspár Miklós Tamás, philosophe et homme politique y est plus présent qu’en France.Et comme auteur français actuel en plus deSerge Halimi j’y ai retrouvé Michael Löwy (peut-être parce qu’il est aussi Brésilien) L’absence de gauche politique aux USA ne signifie pas pour moi que la démocratie sociale n’a rien à apprendre des Amériques. Au contraire ! Mais en connaissance de cause.

Jean-Paul Damaggio

  1. Patrick Tort dans son livre Du totalitarisme en Amérique propose une critique très sévère de Chomsky.