Pour définir le but que tout humain raisonnable devrait se fixer, on ne sait plus bien quels mots employer. Il y a toute une littérature sur les « communs » qui est suffisamment floue pour que chacun y trouve sa pitance… Après tout, l’ascenseur et le local des poubelles font partie desc ommuns d’un bon immeuble bourgeois ! Il n’est pas simple de jeter les mots anciens à la poubelle : les nouveaux sont souvent encore plus confus.
Commençons par le plus simple. Le communisme n’est pas un programme, pas un quelque chose pour lequel il faudrait combattre, diffuser des tracts, se faire élire. Marx disait qu’il est « le mouvement réel », ce mouvement qui abolit chaque jour, dans la praxis sociale, le capitalisme. Il faut aller plus loin. Le communisme est la forme la plus élémentaire, la plus naturelle de la vie sociale humaine. Les humains forment d’abord des familles. La forme la plus élémentaire, la plus archaïque de la famille est la famille nucléaire : père, mère, enfants. Sans ce noyau l’humanité ne pourrait pas exister étant que les enfants humains ont besoin de soins prolongés avant d’être capables de se débrouiller tout seuls. Or, quelle règle gouverne la famille ? Tout simplement, la règle de base du communisme : de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins ! Les adultes pourvoient selon leur capacité aux besoins de la famille pour que les enfants puissent convenablement grandir. Dans les groupes un peu plus larges que la famille règnent les mêmes principes. Mais c’est aussi le fondement de toute société, y compris la nôtre, partiellement, certes, de façon souvent déformée, mais l’increvable communisme refait surface. Les impôts, plus ou moins prélevés selon les capacités de chacun servent à financer les routes, les écoles, et tous les biens que tous peuvent librement partager. Le système de santé à la française est aussi un bon exemple de ce communisme persistant jusque dans les sociétés capitalistes. Le christianisme avait fixé la barre très haut : les premières communautés chrétiennes étaient communistes et les injonctions du christianisme sur la charité et l’amour du prochain devraient être, pour les chrétiens, totalement inconditionnels – preuve que les vrais chrétiens ne sont pas très nombreux, particulièrement chez ceux qui proclament haut et fort la nécessité de défendre les « valeurs chrétiennes »… La nécessité de défendre la vie contre la barbarie capitaliste a d’abord fait naître des sociétés de secours mutuel qui sont les ancêtres du mouvement syndical. Dans les grandes catastrophes, les inondations, les incendies, les tremblements de terre, tout le monde s’y met, tout le monde se donne à tout le monde et celui qui se défile passera définitivement pour un bon salaud. Les doctrines des services publics, de l’école laïque, gratuite et obligatoire, tout cela est encore une manifestation de ce communisme spontané, ce communisme inconscient dont la nécessité est toujours plus impérieuse face aux développements monstrueux du capitalisme. Rien de plus simple, de plus naturel, de plus conforme à nos intuitions morales les mieux fondées que le communisme. Que le mot ait été attaché à l’un des pires régimes « anticommunistes » que l’on ait connus est une véritable tragédie. Et il faut définitivement balayer toute nostalgie, toute complaisance, toute excuse qui pourrait laisser croire que ces régimes aient pu être en quelque manière communistes.
Le socialisme est une doctrine politique, qui remonte au début duxixe siècle. Une doctrine, que dis-je ? Non, une kyrielle de doctrines, plus ou sensées, plus ou moins réalistes, plus ou moins conformes aux intérêts des plus défavorisés. Entre les saint-simoniens qui prônaient « l’alliance des producteurs », ouvriers et patrons, pour le progrès technique et social, les proudhoniens hostiles à l’État, mais favorablesà des coopératives et organisations de base aussi décentralisées que possible, les lassaliens qui voulaient un « État libre », capable de mener une vaste politique sociale, etc. le socialisme réel à toujours une sorte d’émulsion de ces différentes composantes. Le socialisme suppose un État, un gouvernement, un régime de droit capable d’imposer des lois et de diriger la société dans son ensemble selon des principes de justice sociale, de démocratie la plus large possible et dans l’objectif d’une transformation radicale de la société. On trouve chez Jaurès la forme la plus achevée de cette synthèse socialisme qui peut unir les amis de Marx, les proudhoniens raisonnables, les socialistes du possible et même les révolutionnaires. Un socialiste à la Jaurès serait sans doute considéré comme un extrémiste de nos jours. Et pourtant son évolutionnisme révolutionnaire, sa synthèse de la république et du socialisme, du patriotisme et de l’internationalisme sont plus actuels que jamais. Malheureusement, aucun parti ne peut aujourd’hui être considéré comme jauressien, pas même le parti socialiste et encore moins cette « fondation Jean Jaurès » solidement tenue en main par des antisocialistes patentés.
Nous aurions donc bien besoin d’un « socialisme pour les temps nouveaux ».En effet, il n’est pas possible de faire un « retour à », de procéder une »reconstruction » : le vieux socialisme a échoué lamentablement que ce soit sous la forme « sociale-démocrate » de l’Internationale ouvrière ou sous laforme du Komintern. La première a apporté son concours à la grande boucherie de 1914-1918 et lia son sort à celui du capitalisme et la seconde servit dans le monde entier la cause de la caste bureaucratique totalitaire soviétique. Ces vieilles chemises sales ne peuvent plus être mises. Mais onn’ena pas de nouvelles, voilà le drame ! On peut tout de même essayer de dresser les grandes lignes d’un socialisme pour les temps nouveaux.
- La clé de tout est la liberté. Laquelle implique l’égale liberté pour tous, faute de quoi nous n’avons que la liberté de quelques-uns et la servitude pour la grande majorité ? Mais sans liberté, aucune égalité ne peut exister ! C’est évident : s’il manque la liberté, c’est que les uns dominent et les autres sont dominés. Donc certains sont « plus égaux » que les autres.
- Rappelons aussi que le but du socialisme « à l’ancienne » était l’émancipation des travailleurs, par la réduction de tous les humains à l’esclavage salarié ! C’était donc l’abolition du salariat et non le remplacement du patron privé par le patron étatique. Tout cela était absolument évident avant 1914.
- Donc le socialisme est fondamentalement, comme le proposait Marx, une société reposant sur « l’association des producteurs », dont les coopératives ouvrières de production, le mutualisme, tous les systèmes d’entraide sont les germes les plus précieux.
- Politiquement, nous sommes obligés de faire avec l’État, en n’oubliant jamais qu’il est le plus froid des monstres froids ! Donc le seul État acceptable est l’État a) contrôlé à tous les étages par les citoyens et b) dont la fonction essentielleest la protection des individus contre la domination, selon les principes du républicanisme.
- J’ajouterai que nous avons besoin de réinjecter une dose de « proudhonisme » dans la conception politique du socialisme. Ce qui veut dire privilégier, à chaque fois que c’est possible l’organisation d’en bas, les petites coopératives que les coopérateurs peuvent contrôler eux-mêmes leur organisation sans être contraints de confier à d’autres ce soin, les communes dont l’autonomie devrait être la plus large possible, les communautés locales en général.
- Le socialisme pour les temps nouveaux doit rompre avec le culte de la production pour la production et avec l’adoration béate de la technique. Il doit au contraire proposer une réorganisation de la cave au grenier des bases de la vie sociale. Faire progressivement cesser la domination de la valeur (d’échange) et redonner toute sa place à la valeur d’usage. Les préoccupations écologiques cesseront d’être des préoccupations, mais deviendront le centre de gravité des réflexions et des actions à long terme. Organiser le métabolisme de l’homme et de la nature de la manière la plus économique qui doit en respectant la dignité de l’homme.
- Il nous faut également renouer avec l’internationalisme, c’est-à-dire la reconnaissance des entités nationales et le refus de toute politique de puissance, de tout expansionnisme.
Les programmes détaillés où l’on indique combien de kilomètres de chemins de fer on va construire ou avec quoi on va produire de l’électricité sont absolument inutiles. Cela sert seulement à donner aux « spécialistes » le sentiment de leur propre importance.Se mettre d’accord sur les grandes lignes, créer des cercles ou des comités de base qui prennent en charge la discussion et la promotion de ce « socialisme pour les temps nouveaux », ce serait déjà un pas en avant considérable pour sortir du marasme présent.
Le 25 novembre 2024