Ce dimanche 5 août 2018 est le 52ème jour de lutte des salariés de l’hôpital Philippe Pinel de Dury près d’Amiens et leur préavis de grève est reconduit jusqu’au 31 août…
Jour et nuit, sans interruption, malgré la chaleur écrasante de cet été caniculaire ils se battent pour que des patients de tous âges confrontés à des difficultés existentielles parfois insoutenables soient accueillis, pris en charge avec tout le respect que leur condition humaine justifie.
Ils ne sollicitent ni augmentation de salaire ni davantage de congés mais des conditions de travail permettant des soins décents. Pour atteindre ce but soixante postes de soignants, des postes pour les services généraux, la titularisation des contractuels l’effacement de la dette de l’établissement envers l’ARS le permettrait …
Mais leur occupation des locaux de l’ARS le 12 juillet a obtenu pour seule réponse leur évacuation par une cinquantaine de policiers le 14 juillet en fin d’après-midi .
Même en faisant abstraction de la violence de cette riposte à même de rendre la lutte de soignants totalement non-violents encore plus populaire, comment cependant ne pas être optimiste quant à l’issue de leur combat si légitime ?
Les superbes victoires récentes de deux établissements psychiatriques à Rouen et au Havre constituent incontestablement les meilleurs des remèdes à la résignation face à l’inadmissible régression sociale et à la destruction massive de tous les services publics .
Le 8 juin dernier les salariés de l’hôpital du Rouvray, troisième établissement psychiatrique français comptant 2000 salariés mobilisés depuis le 22 mars contre la sur-occupation et le sous-effectif obtenaient la création de 30 postes et de deux unités de soins. Sept d’entre eux avaient cessé de s’alimenter depuis 18 jours au péril de leur santé et même de leur vie, l’un d’eux ayant dû être admis au CHU de Rouen et l’autre y ayant été transporté par SAMU. Infirmiers, aide-soignants, ambulanciers étaient restés unis dans la lutte, coordonnée avec les cheminots, les dockers et les portuaires de Havre et de Rouen.
Le mercredi 11 juillet, leurs collègues de l’hôpital Pierre-Janet au Havre ont eux décroché 34 postes et l’ouverture d’une unité temporaire d’accueil au terme de 26 jours de grève et 18 jours d’occupation des toits de l’établissement. Les premiers ‘’perchés’’ d’un mouvement social ont ainsi fait leur apparition. Les patients momentanément ou durablement fragilisés ne dormiront plus à même le sol dans des chambres multiples … L’engagement des jeunes professionnels, des élèves infirmiers, le soutien impressionnant de la population venant se mêler spontanément aux manifestants à la fin du conflit resteront gravés dans les mémoires.
A l’hôpital Pinel comme à Saint-Etienne de Rouvray, les soutiens politiques de tous bords se sont multipliés, qu’il s’agisse des députés François Ruffin pour la France Insoumise et Barbara Pompili pour LREM, du conseiller départemental UDI Olivier Jarde, du conseiller régional UDI de la Somme Jean-Yves Bourgeois.
Si la médiatisation nationale fait encore défaut pour l’hôpital Pinel, l’information progresse, la lutte humaniste de ses salariés faisant la une du Courrier Picard, les abonnés aux comptes Facebook et Twitter de l’hôpital Pinel en lutte se comptant déjà par milliers tandis que la pétition si récemment lancée à l’attention de la Ministre de la Santé a déjà recueilli plus de 1600 signatures à ce jour.
La portée symbolique du combat livré dans l’hôpital portant le nom du médecin psychiatre Philippe Pinel confère incontestablement à ce mouvement une ampleur historique… C’est lui qui délivra les aliénés de Bicêtre de leurs chaînes, les libéra de leurs loges sombres et malsaines, s’étant consacré aux malades mentaux après le suicide d’un ami proche à partir de 1783. Leur état pénible méritait selon lui tous les égards dûs à l’humanité souffrante… Et l’autorité auparavant détenue par le lieutenant de police le fut grâce à lui à partir de 1795 par le médecin-psychiatre… Impressionnante régression que l’envoi actuel de forces de polices à des soignants luttant pour une prise en charge humaine et réparatrice des patients…
Surdité et aveuglement de la part du Ministère de la Santé et de l’ARS ne pourront durablement se poursuivre face à un mouvement inévitablement de mieux en mieux connu, de plus en plus soutenu par professionnels de la santé et population. Impossible de détruire l’héritage du docteur Philippe Pinel dans la ville où le père du Président actuel a exercé au CHU en tant que neurologue en cet été 2018…
Et les irremplaçables soignants de l’hôpital Pinel à la solidarité splendide et exemplaire peuvent dormir paisiblement sous les tentes de leur campement comme ces vingt-deux dernières nuits. Leur lutte est et sera de toute manière victorieuse au même titre que celles de leurs prédécesseurs de Rouen et du Havre.
Que l’espoir de sauver l’hôpital public soit ravivé par les combats d’hôpitaux psychiatriques prend en outre une force toute particulière alors que le management ultra-violent, industriel qui y sévit fait courir le risque de suicide à tous les professionnels y exerçant, leur passage à l’acte étant une éventualité froidement admise.
C’est dire si la victoire de l’hôpital Pinel est essentielle…