Le capitalisme est venu au monde affublé des dehors moraux puritains – l’éthique protestante, luthérienne et surtout calviniste – le capitalisme parvenu à son troisième âge (ou peut-être son quatrième), le capitalisme devenu sénile pratique une morale du type décadence de l’Empire romain. Le sport professionnel mondialisé a remplacé les jeux du cirque et les nouveaux gladiateurs se conduisent comme les plus fameux des empereurs corrompus. Le petit voyage en Suède de Mbappé, notre grande nationale, natif de Bondy (93), a défrayé la chronique, avec une certaine retenue en France et beaucoup plus franchement en Suède. Ce n’est pas un événement isolé, c’est une manifestation spectaculaire (au coeur de la société du spectacle) des mœurs des classes dominantes de leur laquais et autres bouffons.
Mbappé gagne 31,5 millions d’euros par an au Real Madrid – il n’est pas le mieux paye des joueurs opérant en Espagne – le mieux payé émarge à 37,5 millions. Il est moins bien payé que Carlos Tavarès, le PDG de Stellantis à 36,5 millions d’euros annuels. Mais comme lui, il se déplace en jet privé. On ne sait pas si Tavarès va « aux putes » avec son jet. Mais ils sont bien du même monde. Ce monde où l’aristocratie financière côtoie les racailles, ce monde que Marx appelait Lumpenproletariat. À son arrivée en Suède, une cohorte de « filles qui veulent prendre du bon temps » avec la vedette, du champagne, de la vodka, et tout ce qui va dans une fête ordinaire attendaient le footballer vedette… La suite appartient à la justice. Mais on sait bien que ce n’est pas la première fois que les footeux célèbres participent à des fêtes avec des « filles ». On se souvient de Franck Ribéry et de l’affaire Zahia. À propos de cette affaire, France-TV-Info titrait : « les prostituées font partie du décor ». Le même article précisait : « A quoi se résume la vie d’un footballeur ? Deux heures d’entraînement le matin, les enfants à garder (pour ceux qui en ont), de longues parties de jeu vidéo, des sollicitations publicitaires et des interviews, et de plus en plus de poker et autres jeux d’argent en ligne... Pas mal de temps libre, que chacun utilise à sa guise. ’Aujourd’hui, les joueurs montent souvent à Paris pour écumer les boîtes de nuit du triangle d’or [le quartier des Champs-Élysées] et, arrivés dans les grands hôtels, ils demandent leur oreiller, le nom de code pour la prostituée qu’ils ont l’habitude de fréquenter’, détaille Jérôme Jessel. » Mbappé est un cran au-dessus : il prend son jet pour aller en Suède au lieu du taxi pour le quartier des Champs-Élysées.
Le football qu’une partie de ce monde des « fêtes » : il y a quelques années, le milliardaire américain Epstein était arrêté pour prostitution de mineures – avec sa compagne, condamnée depuis à 20 ans de prison, il recrutait des jeunes filles pour des massages sexuels offerts à ses amis. Échappant une première fois à la prison, par un accord conclu avec le procureur – aux États-Unis, les lois du marché s’étendent à la justice – il sera rattrapé par la cavalerie et promptement retrouvé mort (quel heureux hasard) dans sa cellule de prison en août 2019. Ayant fortune dans la finance (c’est-à-dire aux jeux d’argent), il était devenu un grand organisateur de fêtes où se côtoyaient les stars de la politique (Bill Clinton et Donald Trump), celle de la high tech ou du show biz. Sans oublier 59000 $ versés pour les bonnes œuvres de Jack Lang (via une association culturelle bidon qu’il avait montée). Dans Marianne (4/01/2024) on peut lire :
Le financier aurait rencontré plusieurs fois Bill Clinton quand celui-ci était président, dans le cadre de réceptions organisées à la Maison-Blanche. Mais les liens entre les deux hommes se sont resserrés à la fin de la présidence Clinton. En 2019, le porte-parole de l’ex-président américain a affirmé que le démocrate avait voyagé seulement quatre fois à bord de son avion, entre 2002 et 2003, en ajoutant qu’il ne savait rien des « terribles crimes » du financier.
Or, selon une ancienne hôtesse de l’air, il s’avérerait que lors de l’un de ces voyages, reliant Paris à Rabat, Jeffrey Epstein était accompagné de deux rabatteuses et d’un mannequin mineur, en plus de l’ancien président. Le média américain Gawker, disparu depuis, a dévoilé en 2015 les calendriers de vols du « Lolita Express » et les noms des personnes à bord. Contrairement à ce qu’affirmait le porte-parole de la Maison-Blanche, on y trouvait celui de Bill Clinton onze fois.
Autre élément embarrassant : en 2011, Virginia Giuffre dit avoir croisé l’ancien président américain avec « deux jeunes filles » sur l’île privée de Jeffrey Epstein. La jeune femme affirme avoir demandé au milliardaire « Qu’est-ce que Bill Clinton fait ici ? » ; qui lui aurait répondu « eh bien, il me doit une faveur ».
Laissons le lecteur se plonger dans le petit monde du Loup de Wall Street (le film de Martin Scorcese, avec Leonardo di Caprio, dans le rôle principal). Mais voici qu’un troisième centre de propagation de l’homo festivus est mis à jour : le rappeur américain et magnat du secteur musical, P. Diddy, est arrêté lui aussi pour de sombres affaires de prostitution en lien avec les fiestas qu’il organisait pour ses amis. Il est accusé d’avoir utilisé son empire pour mettre en place un système de trafic sexuel et d’extorsion. Dans ses relations, rien que du beau linge : même Leonardo di Caprio ou le rappeur français Maître Gims – un jour il faudra faire une enquête sérieuse sur les dessous du rap… - ou encore Mariah Carey, Kim Kardashian, etc. et une bonne partie des vedettes qui défilent pour soutenir Kamala Harris !
Ce rapide coup de projecteur sur les fêtards du capital n’éclaire que la partie visible de l’énorme corruption financière, morale, politique et sexuelle qui s’est répandue dans la classe capitaliste transnationale (TCC, transnational capitalist class, pour reprendre le concept dû à Leslie Sklair) et qui manifeste le pourrissement d’ensemble du système, d’un système drogué à spéculation financière et à ses annexes (le football en fait partie).
On me dira que ce n’est pas nouveau. Les orgies à Rome, les dîners fins de la Régence valaient bien les soirées d’Epstein. Sans aucun doute. Mais les Romains ont sombré sous les coups de barbares, et les aristocrates décadents ont fini la tête au bout d’une pique. Les nababs et sous-nababs de la TCC devraient s’en souvenir.
L’indécence de ceux d’en haut nourrit certes l’envie de certaines fractions des classes populaires – la fraction populaire de la racaille – qui profitent du système par le trafic de drogue et imitent, à la hauteur de leurs moyens les mœurs des « grands ». On connaît ces « petits anges » qui roulent en voiture de luxe, friment dans la cité et reçoivent le soutien inconditionnel d’une prétendue gauche radicale complètement décervelée. Mais la grande masse des couches populaires voit tout cela avec dégoût et peut soutenir quiconque prétendra nettoyer les écuries d’Augias. Pour le meilleur ou pour le pire.