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Les mots justes

Quelques rélfexions sur le droit international

samedi 23 novembre 2024, par Denis COLLIN

L’inculpation du Premier ministre israélien Netanyahou et de l’ancien ministre de la Défense Gallant pour « crimes de guerre et crimes contre l’humanité » pose des questions sérieuses qu’on a beaucoup de difficultés à traiter « dans le silence des passions ». Je vais cependant essayer de poser quelques jalons pour une analyse à poursuivre.

Tout d’abord, il faut s’entendre sur les chefs d’inculpation. Le crime de guerre ne me semble pas faire beaucoup de doutes. Un crime de guerre correspond donc à une violation des lois de la guerre qui donne lieu à une responsabilité pénale individuelle pour des actes commis soit par des combattants, tels que le fait de tuer intentionnellement des civils ou de tuer intentionnellement des prisonniers de guerre, la torture, la prise d’otages, la destruction sans né-cessité de biens civils, les violences sexuelles en temps de guerre, le pillage, soit par tout individu faisant partie de la structure de commandement, comme le fait d’ordonner de commettre des exécutions massives, y compris le génocide ou le nettoyage ethnique, le fait de ne pas faire de quartier lorsque l’ennemi se rend, l’enrôlement d’enfants dans l’armée, le pillage, et le non-respect des concepts juridiques de proportionnalité et de nécessité militaire. On le voit, c’est très large. On s’étonne seulement que Serbie (hier) et Poutine (aujourd’hui) mis à part, seuls les dirigeants israéliens soient inculpés. Quand l’Azerbaïdjan (soutenu par Israël, soit dit en passant) organise le nettoyage ethnique contre les Arméniens, il n’y a pas « crime de guerre » ! Quand l’Arabie saoudite bombarde le Yémen (400 000 morts), il n’y a pas crime de guerre ! Quand les dirigeants du Soudan, déjà responsables des mas-sacres du Darfour, reprennent la guerre civile contre le peuple et provoquent des millions de réfugiés, on doit se taire. Et ne parlons pas des exactions commises au Nord-Kivu par l’armée du Rwanda dirigé par Kagamé. Le « deux poids, deux mesures » ne manque pas d’interroger. Mais bon, les turpitudes des uns ne peuvent excuser celles des autres.

L’accusation de « crime contre l’humanité » est déjà plus discutable. Elle désigne une « violation délibérée et igno-minieuse des droits fondamentaux d’un individu ou d’un groupe d’individus inspirée par des motifs politiques, philo-sophiques, raciaux ou religieux ». Le flou est tout de même problématique. L’attitude du gouvernement turc actuel à l’égard des Kurdes est un crime contre l’humanité manifeste, tout comme les actions des djihadistes contre Charlie ou au Bataclan. Le gouvernement birman commet contre la minorité musulmane un crime contre l’humanité, tout comme la Chine contre les Ouïghours. De même les exactions commises par les gouvernements ukrainiens depuis 2014 contre les minorités russophones du Donbass s’apparentent clairement à des « crimes contre l’humanité. » Le gouvernement d’Assad en Syrie est responsable lui aussi de crimes contre l’humanité, de même que les innom-brables coups d’État militaires fomentés par les États-Unis sont bien des violations des droits « d’un groupe d’individus inspirées par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux ». N’oublions non plus l’Algérie : le FIS et le GIA aujourd’hui absous sont responsables de 200 000 morts au cours de la sanglante décennie 1992-2002. Et la politique des talibans contre les femmes n’est-elle pas un crime contre l’humanité ? Laissons le lecteur compléter la liste. À ce niveau de généralité, l’accusation de « crime contre l’humanité » peut être posée contre une majorité d’États ou de groupes étatiques.

Le génocide est un peu plus précis : Un génocide, dans son acception la plus répandue aujourd’hui dans la com-munauté académique, est un crime consistant en l’élimination concrète intentionnelle, totale ou partielle, d’un groupe national, ethnique ou encore religieux, en tant que tel, ce qui veut dire que des membres du groupe sont tués, brisés mentalement et physiquement, ou rendus incapables de procréer, en vue de rendre difficile ou impos-sible la vie du groupe ainsi réduit. Le génocide peut être perpétré par divers moyens, le plus répandu et le plus évi-dent étant le meurtre collectif. Les Arméniens ont bien été victimes d’un génocide de la part des Turcs en 1915. On peut considérer aussi que les États-Unis d’Amérique sont nés d’un génocide contre les « natifs » d’Amérique du Nord. Avant le génocide des Juifs, l’Allemagne s’était rendue coupable de génocide en Herero et Nama au début du siècle dernier. Le génocide suppose l’intention de faire disparaître tout un groupe d’hommes (ethnie, religion, etc.), sans autre motif que ces hommes appartiennent à ce groupe. De ce point de vue, il n’y a pas de génocide commis par les Français pendant la guerre d’Algérie. Des crimes de guerre sans doute, mais pas de génocide. Il est tout aussi absurde de parler de « génocide » des Palestiniens. L’utilisation du terme « génocide » contre Israël n’est qu’une forme, à peine déguisée de négationnisme. Du reste, quand on voit des manifestants pro-Hamas défiler en criant « pas de place sur la planète pour Israël », il est clair qu’ils demandent tout simplement la liquidation des Juifs — tous ces étudiants privilégiés qui sèment la pagaille dans les établissements d’enseignement supérieur regrettent en fait qu’Hitler n’ait pas terminé le « job »…

Ce ne sont pas des questions de terminologie secondaires. En réalité on devrait tout simplement dire que la guerre est, en elle-même, un crime contre l’humanité puisqu’elle viole le précepte le plus fondamental, « tu ne tueras point », un précepte sur lequel s’appuient tous les autres et sans lequel l’expression « droits humains » est absolu-ment creuse. Certes, le tribunal de Nuremberg qui a jugé les crimes nazis a fait un travail important dont nous de-vrions garder plus souvent l’inspiration et on ne peut le réfuter en parlant de « justice des vainqueurs », comme cela se dit trop souvent. Il reste que la justice internationale n’est souvent une justice que de nom. Ainsi, une convention de l’ONU datant de 1997 promeut « l’interdiction de l’emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction », mais on vient d’apprendre que Biden a demandé que les États-Unis livrent de telles armes à l’Ukraine. Autrement dit, Biden devrait être poursuivi, ainsi que son vassal Zelensky. Mais évidemment, il ne le sera pas. Pendant la guerre Irak-Iran, Saddam Hussein, à l’époque allié des occidentaux avant de devenir un « nouvel Hitler », a utilisé massivement des gaz mortels contre les populations civiles. L’Allemagne (en spécialiste) a fourni ces gaz à la demande des États-Unis. Personne n’a demandé que ces criminels de guerre soient poursuivis. Selon que vous serez puissants ou misérables… comme le disait La Fontaine. Et on se prend à penser que Netanyahou n’a pas complètement tort de dire que la CPI est une cour antisémite puisqu’elle poursuit le juif Netanyahou et laisse vaquer à leurs occupations d’autres criminels de guerre de calibre souvent nettement supérieur. Bref, le droit international est rarement autre chose que le droit du plus fort, celui qui peut emporter l’agneau et le dévorer sans autre forme de procès.

Le droit international, dont la première forme la plus connue est constituée des traités de Westphalie (1648) n’est jamais qu’une tentative un peu bancale de limiter l’usage de la guerre et de la tenir dans les limites de sa définition donnée par Clausewitz, « la continuation de la politique par d’autres moyens » alors que le siècle passé nous a mon-tré d’abondance que la politique n’était le plus souvent que la continuation de la guerre en vue de l’anéantissement non seulement de l’adversaire, mais, si nécessaire, de l’humanité entière.

Messages

  • Denis, je suis fort déçu. Vous niez le génocide qui est non seulement reconnu par de nombreuses organisations internationales, mais manifeste pour de très nombreux spécialistes israéliens, ainsi que pour de nombreux survivants de la Shoah. Sincèrement, je pense que c’est absolument honteux et vous devez amender votre texte.

    Une sélection non exhaustive :
    Israël et sa politique ont même été appelé "judéo-nazisme" par Yeshayahou Leibowitz ( https://fr.wikipedia.org/wiki/Yeshayahou_Leibowitz )
    Les historiens israéliens spécialistes de la Shoah parlent de génocide :
    Omer Bartov https://zeteo.com/p/that-is-genocide-israeli-american
    Ilan Pappé https://www.youtube.com/watch?v=cqweWPOWvxc
    Stephen Kapos, survivant de la Shoah, dénonce le génocide : https://www.youtube.com/watch?v=NUKahFL4DUI&rco=1
    l’avocat israélien spécialiste des droits de l’homme Michael Sfar a écrit sur Facebook : "Israël prétend représenter le peuple juif. Aujourd’hui, ses actions souillent l’histoire d’un peuple qui a été les plus grandes victimes de crimes odieux, avec la marque de Caïn posée sur leurs oppresseurs."
    Daniel Schneidermann qui a écrit il y a quelques années "Berlin 1933" sur l’environnement médiatique qui a ouvert la voie à la Shoah, affirme clairement dans ses chroniques qu’il y a génocide.
    Francesca Albanese, rapporteuse de l’ONU : https://jacobin.com/2024/11/francesca-albanese-un-gaza-genocide/
    Le journaliste Norman Finkelstein : https://www.youtube.com/watch?v=wBz68F1vTlw

    Alors cessez avec ces accusations proprement dégueulasses d’antisémitisme. Netanyahou est un judéo-nazi, et il ne représente pas les juifs, fort heureusement.

  • Bonjour ,
    je comprends le désir de justice du prof. de philosophie et de l’humaniste que vous êtes Denis, mais aussi l’indignation provoquée par certains de vos propos.
    On ne peut hélas que déplorer l’absence de condamnation et de poursuite pour crimes de guerre, contre l’humanité ou même de génocide, pour tous ceux que vous citez et qui ne sont et ne seront pas poursuivis. C’est une expression parmi d’autres du ’’deux poids deux mesures ’’ que nous dénonçons souvent.
    Une remarque à propos de ’’la justice de vainqueurs’’ : si je ne m’abuse elle fut un élément de la défense des Nazis au procès de Nuremberg. Ce ’’tu quoque’’ lancé à la face des alliés, comme le dit un avocat *dont on m’a envoyé le texte , était en effet particulièrement minable. Il s’agissait d’accuser les alliés de crimes de guerre - ce qui n’était pas faux si on prend l’exemple du bombardement de Dresde et de bien d’autres- tandis que ces dignitaires nazis tentaient de se dédouaner des leurs. Cette défense l’était également ( minable) lorsqu’ils ont dit ne pas être responsables : ’’je n’ai fait qu’exécuter les ordres’’... cela a été dit également au procès de Eichmann à jérusalement (1962) et plus tard en France à celui de K. barbie. Elle l’était beaucoup moins (minable), en fait d’accusation de ’’justice de vainqueurs’’, car en un sens ils ont été entendus. En dehors de la condamnation et de l’exécution d’un nombre relativement faible de gens reconnus coupables à Nuremberg, combien de milliers , de dizaines de milliers ou plus, sont ’’passés au travers’’, ont rejoint l’Amérique du sud, le canada, avec la complicité zélée du vatican, en se cachant ou pas d’ailleurs - certains vivaient tranquillement en Allemagne après la guerre- combien ont été ’’recyclés’’ par les USA ? Cette
    épuration fut finalement dans ses résultats plutôt clémente !

    Pour le reste, soyons raisonnables- pas au sens où le demande C. Barbier journaliste à l’express- le droit international n’est pas parfait c’est certain, la CPI pas plus que l’ONU ne sont sûrement des modèles d’une justice indépendante (indépendante de qui ?) mais que disposons-nous de mieux ?
    la CPI jusque récemment s’était montré prudente sur la situation à Gaza en parlant de ’’plausibilité de génocide’’, mais elle a raison de poursuivre Netanyaou et vous ne pouvez pas dire qu’elle poursuit ’’le juif Netanyaou’’ qui en effet ne représente absolument pas les juifs. Ce serait une négation de tous ceux qui, juifs, ont dit de diverses manières : ’’pas en notre nom !’’

    * Michel Laval ’’un génocide imaginaire’’, texte particulièrement contestable

    • Je ne crois pas que nous ayons de désaccord majeur. Peut-être faut-il s’en tenir à la position de Régis Debray : ni rien dire sur ce sujet, c’est trop explosif et toute discussion est impossible.
      Je suis d’accord, et je l’écris, pour prendre les conclusions de Nuremberg comme points de départ pour une réflexion sérieuse.
      Je pense aussi que Netanyahou doit être poursuivi pour crimes de guerre et pas seulement à Gaza, mais peut-être plus encore pour les bombardements au Liban, pays neutre à l’équilibre instable.
      Mais comme disait Lénine, l’ennemi est dans notre pays. Que fait la France en soutenant la guerre en Ukraine et, notamment l’envoi de mines antipersonnel (crime de guerre typique). Je me pose toujours la même question : pourquoi cette focalisation sur Israël et non sur ce en quoi "nous" sommes directement impliqués ? Pourquoi ?

  • Bonjour Mr Collin,

    Je vais juste revenir sur un point de votre texte qui m’a choqué.
    Mais tout d’abord, soyons précis, les mines américaines qui vont être envoyées aux ukrainiens sont à durée de vie courte(15j) et donc épargnerons les civils et les démineurs de n’importe quel bord que ce soit dans le futur.. Par contre, je note que cela ne vous a pas interpellé plus que cela, l’utilisation de millions de mines normales et de tous types par les russes pour bloquer l’offensive d’été ukrainienne de 2023. Dont acte.

    Traiter Zelensky de vassal des américains est vraiment de courte vue historique. Si vous aviez vécu personnellement ou votre famille l’Holodomor, la WW2 et la répression soviétique post WW2, vous comprendriez que les ukrainiens ont en marre d’être les vassaux des russes et qu’ils préfèrent en changer, tout simplement. Quant à vos russophones martyrs de chez martyrs quand on vous lit, Ils sont les descendants (pieds noirs russes) de la fameuse politique stalinienne de remplacement et de mélange des populations pour éviter tout retour en arrière possible, dans les marches de l’empire. Ils sont les victimes aujourd’hui de cette basse politique cynique et vicieuse autant que les ukrainiens.
    Il faut être objectif avec l’Histoire et ne pas sortir du contexte historique de l’époque en picorant une date ou un fait à droite et à gauche , sinon ce sera toujours l’oeuf ou la poule, niveau raisonnement. À ce compte là, la France devrait demander des dommages et intérêts à l’Italie pour l’horrible guerre matinée de crimes de guerre et de pacification de Jules César dans sa conquête de la Gaule.
    J’espère que vous comprendrez mon point de vue de se positionner au niveau de l’humain et de ne pas passer par perte et profits le tout pour accréditer une thèse, si séduisante qu’elle soit.

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