La « gauche » au Parlement européen
Depuis toujours il existe un groupe de « gauche » (left) au Parlement européen. Rappelons qu’un groupe n’a pas pour fonction la cohérence politique mais l’obtention de moyens d’actions et d’interventions.
Les faits
Manon Aubry, chef du parti le plus important (9 membres), peut nous en faire la visite.
Cette année la prise de guerre la plus importante est le Mouvement 5 étoiles italien. Nous en verrons la dite importance à la fin pour noter simplement, pour le moment, l’importance en nombre. Il apporte 8 membres et Alliance des Verts et de la gauche en apporte deux de plus pour l’Italie.
J’ai étudié ce mouvement politique dès 2013 à travers un livre passionnant [1]. Le livre est écrit par un grand connaisseur des rapports entre internet et la politique et d’ailleurs un des tournants du mouvement sera provoqué par la mort du génie informatique au cœur de la machine Casaleggio (2016). Il dirigea un moment l’Italie (32% en 2018) avec l’aide de l’extrême-droite mais c’est vrai, en cours de législature (2019), il changea son fusil d’épaule et contre toute attente (pour l’extrême-droite de Salvini) il fit alliance avec le Parti démocrate. Autant dire qu’aux élections suivantes le score électoral du Mouvement 5 étoiles a fondu comme neige au soleil (16% en 2022). Donc à présent le voici au sein de la gauche européenne.
A présent rencontrons les Grecs de Syriza qui dirigèrent un moment la Grèce (2015, 36%). Ils firent voter les électeurs et électrices pour résister à la pression européenne qui appuyèrent l’initiative mais l’Union européenne ne broncha pas et le gouvernement de gauche décida de trahir le vote qu’ils avaient suscité. Autant dire qu’aux élections suivantes (2019) le score électoral de Syziza a fondu comme neige au soleil. Depuis septembre 2023 Stéfanos Kasselákis dirige le parti à la place d’Aléxis Tsípras. Pour quelle ligne politique ? Rien de plus flou.
Passons donc en Espagne où Podemos avait fait une entrée remarquable et remarquée, au Parlement européen en 2014 ce qui propulsa ce mouvement aux premières places de la gauche (d’où une campagne de dénigrement phénoménale). Podemos, pour empêcher la droite d’arriver au pouvoir, accepta de jouer les seconds rôles derrière le PSOE en 2016. Quelques postes de ministres et petit à petit le score de Podemos commença à baisser (17 sièges perdus en 2019). Son dirigeant, Pablo Iglesias, décida de quitter le gouvernement pour conduire une bataille électorale à Madrid. Il perdit et décida d’abandonner ses responsabilités à Podemos (2021). Il tire les leçons de l’expérience par un livre utile : Verdades à la cara [2]. A la page 299 il rappelle qu’il connaît bien le PSOE, un parti qui va tout faire pour éliminer Podemos de la coalition. Il précise que ce n’est pas par traîtrise mais parce qu’ils sont ce qu’ils sont (« Es lo que son »). Il pense alors que Yolanda Diaz, ministre comme lui, pourra prendre efficacement la tête de la gauche radicale. Sauf que Yolanda Diaz volontairement ou involontairement décida de mettre en œuvre les désirs du PSOE : éliminer Podemos de la scène politique. La droite avait réussi à éliminer Ciudadanos, pourquoi le PSOE ne favoriserait pas le retour au bipartisme ? Donc dans un grand souci d’unité Yolanda Diaz lance SUMAR et aux législatives suivantes Podemos est marginalisé puis exclu du gouvernement. Sauf que ce mouvement décide de ne pas se laisser mourir et présente sa propre liste aux Européennes. La grande question était la suivante : avec qui va aller Izquiera Unida ? Finalement c’est avec SUMAR et ainsi Podemos se retrouve seul. Cette guerre au sein de la « gauche radicale » fait le bonheur du PSOE et le résultat est là. Podemos (2), Movimiento Sumar (1), Euskal Herria Bildu (1). En fait SUMAR a eu trois élus mais deux ont préféré les Verts et Yolanda Diaz… quitte ce parti avec une naissance réelle ! A vouloir aider les petits partis, Izquierda Unida est pour la première fois éliminée du Parlement européen.
Italie, Grèce, Espagne, il reste l’Allemagne. Et là encore la situation est originale. L’Allemagne apporte 4 élus à la Gauche : Die Linke (2), Parti de protection des animaux (1), Independent (1).
L’échec de Die Linke complète l’échec de Podemos, de Syriza.
L’analyse
Le Parlement européen permet de sortir du contexte franco-français pour vérifier que partout deux phénomènes se produisent : l’échec électoral et politique des gauches (y compris en France), et le succès électoral et politique de l’extrême-droite qui se paie le luxe d’avoir deux groupes différents ! Il n’y a pas si longtemps le FN s’était retrouvé chez les non inscrits.
Sauf qu’en Allemagne un nouveau parti se retrouve chez les non-inscrits. Après la scission de Die Linke, le BSW Bündnis Sahra Wagenknecht qui obtient 6 sièges se retrouve isolé [3]. Ce parti espérait une alliance avec le Mouvement 5 étoiles pour arriver éventuellement à former un groupe mais voilà la Gauche a fait un pont d’or aux Italiens pour contrer l’émergence du BSW qui vient d’être confirmée dans deux élections régionales. Le parti BSW est appelé une gauche conservatrice (je ne sais comment on dit en Allemagne). Pour éviter le mot gauche, je préfère dire un acteur de la démocratie sociale contre la démocratie sous influence. BSW va subir une campagne de dénigrement à commencer par le refus de traduire le livre de Sahra Wagenknecht qui explique sa stratégie (Contre la Gauche néolibérale) et qui a été traduit en Espagne et en Italie. Médiapart va être en pointe avec déjà cet article : Allemagne : un conservatisme de gauche surtout conservateur. Conserver le terme gauche fausse l’analyse car le but est de rassembler un électorat bien au-delà de la gauche. C’est comme quand on place Ruffin entre le mélenchonisme et le hollandisme (ce qui est vrai) mais c’est enfermer une position au sein de la gauche donc c’est l’échec garanti. La question de l’immigration par exemple mériterait un développement nouveau. Aujourd’hui elle n’a plus le côté sporadique d’autrefois pour devenir une question structurelle chargée d’avenir et répondre avec les seuls bons sentiments d’hier ne suffit plus.
En février 2024 Marianne avait donné la parole à Sahra Wagenknecht et on pouvait comprendre son projet social global qui vise clairement l’émancipation de tous. Donc une stratégie à méditer.
J-P Damaggio
P.S. Les autres membres du groupe de Gauche
Belgique Parti du Travail de Belgique (1) / Partij van de Arbeid van België (1)
Chypre Parti progressiste des travailleurs (AKEL) (1)
Danemark, Alliance rouge et verte (1)
Finlande Alliance de gauche 3
Irlande, Sinn Féin, Independent (3)
Pays-Bas, Parti pour les animaux (1)
Portugal, Bloc de gauche (1), Parti Communiste Portugais (1)
Suède Parti de gauche (2)