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La FI et la gauche, ou la marginalisation assumée

mardi 7 mai 2019, par LA SOCIALE

Le 23 avril, JLM s’est prononcé dans les colonnes du journal « Libération » pour la création d’une « fédération populaire ». « Si l’élection (européenne) nous en donne la force, nous assumerons de nouveau notre responsabilité. Nous proposerons de nouveau une fédération populaire à construire dans les élections suivantes et dans les mouvements écologiques et sociaux » a précisé le leader de la FI. Habitué de décisions permettant de surfer sur la situation en fonction des circonstances, quitte à dérouter son propre entourage, du passage du « parti de gauche » au mouvement « gazeux » la « france insoumise » , en passant par « le Front de gauche » avec le PCF, Jean Luc Mélenchon annonce donc une nouvelle mouture organisationnelle censée rassembler au delà de la FI. Les « politologues » habitués des commentaires qui ramènent souvent aux ambitions personnelles les décisions politiques prises par les responsables voient dans la décision et l’annonce de la Jean Luc Mélenchon la tentative de sortir d’une mauvaise passe, la perte importante des sympathies qui avaient atteint un sommet lors de la campagne présidentielle, les conséquences d’un « pétage de plombs » lors de l’épisode perquisitions organisées par le pouvoir contre la FI. Peut-être n’ont-ils pas tort. Deux semaines plus tard les sondages mettaient en tête des « leaders de la gauche » celui de la FI. Mais l’approche qui veut réduire à une stratégie personnelle les décisions politiques qui engagent un mouvement est par définition limitée. Seule l’orientation qui se cache derrière les déclarations peut permettre de vérifier la validité des propositions, et permettre de prévoir les retombées des décisions.

Une fédération populaire, mais avec qui ?

Une « fédération populaire », comme son nom l’indique, doit avoir comme objectif de s’adresser au peuple pour le regrouper, en organiser des franges importantes, donner un sens à l’action et à la réflexion collective. Dans le contexte social et politique que connait le pays depuis presque 6 mois, le peuple susceptible de rejoindre une telle fédération se trouve tous les samedis dans la rue exprimant des exigences sociales et démocratiques auxquelles le gouvernement d’Emmanuel Macron, porte voix de l’Union européenne, demeure totalement sourd. C’est donc en toute logique au peuple en jaune que devrait s’adresser le leader de la France Insoumise.
Aussi, il est étrange de voir JLM subordonner sa proposition d’une fédération populaire au score qu’obtiendrait la FI aux élections européennes. Le point de départ d’une telle fédération pour attirer, réussir, doit se situer dans l’orientation politique préconisée pour fédérer, répondant aux exigences des forces sociales qu’il s’agit de rassembler. Les Gilets jaunes sont incontournables. Les revendications sociales -pouvoir d’achat, justice fiscale, emploi, services publics, salaires, protection sociale…- et les revendications démocratiques -passage à une 6ème république, RIC…- donnent un cadre assez précis que les centaines de milliers chaque samedi résument simplement en scandant leur exigence de voir Macron dégager au plus vite.
Ce n’est pas ce cadre que choisit Jean Luc Mélenchon. Tout au contraire, il propose de partir du score qu’obtiendra sa liste conduite par Manon Aubry aux européennes. De la sorte, il tourne le dos aux intérêts et aux aspirations des larges couches qui se manifestent depuis 6 mois dans le mouvement des Gilets jaunes et qu’il s’agirait, pour qu’une telle fédération ait un sens, de rassembler. L’élection au parlement européen, élection supranationale, est précisément celle que les couches populaires, ouvriers et employés en tête, rejètent massivement. 80% des ouvriers ont par exemple voté Non au référendum pour une constitution européenne en mai 2005 ! Et une majorité absolue toujours plus importante refuse à chaque échéance d’aller aux urnes pour cette élection, en France, mais également dans l’ensemble des pays européens. Jean Luc Mélenchon subordonne donc « la fédération populaire » au vote européen, à la reconnaissance de l’Union européenne et à sa soumission, à sa légitimation. Par ce choix, il indique sans le dire explicitement la cible qu’il vise pour cette fameuse fédération. Il s’agirait en réalité de rassembler les couches des centre villes, la petite bourgeoisie gagnée à l’idée et aux objectifs du capital mondialisé, contrairement au peuple dont il est toujours bon de parler mais auquel il serait préférable de véritablement s’intéresser, le peuple qui chaque samedi revêt le Gilet pour protester contre Macron et l’union européenne, principale obstacle aux exigences sociales et démocratiques qui rassemblent des millions de français.
Voilà notamment les raisons pour lesquelles l’appel de Jean Luc Mélenchon est d’abord et avant tout un appel à la gauche dans laquelle la FI prétend prendre la place de leadership, et non un appel au peuple. La gauche avec laquelle, toutes composantes confondues, le peuple a déjà divorcé.

Détour par l’Espagne

Pourtant Jean Luc Mélenchon s’en défend. Il s’agirait, non de regrouper une « guirlande de sigles et de partis », déclare t’il, mais de bâtir un « programme concret de partage » dont le projet de la FI « l’Avenir en commun » formerait le socle en précisant la vocation sociale et électorale qu’il assigne à ce futur mouvement.

Passons sur la référence au projet « l’Avenir en commun » qui semble déplacée tellement les exigences exprimées dans le mouvement social sont complètes, précises, simples et partagées et n’ont besoin d’aucun projet qui lui serait extérieur pour se rassembler. Ce qui ressort est le caractère profondément orwellien des propos du leader de la FI. Le voici qui proclame des intentions que les faits dans lesquels il est impliqué viennent démentir sans tarder. La subordination à l’UE et aux élections au parlement européen, loin d’aider la cause qu’il prétend défendre, vient au contraire profondément l’entraver. Quelle que soit la majorité qui sortira des élections européennes, tout le monde s’accorde pour reconnaitre que la politique qui sera suivie demeurera celle dictée par les intérêts du capital financier, contraire aux revendications sociales que JLM déclare par ailleurs vouloir défendre bec et ongle. Le parlement européen n’a aucun pouvoir sur les questions essentielles. Le peuple que le leader de la FI évoque par ailleurs ne s’y trompe pas en boycottant massivement cette élection. Il trouve d’ailleurs sa force dans cette détermination à refuser les leurres multiples que le pouvoir exhibe pour tenter de le détourner de ses propres intérêts. Les Gilets jaunes ont trouvé leur force notamment dans le rejet de la mascarade antidémocratique que la 5ème république voulait imposer il y a un peu plus de deux ans en incitant au vote Macron contre Le Pen, au nom du soit-disant moins pire contre le pire. Le mouvement souterrain qui a émergé avec les Gilets jaunes et qui ébranle Macron, coalisant une large majorité de français depuis le moins de novembre, prend aussi racine dans le boycott du « dialogue social » bidon proposé conjointement par le président de la république et par la CFDT, dans le rejet du fameux « grand débat », dans la volonté clairement exprimée « Macron démission », dans la persévérance et la persistance face aux LBD et matraques du pouvoir.

L’objectif que s’assigne JLM avec cette « fédération populaire » est également électoral. Il devrait méditer à ce titre les leçons des dernières élections législatives espagnoles qui ont vu la chute de Podemos et la remontée du PSOE. Le PSOE, en jouant sur quelques mesures sociales dont le relèvement du SMIC de 22,3% au 1er janvier dernier et sur la volonté affichée d’une autre répartition des richesses, d’une réforme fiscale dirigée vers une taxation des gros revenus et des entreprises a gagné 35 sièges pour en totaliser 123 sur les 350 que compte le parlement, s’affirmant comme le grand vainqueur de ces élections, alors que Podemos en a perdu 29 pour obtenir 42 élus contre les 71 détenus précédemment.
Le PSOE n’est pas un modèle imitable par le parti socialiste en France. La rupture avec le mouvement ouvrier, l’implosion du PS, mais aussi le choix de l’euro-atlantiste « flamboyant » Glucksman pour les européennes à venir sont un résumé du chemin sans retour parcouru par le PS actuel. Ce qui évidemment ne signifie pas qu’un autre parti puisse se constituer sur d’autres bases. Mais ce qui est assimilable à la situation espagnole est la chute de Podemos annonciatrice de ce qui attend sans doute la FI. Podemos s’est définie comme une aile de la gauche. Ce mouvement s’est donc marginalisé, laissant des pans entiers qui ont fait l’expérience par le passé de ce type d’aventures lui tourner le dos, d’autres préférer le discours et les mesures de la gauche officielle à la gauche de la gauche qui n’ouvre aucune perspective politique, sociale, économique indépendante.

Fédération populaire, langue de bois et enthousiasme

Les réactions ne se sont pas fait attendre. Et à « gauche » ou ce qu’il en reste, tout le monde semble accueillir la « fédération populaire » comme à une bouée, en plein naufrage.
Pour Olivier Faure, « on a besoin aujourd’hui dans notre pays d’une grande force à gauche qui permette de rééquilibrer ce que sont les nationalistes, à l’extrême droite, et ce que sont les libéraux avec Emmanuel Macron ? ». Langue de bois de rigueur, il poursuit « l’union ne se décrète pas, elle se construit, elle se forge sur la clarté et la cohérence, celle des idées fortes et des valeurs fortes ».
Benoit Hamon n’est pas en reste. « Les enjeux - crise écologique, démocratique, explosion des inégalités - ne permettent plus de tergiverser pendant des années. Il s’agit de répondre à l’urgence sociale et écologique, d’instaurer une nouvelle République pour sortir de la crise politique, d’opérer une véritable redistribution des richesses, de réorienter l’Europe pour la sortir du néolibéralisme, de se doter des moyens pour réaliser le green new deal ». Mais qu’aurait donc à y redire le leader de la FI ? Hamon poursuit : « Pour ma part je reste attaché à la gauche et à ses valeurs. Je crois que ce clivage reste non seulement pertinent mais indispensable pour endiguer la montée de l’extrême droite qui, pour une bonne part, est fille de l’indifférenciation droite-gauche en France comme en Europe », avant de poursuivre « Créer un rapport de force puissant, oui ! Mener une guérilla au Parlement européen, oui ! Désobéir aux règles absurdes de l’austérité, oui ! Mais s’engager dans un processus incontrôlé vers une sortie, non ! ». Cette dernière condition concernant l’UE concentre toutes les questions. A l’époque où le plan B était encore de rigueur dans les rang de la FI, cette position de Hamon aurait constitué une différence de taille. Mais aujourd’hui ? « Il faut sauver l’Europe » déclare Emmanuel Maurel, éligible sur la liste France insoumise. Jusqu’à la tête de liste Manon Aubry qui lâche « L’UE, il ne faut pas en sortir, il faut la transformer ».

Une fédération populaire, une vraie bonne idée

En réalité, les positions de Faure, Hamon, Mélenchon sont interchangeables. Séparément ou ensemble, ils ne peuvent ouvrir aucune perspective politique. Au nom de la gauche, les trois ont en commun leur soumission à l’union européenne. Les trois ferraillent pour les élections au parlement européens alors que tout le monde sait que quelle que soit la majorité qui sortira de ces élections, rien ne pourra modifier la politique menée au service du capital financier. Les trois sont donc de fait caution d’un système qu’ils disent par ailleurs condamner…

Pendant la campagne des élections présidentielles il y a un peu plus de deux ans, Jean Luc Mélenchon a su se démarquer de la « gauche » en se réappropriont les valeurs de la nation, de la souveraineté, de la république sociale. Il a permis à une frange importante de l’électorat de rejoindre le discours tenu au nom de la FI. Mais depuis, affirmant sa volonté de tourner le dos à une orientation qui pourtant a fait son succès, déclarant privilégier une position de leadership à gauche, il tourne le dos à ce qui a permis sa percée et s’engage dans une voie où seule la marginalisation peut se trouver au rendez vous.

Une « fédération populaire », voilà une bonne idée, mais pas une « fédération de la gauche » dont l’histoire a montré la véritable nature et dégagé les effets.