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Pour regagner l’électorat R.N., Justice sociale, morale et décence commune

lundi 16 septembre 2024, par Jacques COTTA

Depuis les années 1980 la vie politique française est rythmée par la progression continue du Front national devenu Rassemblement national. En règle générale, la formation de la famille Le Pen est jugée infréquentable durant les périodes électorales, alors qu’en dehors, en fonction de l’usage qui peut en être fait, elle est un des acteurs pivots de la vie politique. Les derniers évènements constituent une illustration caricaturale. D’un commun accord, macronisme et mélanchonisme ont appelé à un front républicain pour faire barrage au RN, et une fois les élections passées c’est le RN qui est installé dans le rôle d’arbitre pour adouber le futur premier ministre nommé par Macron, Michel Barnier en l’occurence. Tout cela relève d’une mauvaise farce qu’il est utile de reprendre dans le détail pour tirer les conclusions nécessaires à la résolution de la situation dans laquelle la France et les Français sont embourbés depuis plus de 40 ans. La question qui se pose est en effet claire : comment un parti pourrait regagner la confiance et l’adhésion de millions de Français qui se sont d’abord détournés de la gauche, puis plus profondément qui marquent des signes d’écoeurement pour tout ce qui concerne le monde politique et plus, pour la politique elle-même ?

Les explications courantes concernant le RN sont plus ou moins convaincantes, parfois fantaisistes notamment lorsqu’elles font appel à un imaginaire fantasmagorique.

  • Le FN serait un parti fasciste.
    La qualification médiatique qui voudrait en faire un parti d’extrême droite fascisant ne tient pas la route. Un parti fasciste se caractérise par une action intransigeante au compte du capital qui n’a d’autre solution pour mater les organisations ouvrières que d’utiliser la force de milices comme dans les années ouvertes en 1933 en Allemagne ou encore en Italie. En réalité, nul besoin d’un tel parti aujourd’hui en France. L’Union européenne et la confédération européenne des syndicats ont fait leur oeuvre pour annihiler toute indépendance de classe des organisations syndicales. Et pour les partis politiques (j’y reviendrai), nul besoin de terroriser des chefs de gauche dont l’engagement démontre leur attachement au système capitaliste.
  • Le FN serait raciste.
    La haine de l’étranger a en effet nourri et continue de nourrir nombre de cadres du RN. Mais est-ce que pour autant les 10 millions et plus qui votent pour ses candidats sont racistes, xénophobes, antisémites ? 10 millions, c’est en gros un électeur sur 4. Il suffit de regarder autour de soi pour répondre par la négative à la question. Même si le racisme est d’ailleurs une donnée, pour le RN, et d’ailleurs pas seulement pour lui.
  • Les médias auraient fabriqué le FN puis le RN.
    « Faiseurs de rois », les Médias ont en effet oeuvré, à la demande du monde politique dont ils sont redevables, pour ériger tel évènement et mettre en avant telle déclaration qui permettent au RN de surfer en toute quiétude. Ajoutons à cela quelques faits divers non pas fantasmés, mais bien réels, ou la série d’attentats sur notre territoire pour comprendre, comme l’explique Jérome Fourquet, ce qui « va relier quatre grandes séries de faits historiques apparemment distincts mais qui vont faire système et sens pour une large partie des couches populaires : l’histoire de l’immigration, l’historique de la crise des banlieues, l’historique du terrorisme en France et dans le monde et la géopolitique du monde arabe caractérisée par la montée en puissance du djihadisme. »
  • La structure familiale et les facteurs culturels.
    Il y a une quarantaine d’années, Emmanuel Todd et Hervé Le Bras publiaient « L’invention de la France » et plongeaient dans les spécificités culturelles du pays pour dénicher les grandes tendances. Ils constataient que la famille de type communautaire, parce qu’elle est à la fois égalitaire (l’héritage ne favorise pas un enfant) et autoritaire (les enfants cohabitent avec les parents) correspondait alors aux zones de force de la gauche (la Provence, le Nord, le sud-ouest). La famille autoritaire ou souche des zones catholiques (l’héritage favorise un seul enfant qui cohabite avec ses parents) penchait à droite (Alsace, Bretagne, Savoie, Pays Basque). L’étude est d’autant plus intéressante lorsqu’on constate le basculement dans ces quarante dernières années vers le FN. Dans le nord industriel, dans la Provence ou le Sud-Ouest viticole, on était alors socialiste ou communiste. Aujourd’hui on est frontiste.
  • L’environnement spatial.
    Christophe Guilluy, « géographe social » et Jacques Lévy « spécialiste de géographie politique » proposent chacun à leur façon de grands modèles explicatifs des comportements électoraux en analysant de manière globale les liens entre choix résidentiels, ancrages territoriaux et pratiques socioculturelles. Les travaux sur la « France périphérique » et l’évolution spatiale des inégalités sociales depuis une trentaine d’années de Christophe Guilluy ont éclairé l’irruption des Gilets Jaunes fin 2018 et ensuite, l’occupation des ronds-points et les manifestations à répétition dans toute la France.

Les facteurs qui permettent de comprendre la situation sont donc multiples. Pour les plus récents, ils remontent à quelques dizaines d’années. Aucune explication isolée n’est cependant satisfaisante.

L’état des lieux

En 1981, Jean Marie Le Pen, alors chef incontesté du FN, ne parvient pas à se présenter à la présidentielle, faute de n’avoir pas recueilli le nombre de signatures nécessaires pour son parrainage. En 2024, Marine Le Pen, la fille cadette devenue leader du RN depuis 2011 s’affirme comme leader du premier parti de France, en recueillant plus de 9 millions de voix. En moins de 40 ans donc, la percée électorale du FN devenu RN a été fulgurante.

La progression a été progressive et continue et ce que j’abordais dans le magazine « Envoyé spécial » dans « Front National, la nébuleuse » [1], sur la nature sociale hétérogène du FN qui en a fait sa force, a été confirmé dans les faits.

En 1983, le landerneau politico médiatique s’étonne du résultat électoral de la ville de Dreux qui pour la première fois consacre le FN à la tête d’une commune de plus de 30 000 habitants. Tous les ingrédients sont alors présents, permettant d’envisager la suite. Pourtant, nul ne veut voir. Le FN avec Jean Pierre Stirbois réalise plus de 16% des voix dans cette cité dortoir située non loin de Paris, peuplée à 23% d’immigrés, main d’oeuvre à bon marché, dans un contexte de chômage massif. L’alliance avec le RPR et l’UMP permet au RN de faire une entrée fracassante au conseil municipal et d’y donner une signification nationale. Stirbois analyse son résultat avec lucidité :
« je dis ouvertement ce que beaucoup pensent en silence et je vais donc recueillir le suffrage de ceux qui votaient communiste, socialiste ou même RPR ».
Et la réponse du candidat d’union de la gauche Marcel Piquet préfigure la politique menée aujourd’hui par une gauche déconfite :
« le combat n’est plus entre gauche et droite mais entre républicains et ceux qui ne le sont pas ». Mais sur les sujets qui font la force du FN, pas un mot.

En 1986, forts des calculs de Mitterrand qui cherche à s’appuyer sur le FN pour affaiblir la droite traditionnelle et qui appuie le mode de scrutin proportionnel départemental à un seul tour pour les élections législatives, 35 députés frontistes font leur entrée au Palais Bourbon. Là encore aucun combat sur le fond des sujets mis en avant par l’organisation de Jean Marie Le Pen. L’invective fort peu productive tient lieu d’argument. Entre 1986 et 1988, les députés du FN déposent 63 propositions de loi. Aucune n’est alors discutée, à l’exception de la loi relative à "la reconnaissance de la vocation internationale de l’Association internationale des parlementaires de la langue française." 

En 1995 le FN poursuit donc sa percée. Orange, Marignanne, Toulon, Vitrolles, tombent dans son escarcelle. Et depuis 2014, le FN a ravi 11 villes, dont Hénin Beaumont, dans le Pas-de-Calais, Beaucaire, dans le Gard, ou encore Fréjus, dans le Var.

En 2002, Le Pen père devance Lionel Jospin, le candidat socialiste, et s’offre un deuxième tour face à Chirac. Jospin arrive en tête dans 9 départements lorsque Le Pen bat tout le monde dans 34 départements, cumulant plus de 16% des voix exprimées avec plus de 4 millions d’électeurs. Le score du leader du Front national confirme son implantation dans le Nord-Est ouvrier et dans le Sud-Est. De façon éclatante apparait le basculement des régions traditionnellement située à gauche vers le Front National. Mais cela n’interpelle pas spécialement les responsables politiques de la gauche défaite. Ils proclament la nécessité de combattre le fascisme —cela nous ramène encore à la situation actuelle— plutôt que de chercher et d’aborder les causes de tels bouleversements.

La suite était dés lors écrite. Avec la montée de Marine Le Pen à la tête du Front, la fin des petites phrases de Le Pen père et l’entreprise engagée de « respectabilité » du FN puis du RN, avec l’introduction à loisir dans ses discours des mots « Démocratie », « République », « Liberté » ou encore « Laïcité », la percée devient fulgurante.

En 2014, le Front national arrive en tête des élections au parlement européen. Certes, le taux d’abstention est énorme pour atteindre les 56%, soit plus de 26 millions de personnes, mais le FN dépasse tout le monde avec 24,86 % des voix, soit le vote de plus de 4 millions de personnes, lorsque l’UMP recueille 20,81%, le PS 13,98%, « le mouvement démocrate » 9,94%, les Verts 8,95% et enfin le Front de gauche 6,61%. Le FN l’emporte dans la majorité des départements.

Ces résultats s’inscrivent donc dans la trajectoire suivie sans rupture par le FN-RN. En 1988 il réalise 14% des voix, en 1995 15%, en 2002 16,86%, en 2007 il connait un tassement à 10,4% mais en 2012 il remonte à 17,9% et en 2017 à 21,7%, soit plus de 10 millions 600 milles voix, lorsqu’en 2022 Marine Le Pen rassemble plus de 13 millions 200 milles électeurs sur son nom. Son ancrage et son renforcement sont impressionnants dans le nord et l’est de la france, où il recueille le vote ouvrier. Il récupère également le vote des territoires ultra marins et en général le vote de gauche, avec une nouvelle percée, notamment en Gironde, terre socialiste depuis 1988. Il progresse dans les villes peuplées de cadres, en milieu urbain donc et aussi rural, dans tous les types de municipalités. Cela aboutit donc à 2024 aux élections législatives anticipées où avec plus de 9 millions 300 milles voix, le RN s’affirme comme le premier parti électoral de France.

D’ores et déjà on peut constater que les discours récurrents du type « le fascisme est à nos portes », « le fascisme ne passera pas », ou autres du même type ne convainquent pas grand monde, tellement ils sont déconnectés des réalités. Ils ne présentent qu’un avantage pour ceux qui s’y prêtent. Ils évitent de chercher les liens qui existent entre désindustrialisation, traitement de la ruralité, et vote Front national. Ils permettent d’éviter d’aborder les responsabilités politiques des organisations et dirigeants qui ont conduit à cette impasse.

Désertion populaire, trahison et abandon

L’idée propagée depuis les années 2000 et la percée irrésistible du FN voudrait que les couches populaires ont basculé en rejoignant donc, sur les bases du racisme et de la sécurité, l’électorat lepéniste. Le Français, le « petit blanc », serait raciste, voilà tout ! Nous ne parlons là que de l’électorat, car pour ce qui concerne l’organisation elle-même, le FN comme le RN aujourd’hui ou symétriquement LFI de l’autre côté, relèvent plus d’une « organisation gazeuse » bâtie autour d’une poignée de chefs que d’un parti constitué fonctionnant démocratiquement avec sections couvrant le territoire.

L’idée du basculement des couches populaires vers l’extrême droite a de nouveau le mérite d’éviter une analyse simple des faits qui dégage les responsabilités. Car ce ne sont pas les couches populaires qui ont basculé de la gauche vers la droite, mais la gauche qui les a sacrifiées, les a abandonnées.

Dés 1982-1983, la soumission à « la construction européenne » conduit François Mitterrand a adopter la position défendue par Jacques Delors du « tournant de la rigueur ».

Alors que le chômage avait été contenu autour du chiffre de deux millions de demandeurs d’emplois jusqu’à la mi-1983, les dix-huit mois qui suivent sont catastrophiques. Fin 1984, c’est près de 2,5 millions de personnes qui cherchent du travail sans en trouver. Automobile, chantiers navals, sidérurgie, charbonnages : par dizaines de milliers, les suppressions d’emploi se multiplient. 

Les entreprises concernées sont pour beaucoup nationalisées, et c’est donc l’État qui met en place directement les mesures de réduction d’effectifs, au moyen d’un plan de restructurations industrielles annoncé en février 1984.

Le plan gouvernemental fait l’effet d’un choc, surtout dans la sidérurgie, et tout spécialement en Lorraine, où la désillusion est à la hauteur des espoirs mis dans la gauche. À la fin des années 1970, François Mitterrand avait en effet soutenu les mouvements sociaux de sidérurgistes qui contestaient les plans de restructuration du gouvernement Barre. La région avait par ailleurs mis ses espoirs dans la construction d’un futur « train universel », un équipement aussi coûteux que moderne, qui aurait été capable de produire tous les types de produits profilés. Après de longues hésitations, le gouvernement, lors du Conseil des ministres du 29 mars, finit cependant par rejeter cette option. Cette décision, ressentie comme une trahison, embrase toute la région : les manifestations, parfois émaillées d’incidents, se succèdent jusqu’à un grand défilé organisé à Paris le 13 avril, sans parvenir à infléchir le pouvoir.

Nous sommes loin des années 71 lorsqu’au congrès d’Épinay du parti socialiste le premier secrétaire Mitterrand s’exclamait à la tribune :
« celui qui n’accepte pas la rupture avec l’ordre établi, avec la société capitaliste, celui-là je le dis, il ne peut pas être adhérent du parti socialiste ».

En avril 1984, devant la presse et en présence des membres de son gouvernement, Mitterrand, président de la république, annonce ce que ni Giscard, ni Barre n’étaient parvenus à faire passer jusque là, un plan de liquidation générale de la sidérurgie. La Lorraine et le Nord sont évidemment en première ligne. Des régions vont être dévastées. Il parle de dispositions industrielles sur la base d’investissements nouveaux, confirme des dizaines de milliers de suppression d’emplois, n’oublie pas dans la liste les Bouches du Rhône, évoque des dispositions sociales qui ne convainquent personne, la mise en place de pré-retraites, ou encore de congés conversion de deux ans pour se recycler, « se former à des technologies nouvelles » …

Le changement de cap politique de la gauche au pouvoir provoque mécontentement, désespoir, colère. Les manifestations sont violentes et ne trouvent sur leur chemin comme réponse principale que les forces de police et de gendarmerie. L’ouvrier se fait matraquer. L’idée que la gauche assume ce que la droite était incapable de faire se répand. Les slogans « tous pourris » ou encore « l’UMP-S » ont de beaux jours devant eux.

Ce qui est vrai dans la Sidérurgie, la mise en pratique des impératifs capitalistes par la gauche au pouvoir, n’épargne en fait aucun secteur. Le Textile, l’industrie en général, mais aussi les fonctionnaires et les services publics au nom de la compétitivité et du « coût du travail ». Les « lois travail » successives, oeuvres de la gauche au pouvoir dans ses différentes périodes, sacrifient l’emploi, le salaire, la stabilité, la vie. Symboliquement les bases mêmes du parti socialiste vont être la cible de déclarations et d’actions destructrices et méprisantes. Claude Allègre, un peu plus tard s’occupe de l’enseignement et de l’éducation nationale, mise à mal par une série de réformes des deux camps, et évoque « ce Mammouth qu’il est temps de dégraisser » [2] Le ministre Bérégovoy s’occupe de la libéralisation des marchés financiers [3] Mitterrand se prononce pour le traité de Maastricht et entérine la soumission totale aux impératifs du capital via l’union européenne. La voie est ouverte aux traités européens successifs, et au déni de démocratie concernant le traité de Lisbonne, rejeté par le peuple, adopté en congres à Versailles par les députés et sénateurs de droite et de gauche réunis.

Sur cette lignée, tous les gouvernements de gauche ont rivalisé pour appliquer la politique contraire aux aspirations populaires qui les portaient au pouvoir. Le gouvernement de Lionel Jospin bat tous les records de privatisations, fait mieux que ses prédécesseurs dont c’était pourtant la marque de fabrique. Et François Hollande, l’homme pour qui « mon ennemi c’est la finance » a participé à la fabrication de Macron et servi comme nul autre les grands patrons du Cac 40 et les financiers des fonds de pension [4] Tous ont rivalisé dans l’abandon de souveraineté et la soumission à l’union européenne et aux intérêts du capital contre ceux du travail.

Sans entrer plus avant dans les détails que l’ont trouvera notamment dans « l’illusion plurielle, pourquoi la gauche n’est plus la gauche [5] » on peut dés lors affirmer que ce ne sont en réalité pas les couches populaires, les ouvriers, les salariés, les jeunes, les retraités, qui ont fait défaut à la gauche, mais la gauche, ses partis, ses chefs qui ont tourné le dos aux couches populaires, les ont trahies et jetées dans les bras du FN dont le discours paraissait au moins avoir le mérite de la dénonciation, le mérite de la simplicité et de la clarté, usait de la démagogie nécessaire pour capitaliser la haine que provoquaient la politique et les représentants de la gauche dans le peuple qui n’était pas résigné à crever.

Abandon revendiqué

Il fallait à la gauche une explication apparemment rationnelle de sa débâcle, une explication ouvrant si possible sur l’illusion offerte à ses quelques troupes de pouvoir encore rebondir. En 2011, Terra Nova, un « laboratoire d’idées » proche du PS, fait paraître une note qui préconise de dire « adieu » aux ouvriers et employés afin de se tourner vers une nouvelle majorité électorale urbaine dans le but de conquérir le pouvoir.

Je reprends ici quelques éléments livrés dans mon opuscule « Wokisme, lgbt+++, Pseudo-féminisme et autres balivernes [6] » :

  • « Cette fondation, dans laquelle on retrouve certains héritiers de la « deuxième gauche », se fixe l’objectif de promouvoir une « matrice idéologique » dans tous les domaines : « économie et finances », « affaires sociales », « économie verte », « éducation », « enseignement supérieur et recherche », « logement et politique de la ville », « sécurité », « immigration, intégration, non-discrimination », « justice », « sport », « Europe », « affaires internationales ». »
  • (…)
  • « Au sein de cette fondation se trouvent des socialistes, rocardiens ou strauss-kahniens, des personnalités diverses telles Rocard lui-même ou Cohn-Bendit, François Chérèque, ancien patron historique de la CFDT, Bernard Spitz, ancien président de la fédération française des assurances, Mathieu Pigasse de la banque Lazard, Jean Peyrelevade, ancien dirigeant du Crédit lyonnais, Denis Olivennes, ancien d’Europe 1 et co-gérant de Libération, ou encore Olivier Duhamel ancien député européen socialiste, puis président de la fondation nationale de sciences politiques, avant d’être contraint à la démission suite aux révélations de Camille Kouchner, fille de Bernard, et belle-fille de Duhamel qu’elle accuse d’inceste, de viol et d’agressions sexuelles répétées « pendant des années ». Il y en a encore beaucoup d’autres, dont Rokhaya Diallo, chantre du différentialisme, proche de la France Insoumise qu’elle n’hésite cependant pas à affaiblir en mettant directement en cause Éric Coquerel, juste élu à la présidence de la commission des finances à l’Assemblée nationale, pour des histoires de mœurs. »
  • (…)
  • « Terra Nova se fixe l’objectif de refonder idéologiquement la social-démocratie, en assumant ce que Michel Rocard lui-même avait eu l’ambition de réaliser trente ans auparavant. Il s’agit en réalité d’entériner la liquidation des bases du Parti socialiste, toute attache aux ouvriers, aux employés, toute référence à la lutte des classes, de passer définitivement d’une logique d’affrontement sur des intérêts antagonistes à une logique de collaboration, de soumission… »
  • (…)
  • « Dans une de ses recommandations, Terra Nova indique ainsi que la coalition historique qui a porté la gauche depuis près d’un demi-siècle, fondée sur la classe ouvrière, est en déclin :
  • « Les ouvriers votent de moins en moins à gauche »
  • précisent les rédacteurs pour conclure tout naturellement :
  • « la gauche doit donc passer des valeurs socioéconomiques au facteur culturel : la tolérance, l’ouverture aux différences, une attitude favorable aux immigrés, à l’islam, à l’homosexualité, la solidarité avec les plus démunis ».
  • Et pour enfoncer le clou sur les choix stratégiques qu’ils recommandent, les rédacteurs insistent sur l’opposition avec la classe ouvrière qu’elle accuse ainsi :
  • « dans son déclin — montée du chômage, précarisation, perte de l’identité collective et de la fierté de classe, difficultés de vie dans certains quartiers — elle donne lieu à des réactions de repli : contre les immigrés, contre les assistés, contre la perte de valeurs morales et les désordres de la société contemporaine ». 
  • « Ainsi donc, au nom « des valeurs », bien qu’ils s’en défendront par la suite, les rédacteurs de Terra Nova désignent la classe ouvrière comme l’ennemi de la gauche qui aspire au pouvoir. L’exploitation capitaliste peut donc avoir de beaux jours devant elle. Le cœur de cible de la gauche devrait être constitué des « minorités, diplômées, des « jeunes, des minorités des quartiers populaires, des femmes, des populations urbaines, des populations moins catholiques », tous unifiés par « des valeurs culturelles progressistes ». C’est ainsi « La France de demain » que définit Terra Nova, « tolérante, ouverte, solidaire, optimiste, offensive », une France opposée « à un électorat qui défend le présent et le passé contre le changement, qui considère que la France est de moins en moins la France », opposée au fameux « c’était mieux avant », opposée à un électorat « inquiet de l’avenir, plus pessimiste, plus fermé, plus défensif ». En fait :
  • « la France de demain » doit s’opposer au socle historique de la gauche, aux ouvriers, à la France qui travaille, les « insiders », coupables aux yeux de Terra Nova de « sacrifier les nouveaux entrants pour préserver les droits acquis ».
  • Avant l’heure pointait déjà le discours qui dix ans plus tard avait cours pour condamner notamment ces « égoïstes de Gilets jaunes « qui roulaient au diesel pour leur bien-être au détriment de l’écologie et de la planète ».

De la sorte, en condamnant la base sociale historique de la gauche, Terra Nova légitime toutes les atrocités que la gauche dans l’exercice du pouvoir a fait subir aux plus démunis, aux ouvriers, salariés, jeunes ou retraités.

  • « Pour conforter son analyse, la fondation Terra Nova fait appel à mai 1968 qu’il faut réduire à une période anecdotique, sans réelle signification politique. La grève générale est « synonyme de liberté sexuelle, de contraception, d’avortement et de remise en cause de la famille traditionnelle ». Bel exercice de révisionnisme qui omet de considérer la grande grève générale de mai 1968 comme celle qui a mobilisé la totalité du pays pour en finir avec le gaullisme, comme une des plus grandes crises révolutionnaires que la France a connues.
  • Mai 1968 que la Fondation Terra Nova ramène aux préoccupations de dortoirs, de mixité, de liberté sexuelle, est d’abord une formidable explosion sur le terrain social, qui met en jeu les classes, dont la classe ouvrière, les salariés et les jeunes. Elle est le produit des exigences du capital sur tous les terrains, des attaques contre la classe ouvrière à travers le Ve plan, de la réforme Fouchet, des ordonnances de 1967, le produit d’une lente maturation au sein des masses poussées à la lutte par l’offensive de la bourgeoisie, de son État, du capital. Mai 1968 s’inscrit de plus dans la lutte mondiale du prolétariat qui veut se débarrasser de ses chaînes. »

Ce qu’il faut taire là, c’est la capacité de millions d’hommes et de femmes en 1968 à poser la question du pouvoir notamment à travers la constitution des comités de grève et d’un comité national de grève comme expression du double pouvoir, celui du peuple, des travailleurs, des exploités face à l’état et son pouvoir gaulliste. Et taire surtout l’acharnement des directions syndicales et politiques, parti communiste alors en tête, pour trahir les aspirations historiques du moment… C’est aussi dans ces trahisons que s’inscrivent un peu plus tard les percées du FN et la situation actuelle.

Mélenchonisme, Macronisme ...

Plus de dix années se sont écoulées depuis cette note de Terra Nova. Aujourd’hui son succès ne fait plus aucun doute. Terra Nova initiait sans en employer le terme le wokisme qui a fait des ravages dans les esprits qui se veulent éclairés.

Le wokisme (dont j’ai abordé la nature et certaines de ses manifestations dans « Wokisme, LGBT+++, Pseudo-féminisme et autres balivernes »), idéologie en réalité partagée par la droite et par la gauche, en vogue au sein de la petite bourgeoisie, portée par les médias au nom de la modernité, est en effet l’auxiliaire du capitalisme. Il relativise les comportements, essentialise les individus qui comptent pour ce qu’ils sont, leur appartenance à un groupe donné, et non pour ce qu’ils font, pour la nature de leurs actes.
Ainsi, aux classes sociales sont substituées les minorités de genre, « racisées », « post-coloniales », « religieuses », de pratiques sexuelles, LGBTQ +++, les noirs, les femmes, et autres dominées et discriminées par « le patriarcat blanc et post-colonial » représenté en général pour le woke par « l’homme blanc de plus de 60 ans, qui plus est hétérosexuel ».

Le pouvoir politique se régale, enfourchant toutes les batailles sociétales pour mieux organiser l’oppression sociale. L’avortement constitutionnalisé (alors que nul ne le remet en cause), la PMA ou la GPA pour tous, le mouvement Metoo qui rythme non seulement le festival de Cannes, mais la vie politique dans son ensemble, les évènements à retentissement international, telles les inaugurations ou clôtures des JO retransmis à l’échelle planétaire, le néo-féminisme opposé au féminisme tout court et à l’égalité des droits dont le premier, l’égalité de salaire, font les choux gras du pouvoir en difficulté. La remise en cause du wokisme n’est en rien une acceptation des faits extrêmement graves et condamnables, tels la violence faite aux femmes dont les woke se saisissent, ou encore les manifestations racistes lorsqu’elles se produisent. C’est l’instrumentalisation qui est en cause, l’usage politique que le capital en fait pour mieux diviser et en définitive régner. C’est la nature du wokisme, béquille idéologique du capitalisme en crise, qui est en cause.

Sur les valeurs véhiculées par le wokisme, le terrain est à nouveau laissé libre au RN qui recueille les fruits du dégoût provoqué. D’autant que les partis se renvoient la balle à loisir. Le macronisme a beau jeu de prendre toutes les mesures sociales contre la masse des Français, comme le demandent ses donneurs d’ordre, et d’adopter une posture « d’ouverture d’esprit » en se fendant de déclarations sociétales qui réjouissent la gauche.

Pour le mélenchonisme, la mue semble achevée. Dans un entretien au quotidien italien « la Reppublica » Jean Luc Mélenchon revendique l’abandon des classes populaires au RN. Tourné vers la « nouvelle France » des centres villes, des quartiers, des banlieues, la « France créolisée », concept qui lui permet de chercher un électorat de substitution à celui que la gauche a définitivement abandonné, adoptant à sa façon les recommandations de Terra Nova plus de dix ans après leur formulation, il insulte directement les électeurs des zones périphériques qu’il ne s’agit plus de chercher à ramener vers la gauche, ces électeurs qui constitueraient « la vieille France » incarnée par le vote RN.
A la question :
« Pensez-vous que ce soit possible de reconquérir les électeurs du Rassemblement National ? »
Le leader de La France insoumise répond sans détour :
« Nous avons proposé un salaire minimum à 1 600 euros, la restauration des maternités, la réouverture des écoles dans les zones périphériques… ça ne marche pas, et vous savez pourquoi ? Leur priorité, c’est le racisme. Leur problème numéro 1, c’est les Arabes et les Noirs. Le Pen cherche à conquérir la droite, et la droite peut devenir majoritaire seulement grâce à un instrument de division du peuple : le racisme. »

Pour les élections, Mélenchon en appelle directement aux vote communautaire, celui des croyants dans l’Islam —dont certains représentants ont été investis directement— celui des féministes, celui des « racisés »… Evoquant « la France au pied du mur » devant choisir « qui elle est », il affirme que « ceux qui s’appellent Français de souche posent un problème sérieux à la cohésion de la société » [7] Il va donc jusqu’au bout, condamnant les Français pour ce qu’ils sont !
Il mélange à loisir les « immigrés corses, bretons, maliens, algériens, marocains… » pour ne pas parler de ses accointances avec l’Islam politique, et évoque « la refondation de la France » et « cette nouvelle France que nous devons avoir à l’esprit quand nous entreprenons la politique du nouveau Front populaire ».

Ainsi donc, la boucle semble bouclé. Mélenchon reprend malgré les échecs à répétition les arguments sur le racisme et par la même occasion range les plus démunis dans le camp des fascistes, pour ne pas aborder le fond de la politique dont la gauche est responsable et qui a poussé des millions dans les bras du RN. En même temps, c’est évidemment la politique du RN que la gauche en général et Mélenchon en particulier laissent de côté.

… Et Lepénisme

La gauche est non seulement responsable de la percée électorale du FN - RN, dans les bras duquel elle a jeté des millions d’électeurs désorientés, mais elle porte également la responsabilité du mirage politique que représente le parti lepéniste en évitant la discussion politique au profit des critiques en « fascisme » dont on connaît la suite. Le FN -RN qui se présente comme le parti des « petits », des « désavantagés », des « défavorisés » alors qu’il n’en n’est rien. Sans entrer ici dans les détails, quelques éléments précis permettent de cerner le sujets.

Sur le plan économique le FN-RN vit sur le flou pour tenter de ratisser large entre plusieurs clientèles qui lui donnent son poids électoral.

- Sur le pouvoir d’achat il s’oppose à l’augmentation du SMIC, propose la baisse des cotisations sociales —c’est à dire la baisse du salaire différé, socialisé, vieux rêve des capitalistes— et l’encouragement à verser des primes au mérite, c’est à dire à la tête du client, objet de division du monde du travail…

- Sur le chômage, Marine Le Pen se veut virulente : « Je suis opposée à la philosophie qui est la vôtre —dit-elle aux macronistes— vis à vis de l’indemnisation du chômage. Elle consiste à considérer que si les gens sont au chômage c’est en gros de leur faute… »
Le discours de Marine Le Pen est à prime abord un discours syndical de base des plus respectables. A prime abord seulement, car en même temps, elle propose d’amender la loi en disant : « si on vous propose un CDI à l’issue d’un CDD et que vous le refusez, vous êtes considéré comme démissionnaire, comme ayant choisi une démission qui ne vous ouvre pas droit aux allocations chômage. »
Bref, si vous refusez de pérenniser votre embauche dans un boulot insupportable, un « boulot de forçat » ou encore « un boulot de merde » comme on dit communément, et bien fini le chômage….

D’autres exemples vivants illustrent bien la nature du Rassemblement national.

- Durant la grève des retraites, dans les raffineries, Marine le Pen a dit soutenir les revendications, mais condamner les grèves et approuver les réquisitions des salariés.
Le Rassemblement national est ainsi partisan de l’ordre, l’ordre social, contre toute manifestation qui remet en cause la propriété privée et sur le fond les privilèges des fortunés, en l’occurence des pétroliers.

Les exemples sont multiples et vont tous dans le même sens. Au parlement européen :

- le Rassemblement National vote contre la loi destinée à tenir pour responsables les multinationales en cas de violation de droits humains ou dommages environnementaux…
Les multinationales peuvent être reconnaissantes !

- Concernant la levée de brevets sur les vaccins, le Rassemblement National vote également contre. La propriété intellectuelle de big Pharma dénoncée par les Gilets jaunes hier est bien protégée….
Là ce sont les grandes firmes pharmaceutiques qui peuvent être reconnaissantes.

- Sur la défense des travailleurs ubérisés pour qu’ils bénéficient des mêmes protections sociales que les travailleurs sous contrat de travail, ils s’abstiennent…
Monsieur Uber est très reconnaissant…

Bref, pas besoin de diaboliser le rassemblement national en évoquant le fascisme pour ne pas adopter sa politique. Il est un parti de défense des capitalistes, comme l’est Renaissance de Macron et quelque autres.

La seule différence entre Macron et Le Pen réside dans la reconnaissance que porte le système, la 5e république, à l’un plus qu’à l’autre. Mais pour la politique, l’un et l’autre sont synonyme de défense des intérêts capitalistes contre les ouvriers et salariés…

Justice sociale, morale, décence commune

Ce que la gauche a réalisé pour abandonner les classes populaires, les ouvriers, les salariés au RN indique déjà tout ce qu’il ne faut pas faire pour tenter de les regagner. Pour construire un parti qui rassemble et extraie du RN des millions d’hommes et de femmes, il faut :
-définir une politique sociale qui réponde aux besoins généraux.
-définir et respecter un sens moral, une décence commune, au sens employé par Georges Orwell, qui réponde au respect du plus grand nombre.

a/ Pour la politique sociale, l’énoncé d’un catalogue ne peut convaincre personne, tellement des promesses ont été faites et surtout n’ont pas été respectées. Ce qui compte, ce sont évidemment les mesures urgentes, vitales pour le plus grand nombre, mais ce qui est fondamental pour convaincre, c’est la trajectoire, le projet dans lequel s’inscrit toute perspective à court et moyen terme.

Pour commencer, il faut rompre avec la même logique, le même scénario qui domine depuis des décennies et qui consiste à s’adapter au système, au capitalisme, en tentant dans le meilleur des cas d’en atténuer les défauts les plus visibles. L’enjeu est assez clair : La catastrophe démocratique, économique, sociale, intellectuelle et humaine, militaire. C’est la communauté humaine, le monde, qui risquent donc de se retrouver plongés dans un chaos effrayant.

Pour relever le pays et permettre aux citoyens de prendre la part qui leur revient dans cette oeuvre collective, il faut commencer par restaurer la démocratie à tous les niveaux, du plus bas échelon au sommet de l’état, et reconquérir notre souveraineté. La démocratie restaurée devrait permettre au citoyen de prendre part aux décisions à tous les niveaux pour la politique publique, comme pour ses affaires privées, dans le cadre de ses associations, syndicats, partis.

Regagner notre souveraineté nationale, cela signifie la possibilité de décider nous mêmes de nos propres affaires sans que nul ne puisse « de l’extérieur » comme cela est le cas aujourd’hui avec l’Union européenne, imposer un point de vue qui nous est étranger. Reconquérir notre souveraineté industrielle, monétaire, culturelle, alimentaire… Aucune décision européenne ne devrait être entérinée si au préalable le débat n’a pas été mené dans le cadre des frontières nationales pour accepter ou refuser en fonction de nos propres intérêts.

Un projet national sérieux passe par le respect des besoins immédiats des millions d’hommes et de femmes qui ont des difficultés à survivre. Jamais la précarité n’a été aussi importante. Le logement, la nourriture, la santé, l’éducation, l’énergie, sont des besoins vitaux qui aujourd’hui ne sont pas satisfaits. Ils doivent être affirmés comme une priorité immédiate. Dans notre pays qui compte dix millions de citoyens qui vivent dans des conditions de pauvreté ou de précarité, où l’écart des salaires et des revenus n’a cessé de s’accroitre, des mesures volontaristes de justice sociale, et donc fiscale, devraient pouvoir être prise sans que nul ne rechigne.

Un projet social immédiat devrait donc passer par une planification économique, une revalorisation de l’éducation et de la formation, des moyens financiers dégagés et une justice sociale réactivée permettant de rendre attractif le travail là où il n’est perçu que comme contrainte sans intérêt autre que l’obtention d’un salaire. La place que le travail devrait retrouver est double. Matérielle d’abord avec la création de milliers d’emplois et la répartition du travail dans les mains disponibles pour l’accomplir. Morale aussi et surtout, en faisant du travail non une contrainte, mais un plaisir dans lequel l’utilité de chacun permet de trouver sa place dans un objectif collectif. Pour développer le travail à tous les niveaux, pour permettre l’épanouissement et l’utilité sociale de chacun, un mixte entre coopératives ouvrières ou paysannes, regroupements de producteurs à l’échelon local, et planification nationale, pourrait constituer une voie à explorer.

Un projet national basé sur la reconquête de notre souveraineté et sur l’exercice de la démocratie est incompatible avec les institutions de la 5ème république. Le projet national devra réaffirmer les valeurs républicaines de Liberté, Egalité, Fraternité et Laïcité, en toute circonstance, aujourd’hui vis à vis de l’islamisme politique comme hier vis à vis de l’Eglise catholique. A ce titre, la sécurité, thème abandonné au RN, à laquelle aspirent d’ailleurs les plus démunis, doit être considérée comme une priorité, la sécurité au sens large, au travail, dans la vie, et dans la cité. De même l’immigration, autre thème abandonné au RN, doit être envisagée comme un sujet de première importance, pour les français de souche (en déplaise à Jean Luc Mélenchon) comme pour les immigrés eux-mêmes qu’il est indécent de laisser s’entasser sur le territoire, laissés à l’abandon, accepté par un faux humanisme qui se révèle être totalement inhumain. Des mesures existent pour accepter ou refuser la présence sur le territoire national de nouveaux arrivants, en fonction de critères clairement définis, qui ne demandent qu’à être respectées, sans démission ni surenchère. [8]

Un projet national doit s’appuyer sur une formation à la citoyenneté qui relève entre autre de l’école. Cet objectif nécessite de remettre à plat toutes les réformes qui ont dénaturé l’enseignement pour en abroger le plus grand nombre et restaurer la mission première de l’école qui est d’enseigner, d’éduquer. Cela passera par une réhabilitation idéologique, professionnelle, et salariale des professeurs et des personnels, et par une réévaluation des programmes à enseigner pour redresser le niveau et renouer avec l’exigence minimale qui doit être celle de l’éducation nationale. Plus généralement, avec l’éducation, c’est la culture au sens large, dans tous les domaines — artistique, musical, théâtral, cinématographique, littéraire, … — qui devrait être encouragée en direction du plus grand nombre, comme cadre de réflexion, de découverte, d’interrogation, d’épanouissement.

Un projet national passe par la réindustrialisaton du pays, condition de notre indépendance. Tel est l’enjeu. L’économie est destinée à être au service de l’homme, et pas l’inverse.

Un projet national passe par la prise en compte de la question écologique et climatique indissociable de la nature même du système capitaliste pour qui résonner à plus de quelques années est rendu impossible par la recherche de profits immédiats. L’Allemagne a réouvert ses usines à charbon extrêmement polluantes. Les américains se sont lancés dans la fragmentation, laissant souvent des champs de ruines là où ils avaient engagés des moyens colossaux. Sur le plan écologique, un pas supplémentaire vers la catastrophe est engagé et sur le plan économique et social, les conséquences sont déjà perceptibles, avec un prix de l’énergie répercuté qui pèse et ampute tout budget. Nous possédons quant à nous la maitrise du nucléaire avec les risques qu’il serait absurde de nier. Nous ne savons traiter à terme les déchets et nous avons déjà eu grandeur nature la démonstration d’accidents dramatiques de centrales à travers le monde. Mais du point de vue de la fourniture immédiate d’énergie, nul n’a aujourd’hui mieux à proposer. Le nucléaire impose la sécurité, et donc la recherche sans compter.

Un projet national exige la réaffirmation et la réappropriation de nos services publics qui s’avèrent indispensables et qui sont liquidés peu à peu car soumis au capitalisme et aux lois du marché. Quels que soient les termes employés, l’idée est de remettre dans les mains de la nation ce qui jamais n’aurait dû lui être enlevé.

Un véritable projet national appelle à la mobilisation, au soutien populaire, à la prise en charge par les citoyens eux-mêmes de leur propre avenir.

b/ La notion de « décence commune », ou encore de « décence ordinaire », a été entrevue par Georges Orwell au tournant des années trente dans ses multiples expériences d’infiltration du milieu des sans-abris, des mendiants, des chemineaux, des trimardeurs, des cueilleurs de houblon, et apparaît lors de son enquête sur la vie des mineurs dans le nord de l’Angleterre en 1936.
C’est cette expérience qui, selon ses dires, va constituer le moment-clé dans sa prise de conscience politique de l’injustice sociale et dans sa conversion au socialisme démocratique.
C’est dans ce contexte d’une description quasi sociologique de la vie rude et misérable des mineurs anglais qu’Orwell va évoquer la common decency.

La « décence commune » ou encore « décence ordinaire » à laquelle aspirent les travailleurs dépendants et indépendants, les ouvriers, les salariés, l’ensemble des citoyens, demande d’abord le respect contre le mépris. Le mépris est aujourd’hui une marque commune au monde politique de tout bord, aux soit disant élites qui assènent sans débat, sans échange, sans reconnaissance de l’autre. Le respect passe par la considération. Là est le point de départ.

La « décence commune » ou « décence ordinaire » exige de se dresser contre l’exploitation, la sienne bien sûr mais au même titre contre l’exploitation de l’autre, contre la négation de la liberté, contre la volonté de soumettre le plus faible ou désavantagé par la force.

La « décence commune » appelle une attitude générale de bienveillance. C’est généralement elle qui domine dans les relations de solidarité et de fraternité que crée le lien social et que dénature, voire détruit, le capitalisme et la course incessante au profit, génératrice d’individualisme, de laisser-faire, d’indifférence.

La « décence commune » revient au respect de quelques principes moraux naturels, produits de la vie ordinaire, qui permettent simplement la vie collective la plus harmonieuse possible.

Justice sociale et respect moral, voilà quelques éléments qui pourraient sans doute permettre à un parti socialiste d’un type nouveau de s’adresser aux millions désorientés, désabusés, démoralisés pour offrir une perspective autre que l’impasse du RN. Le RN n’est pas un parti d’opposition au système comme il se présente, mais un parti de rechange. Un parti de rupture avec le système établi, avec le capitalisme est à reconstruire. Il n’y a là que quelques pistes pour tenter l’entreprise.

En guise de conclusion

Une fois définie la trajectoire, le contenu général d’un projet national basé sur le respect de la « décence commune » ou « décence ordinaire », il est possible d’évoquer quelques pistes d’actualité, immédiatement empruntables.

En disant non à la guerre en Ukraine, à la soumission de la France à l’UE et à l’OTAN, en se prononçant pour une solution négociée pour éviter notamment le grand cataclysme envisagé un peu plus chaque jour de toute part, en refusant de verser des milliards pour les efforts de guerre ukrainien, au profit de l’économie d’armement et des capitalistes qui s’enrichissent sur le dos de la misère humaine, des ravages de la guerre, de lamort, il serait possible de réaffecter les sommes considérables au budget de l’état pour le bien-être de la population confrontée à l’urgence. L’école, la santé, les transports, les services publics en général pourraient ainsi bénéficier de besoins urgents qui font défaut.

Les mesures économiques et sociales immédiates doivent renouer avec le mouvement ouvrier et ses intérêts —en évitant le terme de gauche qui ne veut plus dire grand chose et qui est plus repoussoir qu’attirant— en privilégiant le combat pour la justice sociale, pour l’égalité, contre la pauvreté, contre l’écart toujours croissant entre riches et pauvres, et en même temps la politique culturelle doit rompre avec le wokismme— néo féminisme, sexisme, racisme, véganisme, écriture inclusive…—, cette fausse modernité, ce soit disant progressisme et « libéralisme » intellectuel éloigné des préoccupations des classes populaires et rejeté par le plus grand nombre des ouvriers et salariés.
Parmi les questions qui embourbent la situation depuis des années, l’immigration et la sécurité doivent être traitées sans détour. La sécurité est un droit pour tous les citoyens, qui doit être respecté. L’immigration régulière et légale doit être reconnue, sans distinction de droit avec les travailleurs français notamment. Mais l’immigration clandestine doit être réprimée, dés lors que la France n’est pas en mesure d’accueillir socialement, et donc d’héberger. Certaines questions tabous aujourd’hui, devraient être abordées sans crainte, notamment la suppression de toute aide financière et sociale aux migrants ne bénéficiant pas du droit d’asile et l’augmentation de l’aide au développement.

Résolument socialiste sur le plan économique et social, « conservateur » sur le plan moral, comme le propose d’ailleurs en Allemagne Sahra Wagenknecht dont la formation vient de faire une percée en dépassant Die Linke, déterminé pour le respect de la « décence ordinaire », un parti clairement défini devrait pouvoir s’adresser aux masses qui pour leur majorité sont désabusées, tournent le dos à la politique et à la maitrise de leur avenir, et qui pour une part se fourvoient dans le vote RN qui entretient le système.

Y a t-il une autre voie ?

Jacques Cotta
Le 13 septembre 2024


[1"Front National, la nébuleuse", France2, 1992

[2« Qui veut la peau des services publics », ed. Gawsewitch 2011.
https://www.amazon.fr/Qui-veut-peau-services-publics/dp/2350132501.

[3« Un CDD sinon rien », ed. Gawsewitch 2012.
https://www.amazon.fr/CDD-sinon-rien-Jacques-Cotta/dp/2350133281.

[4« L’Imposteur », ed. Balland 2014.
https://www.amazon.fr/Limposteur-Jacques-Cotta/dp/2350134601.

[5« L’illusion plurielle, pourquoi la gauche n’est plus la gauche », ed Lattès 2001.
https://www.amazon.fr/Lillusion-plurielle-Pourquoi-gauche-nest/dp/2709621983

[6« Wokisme, lgbt+++, Pseudo-féminisme et autres balivernes », Independently published 2022
https://www.amazon.fr/Wokisme-LGBT-Pseudo-f%C3%A9minisme-autres-balivernes/dp/B0BMM6FM2Z

[7propos tenus en Meeting en juin 2024.

[8« L’immigration, réalité, causes et solutions »
https://www.la-sociale.online/ecrire/?exec=article&id_article=1101

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