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Quelques considérations sur Trump et le trumpisme

jeudi 23 janvier 2025, par Denis COLLIN

L’investiture de Trump n’est pas une rupture dans l’ordre du monde, mais ce sont des transformations déjà bien connues qui sont maintenant actées. La prétendue « mondialisation » [1] est terminée : l’ordre mondial fondé sur la prééminence des États-Unis a explosé. On est passé de la guerre froide au « nouvel ordre mondial » et du nouvel ordre mondial on est arrivé au nouveau désordre mondial, fondé sur la concurrence exacerbée des différents impérialismes, États-Unis, Chine, sans oublier le néo-ottomanisme ou les ambitions iraniennes et saoudiennes.

Les dogmes libres-échangistes sont pulvérisés et seule la Chine continue de défendre l’OMC ! En affirmant son fameux slogan MAGA (Make America Great Again), Trump tente un effort désespéré pour réaffirmer le rôle dirigeant des Etats-Unis. Et son arme protectionniste n’est pas celle d’un impérialisme dominant, mais celle d’une puissance qui cherche à s’affirmer.

Dans toutes les vieilles puissances impérialistes, le protectionnisme revient à se tirer une balle dans le pied. Les capitalistes en effet ont réussi à maintenir et augmenter leurs profits en décentralisant la production dans les pays à « bas coûts », totalement ou en partie. Ainsi, Trump met des droits de douane sur les produits mexicains et canadiens, mais l’automobile américaine fonctionne largement avec des pièces fabriquées dans ces deux pays. Les droits de douane sont inflationnistes. La high-tech est largement dépendante des productions asiatiques et principalement chinoises et on se demande où Apple et les autres vont pouvoir faire fabriquer leurs saloperies. Trump a une réponse : forons pour avoir plus de pétrole. Autrement dit le capitalisme ultramoderne américain doit se recentrer sur la production de matière première. Le spectacle organisé par ce bouffon ne peut faire illusion que chez ses laquais et ses candidats laquais.

Comment les apôtres du posthumanisme de la Silicon Valley ou des fous furieux comme Elon Musk parviendront-ils à s’entendre avec la vieille droite religieuse conservatrice et avec les red necks  ? Mystère ! Trump, dans une position typiquement bonapartiste s’élève au-dessus de toutes les classes et toutes les fractions de classes pour tenter de sauver la domination des États-Unis. C’est pourquoi, après des hésitations, le gros du capital financier US s’est rallié.

Trump va pousser encore plus loin la politique de ses prédécesseurs qui ont décidé qu’il fallait en finir avec la vieille Europe. L’Europe ne nous rapporte rien dit-il. Tout est là. Dans Europe et Amérique (1924), Trotski écrivait ces lignes qui n’ont rien perdu de leur actualité : « Que veut le capital américain ? A quoi tend-il ? Il cherche, dit-on, la stabilité. Il veut rétablir le marché européen dans son intérêt, il veut rendre à l’Europe sa capacité d’achat. De quelle façon ? Dans quelles limites ? En effet, le capital américain ne peut vouloir se faire de l’Europe un concurrent. Il ne peut admettre que l’Angleterre et, à plus forte raison, l’Allemagne et la France, recouvrent leurs marchés mondiaux, parce que lui-même est à l’étroit, parce qu’il exporte des produits et s’exporte lui-même. Il vise à la maîtrise du monde, il veut instaurer la suprématie de l’Amérique sur notre planète. Que doit-il faire à l’égard de l’Europe ? Il doit, dit-on, la pacifier. Comment ? Sous son hégémonie. Qu’est-ce que cela signifie Qu’il doit permettre à l’Europe de se relever, mais dans des limites bien déterminées, lui accorder des secteurs déterminés, restreints, du marché mondial. Le capital américain commande maintenant aux diplomates. Il se prépare à commander également aux banques et aux trusts européens, à toute la bourgeoisie européenne. C’est ce à quoi il tend. Il assignera aux financiers et aux industriels européens des secteurs déterminés du marché. Il réglera leur activité. En un mot, il veut réduire l’Europe capitaliste à la portion congrue, autrement dit, lui indiquer combien de tonnes, de litres ou de kilogrammes de telle ou telle matière elle a le droit d’acheter et de vendre. »

Il y a bien toujours un antagonisme fondamental entre Europe et Amérique. Les divergences entre démocrates et républicains ne portent que la stratégie et la tactique, mais nullement sur l’objectif : vassalisation complète et réduction de l’Europe à la portion congrue. La chose leur et facilitée par le fait que les classes dominantes européennes et leur personnel politique sont, pour l’essentiel, acquis à la cause étasunienne, à ses façons de penser, à sa langue (ils parlent tous non pas l’anglais mais l’américain du Nord) et se sont détachés de tout lien sérieux avec leurs peuples. La trumpomania ambiante (y compris dans la surestimation craintive de ce que peut Trump) dans toute une série de cercles intellectuels témoigne de cette soumission de « nos » élites.

La grossièreté de Trump, ses bouffonneries, font partie du personnage. Quand on se dit que cet homme est le successeur de Jefferson et de Madison, on voit à quel niveau sont tombés les États-Unis. Mais lest la vérité de prix. Le vieux capitalisme était encore prisonnier des « bonnes manières » et d’une culture qui venait de tout notre passé. Le capitalisme d’aujourd’hui, le « capitalisme absolu » est délié de tout ce qui pouvait l’encombrer. Il est pour la liberté, mais la liberté de l’homme à l’état de nature hobbesien, la liberté de l’homme dont le meilleur ami est son révolver. Dans l’Amérique trumpiste, la religion même n’est plus que du folklore sinistre, brandi pour assurer « la loi et l’ordre », mais dégagé de toute conviction, de toute foi authentique.

La haine n’est pas bonne conseillère. Mais la haine de l’Amérique capitaliste, de cette Amérique successivement gouvernée par un débile et un bouffon, est parfaitement justifiée. Avec l’islamisme, qu’ils soutiennent tant qu’ils le peuvent, les États-Unis sont une calamité pour le monde. Il est temps de se réveiller.

Le 23 janvier 2025


[1Voir mon livre La fin du travail et la mondialisation, L’Harmattan, 1997.