Stathis Kouvélakis dans un de ses ouvrages, déplorait à juste titre l’incapacité des classes exploitées à capitaliser leurs expériences et évènements révolutionnaires tout au long de leur histoire.
Force est de constater qu’il avait bien raison et que ce manque persiste encore .
Cette incapacité peut s’observer dans tous les pays et toute l’histoire des peuples. La délibération publique et organisée de la démocratie grecque des Ve et IVe siècles avant notre ère, les harangues sur le comitium romain sous la république, les débats des assemblées villageoises paysannes de la chute de l’empire romain jusqu’aux grandes Jacqueries, les débats des assemblées primaires de 1791 au coup d’Etat de Bonaparte en 1799, les joutes de banquets et les disputes des Ateliers nationaux en 1848, les concertations des Comités et assemblées d’arrondissements sous la Commune de Paris, les débats des Conseils ouvriers du XXe siècle partout ou presque en Europe, les mouvements sociaux depuis 1968 jusqu’aux Gilets Jaunes ... tout cela-et on pourrait dire la meme chose dans tous les pays-a été passé par pertes et profits ! Le meme oubli des avantages acquis par la lutte et des méthodes de combat chèrement testées, le meme oubli de la formation sur le tas, la meme disparition du niveau de politisation « gagné » (comme dirait Rimbaud), la meme disparition de tout le travail associatif de contre-société, caractérisent le diagnostic que l’on peut faire de la situation actuelle. Et ceci sur tous les continents .
Naturellement cette réalité doit etre analysée, et on ne voit pas que cela soucie énormément nos organisations syndicales et politiques . On ne peut s’empécher de faire un rapprochement entre ce qui se passe dans les hopitaux psychiatriques pour beaucoup de malades : au lieu de s’armer pour sortir de l’hopital et affronter la vie réelle, ces malades « s’institutionnalisent », c’est à dire s’habituent à leur condition et adoptent consciemment ou inconsciemment les règles et habitus des l’établissements, ce qui les immunise de la volonté meme d’en sortir.
Pour les syndicats, il y a lieu d’analyser les constats de Stéphane Sirot : tous -y compris la direction confédérale de la CGT- ont adopté le langage patronal (On parle de « partenaires sociaux », de « dialogue social », de « négociations salariales », de « création d emplois » par les seules entreprises, de « création de valeur » par le seul capital !). Tous considèrent le système capitaliste comme naturel et éternel, au point que la CGT a supprimé de ses statuts l’abolition du salariat ! Tous adhèrent à la CES (Confédération « européenne » des Syndicats) dont on sait qu’elle n’est que la courroie de transmission de l’UE . Tous s’inscrivent dans la société bourgeoise alors qu’ils devraient la combattre impitoyablement !
Du coté des partis politiques, ce n’est pas mieux : meme le PCF n’a aucune intention de sortir de l’UE et de l’euro, allant jusqu’à croire en un « euro coopératif » et en une « Europe sociale » …
Tous les partis politiques du RN jusqu’à la « gauche » n’ont qu’une stratégie : accéder au pouvoir sous le capitalisme, et surtout n’en rien changer. Aucun d’entre eux ne propose quoi que ce soit sur « l’entreprise », l’entreprise capitaliste bien sur, considérée comme un modèle a-historique ! Au lieu de dénoncer la société bourgeoise et son idéologie de « l’individualisme méthodologique », ils s’inscrivent dans la course aux places et aux postes, et n’appréhendent la lutte politique que sous la seule forme des « élections » dans le système politique que l’adversaire de classe a exclusivement concocté pour protéger ses intérets et privilèges et interdire tout changement. On a vu avec quel empressement , meme les prétendus « souverainistes » se sont précipités pour présenter « leur » liste aux dernières « élections européennes », trente-huit listes au total, pas une de moins !
Le vaillant combat des anarcho-syndicalistes , des Pouget-Griffuelhes-Pelloutier auxquels on doit une CGT ouvrière et combative, les Bourses du travail et la conception de la grève avec occupation comme outil de combat, la volonté farouche de créer une contre-société à rebours de toutes les « valeurs » bourgeoises... tous ces conquis ont été oubliés, dissimulés,scotomisés, dénigrés voire sabotés.
Aucun syndicat ni parti n’est capable de comprendre que « l’UE » n’est qu’une machine de guerre contre les classes travailleuses et contre la souveraineté populaire. Aucun n’a compris que c’est l’instrument des multinationales financiarisées pour en finir avec l’Etat social.Tous les anciens leaders syndicaux ou politiques -de droite et de « gauche » -finissent dans les fourgons de l’UE, de la CES ou autre satellite ou « ONG » controlé par le Capital.
Aucun n’a véritablement compris comment le capitalisme néolibéral mondialisé et financiarisé concoit l’Etat « moderne » : exclusivement non interventionniste, non planificateur, dérégulateur, destructeur des conquètes sociales et politiques, exclusivement chargé de réprimer les mouvements sociaux et de conditionner idéologiquement les peuples par des mass-médias aux ordres, un Etat « régalien » donc, selon l’euphémisme utilisé par les « élites » bourgeoises . Tous sont prets a bétifier devant « le saut fédéral européen ».
Les prétendus « trotskistes »- que Trotsky lui-meme démentirait aujourd’hui- ne comprennent pas que le Capital se combat d’abord au niveau national et que cela n’empèche en rien l’internationalisme !
Comment alors mettre fin à cet « éternel recommencement », comme si à chaque conflit le mouvement ouvrier et les travailleurs en général- manuels ou intellectuels- devaient réapprendre la totalité du chemin et aller chercher à chaque fois en bas de la pente le rocher qu’ils ont monté à son sommet avec tant de peines, de sacrifices et d’efforts ?
Il n’y a pas de réponse miraculeuse à cette question. Il n’y en a qu’une, marquée au coin de la douleur, de la volonté, de la détermination, de la constance, de la conséquence : c’est le travail de fond politique, syndical, associatif, idéologique dans les profondeurs du peuple pour déconstruire les pièges conceptuels tendus par la bourgeoisie, le patronat et leur Etat, par toutes leurs « constructions » artificielles mises en place pour tenir en lisière les peuples.
Il s’agit-là d’un travail de moyen et long termes car il inclut non seulement le combat contre l’adversaire direct de classe-la bourgeoisie compradorisée- mais aussi contre ses auxiliaires qui ont réussi à s’emparer de certaines des centrales syndicales et de certains des partis politiques de »gauche » ; chacun les reconnaitra car ils bloquent le renversement du système établi depuis deux cent trente ans, très exactement depuis le 9 thermidor An II, le 27 juillet 1794 ! Notre pays a connu tous les régimes, mais la bourgeoisie a toujours réussi à se maintenir au pouvoir, que ce soit sous le Directoire, le Consulat, l’Empire, la restauration, la monarchie « constitutionnelle », le fascisme pétainiste ou les quatre dernières « républiques » !
Il est grand temps que le peuple francais règle ses comptes sous peine de devoir subir pire que ce qu’il a du subir pendant toute cette pèriode .
Il est grand temps que le « prolétariat » de notre temps (ouvriers, employés, cadres, techniciens, fonctionnaires, petits paysans producteurs, dirigeants de TPE, ingénieurs, chercheurs , artisans et commercants qui n’ont pas partie liée avec le capital) se donne des organisations dignes des taches qui l’attendent, et qui soient capables de capitaliser le savoir et l’expèrience des luttes et les transforment en tactiques et stratégies de combat !
Il est temps -comme le disait Lénine- que le peuple revétisse une « chemise propre » et se débarrasse des vieilles peaux corrompues et des collabos de toutes espèces.
Et cette « chemise propre » ne sortira que de ses propres mains !
Jean-Michel Toulouse
17 octobre 2024
Messages
1. Capitalisons l’expérience révolutionnaire, 22 octobre 2024, 00:44, par Jacques Cotta
La discussion à laquelle invite Jean-Michel Toulouse ouvre quelques pistes de réflexion qui dans la période présente revêtent une grande importance.
A juste titre il souligne « l’incapacité des classes exploitées à capitaliser leurs expériences et évènements révolutionnaires tout au long de leur histoire ».
Mais la possibilité pour les classes exploitées de capitaliser « leurs expériences et évènements révolutionnaires » nécessite un outil qui dans l’histoire se nomme un parti. Et ce ne sont pas les classes exploitées qui font défaut, mais leurs prétendues représentations. A chaque étape les "classes exploitées" tentent de repartir au niveau antérieur le plus élevé de leur mobilisation. Mais ce sont à chaque fois les organisations qui parlent en leur nom, syndicales ou politiques, qui se mettent en travers et dénaturent le sens réel du mouvement qui est engagé.
Dans ses réflexions, Jean-Michel Toulouse souligne fort justement « le même oubli des avantages acquis par la lutte et des méthodes de combat chèrement testées, le même oubli de la formation sur le tas, la même disparition du niveau de politisation « gagné » (comme dirait Rimbaud), la même disparition de tout le travail associatif de contre-société, caractérisent le diagnostic que l’on peut faire de la situation actuelle. Et ceci sur tous les continents ».
Cela nous ramène à la question précédente. Pour ne pas sombrer dans l’oubli, il faut travailler une mémoire, s’en revendiquer, la transmettre. Et nous devons constater que nul ne s’y est employé. C’est bien l’abandon de la classe ouvrière et de ses alliés dans la lutte des classes par les organisations qui parlent en son nom qui permet de comprendre cette situation. Les partis politiques sans exception dans l’histoire, des partis sociaux-démocrates aux partis staliniens, du PS au PCF sans oublier LFI aujourd’hui, en passant par les organisations dites d’extrême gauche, ont sombré dans les délires « woke » et préfèrent vanter les minorités dans les mouvement sociétaux que la classe ouvrière, les salariés, etc… dans les mouvements sociaux.
Le fil qui nous relie aux enseignements du passé est de plus en plus ténu et éviter qu’il ne soit rompu est un des enjeux de la période présente.
Il est temps de revêtir une « chemise propre » pour reprendre comme le fait Jean-Michel Toulouse la parole de Lénine. Pour cela, il faut que chacun apporte ce qu’il a de meilleur, laissant de côté les égos qui sont un obstacle à la libre discussion nécessaire. La discussion devrait porter sur le programme et sur les modes d’organisations qui permettraient de s’en saisir. C’est ce que nous tentons d’aborder sur notre site où on trouvera une série de papiers, dont dernièrement « pour regagner l’électorat RN, justice sociale, morale et décence commune », qui s’inscrivent dans cette discussion…
2. Capitalisons l’expérience révolutionnaire, 23 octobre 2024, 11:12, par Toulouse
Bonjour à tous. Entièrement d’accord avec Jacques. On observe par ailleurs que la bourgeoisie -elle- sait parfaitement capitaliser son expérience de répression et de manipulation des classes exploitées ! Elle ne repart jamais de zéro !
On ne résout pas un problème avec les instruments qui l’ont créé (disait Einstein)... Il faut nous donner "une chemise propre" ! Jm Toulouse
3. Capitalisons l’expérience révolutionnaire, 23 octobre 2024, 20:45, par Méc-créant
Si "l’état des lieux" est assez bien dépeint, il manque, me semble-t-il, une donnée déterminante pour comprendre la soumission idéologique des directions politiques et syndicales -CGT et PC-, autrefois outils de défense des travailleurs : partis et syndicats sont financés par les institutions nationales et européennes. Si, de plus, on réduit la notion de démocratie au "droit de voter" ...on ne risque pas de voir très loin dans un avenir transformé (même le programme du CNR n’est à l’ordre du jour d’aucun parti ou mouvement prétendant viser le pouvoir , tel le "nouveau front populaire" ...!) .
Quant aux trotskystes, on peut rester surpris que leur ...dialectique n’ait pas encore mis en évidence qu’il ne saurait y avoir aucun inter-nationalisme...sans nation ! Ils continuent souvent à considérer que c’est la notion de nation qui serait cause première des guerres. Curieuse analyse matérialiste...estompant un peu les vrais fauteurs de guerre.
Méc-créant.
(Blog : "Immondialisation : peuples en solde !")
4. Capitalisons l’expérience révolutionnaire, 25 octobre 2024, 12:44, par Toulouse
Tout à fait d’accord avec Mec-Créant ! La dérive syndicale et politique conduit des partis de "gauche" à pactiser avec des financeurs qui exigent en retour leur alignement complet (CES,UE notamment). jm Toulouse
5. Capitalisons l’expérience révolutionnaire, 2 novembre 2024, 20:58, par Dupont
Merci à J.M. Toulouse pour ce texte militant et très critique - à juste titre à bien des égards- des politiques actuelles de droite , et « de gauche » il faut le dire, qui soutiennent à mort ou accompagnent le système capitaliste.
Dans ce débat je me contenterai de quelques réflexions critiques mineures.
1) J’en suis convaincu, l’UE et son outil accessoire l’euro, sont le bras armé du capital. Ce serait bien d’en sortir.Mais dans notre situation n’avons-nous pas tort d’avoir raison en quelque sorte, vu le nombre très faible de gens et d’organisations déterminés à en sortir vraiment, tandis que les euro-critiques eux, sont légion ? Exit le « l’Europe on la change ou on la quitte » de Mélenchon en 2017.C’est déplorable mais c’est ainsi. Comment inverser cette réalité politique ?
2) JM Toulouse fustige, il a raison, « l’oubli des avantages acquis par la lutte… » Pourquoi semble-t-il regretter « le même oubli de la formation sur le tas » ? ( ou alors je n’ai pas compris) Je ne nie pas que la dite formation sur le tas soit une donnée incompressible , elle est inéluctable. Pourtant,
En tant qu’enseignant retraité, lorsque je regarde mes premières années d’enseignement, j’aurais bien aimé disposer de plus d’outils et de soutien, tandis que, comme d’autres, on m’a laissé me dépatouiller, accompagné d’une formation pédagogique à la fois discutable et surtout indigente.
3) « … la CGT a supprimé de ses statuts l’abolition du salariat… » je n’ai nullement l’intention de défendre les dirigeants de la CGT non plus que de tout autre syndicat. Mon questionnement porte sur le salariat lui-même.
Les spécialistes de Marx me citeraient sans doute les multiples occasions qu’il a eu de souhaiter sa disparition. En m’en tenant au seul Manifeste du Parti Communiste qu’il est toujours bon de relire, on voit bien dès le début que Marx ne tient pas le salariat en haute estime : « La bourgeoisie a dépouillé de leur auréole toutes les professions réputées vénérables et vénérées ; du médecin, du juriste, du prêtre, du savant -, elle a fait des travailleurs salariés…. »
Plus loin tombe la phrase clé : « la condition du capital est le salariat. Le salariat repose exclusivement sur la concurrence des ouvriers entre eux…. »
Mais, puisqu’il s’agit selon les termes même de J.M. Toulouse de « capitaliser l’expérience révolutionnaire », ne faut-il pas remarquer que le salariat a changé ?
Il me semble que notamment les acquis de 1945-46 , en particulier la sécurité sociale a caisse unique, les statuts de la fonction publique, les statuts d’EDF, se rapprochant de ceux des fonctionnaires, les conventions collectives dans les entreprises, le code du travail, toutes choses honnies par le patronat, constituent à l’époque et encore aujourd’hui une valorisation du salariat.
Comme le dit B. Friot notamment, les alloc. ( branche famille de la sécu) , c’est du salaire.
La retraite , c’est du salaire ( différé , socialisé, continué, comme on voudra) !
Denis Collin lui-même écrivait il y a peu - mieux que moi- que les acquis de 45 instauraient en gros un îlot de socialisme dans un océan capitaliste.
Les attaques des gouvernements successifs, à commencer par celui de De Gaulle, et qui culminent avec celles des gouvernements Macron ne font que confirmer ce que de leur point de vue il faut détruire et réduire précisément le salaire à ce qu’il était du temps de Marx.
Je pense que par la conquête de nouveaux droits,, à la faveur de la situation révolutionnaire de la fin de la seconde guerre mondiale et l’immédiat après guerre- et elle l’était indiscutablement- les ouvriers ont dit non : il ont refusé précisément d’être en concurrence pour vendre leur force de travail . Certes, cela n’avait pas pour pour but d’exproprier le capital, mais ce n’ était pas rien.
Pour m’en tenir à ce que je connais le mieux professionnellement, je n’ai pas eu l’impression d’être en concurrence avec mes collègues, même avec mes collègues féminines qui avaient le même salaire que moi. Comment affirmer une chose pareille sans rappeler l’acquis important des statuts de la fonction publique, bien mis à mal à présent. Bien sûr, c’est le but des différentes réformes : donner raison à Marx en un sens : remonter les travailleurs les uns contre les autres.
D. Dupont