Accueil > International > Effondrement (2)

Effondrement (2)

L’épreuve des faits

lundi 23 mars 2020, par Denis COLLIN

Nous avons vu dans la première partie comment la crise pourrait se développer, crise qui pourrait marquer le début de l’effondrement du mode de production capitaliste. Nous voyons aujourd’hui quelques leçons générales qui peuvent être tirées de l’expérience de la situation présente.

En matière de sciences sociales, les méthodes de vérification des thèses sont généralement fragiles, parce qu’on ne dispose pas des moyens d’expérimenter rigoureusement comme dans les sciences de la nature. Mais les crises comme celle que nous traversons sont de puissants révélateurs qui permettent de tester des hypothèses et d’en rejeter les plus évidemment erronées.

Une première constatation : nous sentons et expérimentons que l’homme est un animal communautaire (un « vivant politique », pour traduire Aristote mot à mot). Non seulement nous éprouvons le besoin immédiat des autres par ce qu’ils peuvent nous apporter : les applaudissements de 20 heures pour les soignants, quoi qu’on en pense par ailleurs, témoignent de cela. Mais aussi le confinement nous fait éprouver le besoin des autres pour eux-mêmes, pour bavarder, se serrer la main, se toucher, s’embrasser… « Rien n’est plus précieux pour l’homme qu’un autre homme… » disait Spinoza. Par la même occasion, nous pouvons mesurer que les fondements anthropologiques du libéralisme sont faux, archi-faux. L’homme n’est pas naturellement un individu ayant une aversion pour les autres. Les individus ne peuvent mener des existences séparées, contrairement aux allégations de Robert Nozick. Ce constat est important. Si l’anthropologie du libéralisme est fausse tout le reste des constructions alambiquées des philosophes, sociologues et économistes suit dans le naufrage.

Deuxième constatation : si l’homme est un animal communautaire, la communauté est une communauté politique, une communauté de vie et de destin et non la communauté humaine dans son ensemble. La fermeture des frontières décidée par un certain nombre de pays vient mettre un terme à toutes les utopies mondialistes. La seule communauté apte à protéger les humains est la communauté politique, c’est-à-dire l’État-nation, quelque forme qu’il prenne. Partout, les individus en voyage, expatriés ou en mission veulent être rapatriés, rejoindre la « mère patrie ». Les cosmopolites qui demandent à être rapatriés ne se doutent sans doute même pas que ce faisant ils piétinent leurs convictions affichées. Dans « rapatrié », il y a patrie. Pas moyen d’y échapper. Les Français rapatriés du Wuhan ont sans doute été les vecteurs de la propagation du virus en France comme d’autres dans toute l’Europe. Mais qu’importe : comme des vulgaires « nationalistes », ils ont demandé à retourner là où ils peuvent dire « on est chez nous ! » On s’émeut que les Tchèques aient détournés 650.000 masques chinois destinés à l’Italie. L’action est laide, mais qu’importe : les Tchèques préfèrent les Tchèques aux Italiens. Tout cela n’est pas anecdotique. C’est la réalité qui s’impose, une réalité qui n’est pas conforme à la vision bisounours du monde propagée par les « belles gens ». Mais c’est la réalité. « Tout patriote est dur à l’étranger » disait Rousseau, « ils ne sont qu’hommes, ils ne sont rien à ses yeux. Cet inconvénient est inévitable, mais il est faible. L’essentiel est d’être bon aux gens avec qui l’on vit. Au dehors le Spartiate était ambitieux, avare, inique ; mais le désintéressement, l’équité, la concorde régnaient dans ses murs. Défiez-vous de ces cosmopolites qui vont chercher au loin dans leurs livres des devoirs qu’ils dédaignent de remplir autour d’eux. Tel philosophe aime les Tartares, pour être dispensé d’aimer ses voisins. » Chose remarquable : les « flux migratoires » ont brutalement disparu de l’actualité.

D’un certain point de vue, tout cela peut paraître choquant ; la belle âme s’indigne. Mais l’éthique effective doit être ailleurs. La faillite prévisible du cosmopolitisme n’empêche pas la véritable solidarité humaine, la solidarité entre les nations. L’envoi de matériel chinois à l’Italie est peut-être une opération diplomatique, mais c’est de la solidarité effective, comme les médecins cubains qui viennent d’arriver à Rome. C’est bien autre chose que les stupides proclamations européistes et les gesticulations d’Ursula von der Leyen qui montre bruyamment que l’UE n’est qu’une chimère. Les régimes politiques cubain ou chinois ne sont pas très sympathiques, mais là n’est pas la question. La réalité effective compte plus que les mots.

Troisième constatation qui découle de la précédente : le nomadisme cher à la classe capitaliste transnationale autant qu’au gauchisme d’un Negri ou d’un Deleuze s’évanouit. Car c’est ce nomadisme qui véhicule les épidémies avec la multiplication des transports de biens et de personnes. Partout chez soi, voilà qui devrait ne plus avoir cours. L’aéroport est l’archétype de l’espace de la mondialisation. Le voilà fermé. 90% des vols Air France vont être annulés. Les bateaux de croisière, ces monstres qui dévorent lentement les ports où ils accostent se sont révélés des couveuses à virus. Au moins dans un premier temps, ces expériences en auront refroidi plus d’un ! C’est une véritable restructuration de notre espace vital qui est en cours.

Quatrième constatation : l’idéal techno-scientifique a du plomb dans l’aile. « Maîtres et possesseurs de la nature » : voilà nos sociétés terrassées par un virus passé, semble-t-il, de la chauve-souris à l’homme. Et pour lutter contre ce virus, le retour à une politique de santé digne de celles conduites face à la grande peste de 1348. Restez chez vous et on ramasse les morts ! Les professeurs d’immortalité d’hier (Laurent Alexandre and Co), les « transhumanistes », les voilà comme des petits enfants obéissants, terrorisés. Les modèles mathématiques ne disent rien et les algorithmes de l’intelligence artificielle sont silencieux. Tout ce fatras de technoscience qui inondait les ondes et les publications sur papier glacé ne sert à rien. La seule solution envisageable est un médicament vieux de plusieurs décennies et encore en vente libre hier ! En attendant un vaccin du type du vaccin contre la grippe.

Cinquième constatation qui vaut plus particulièrement pour l’Europe et les États-Unis : la pandémie du Covid-19 acte le « déclin de l’Occident ». Le thème est rebattu, concédons-le. Mais Chinois, Coréens, Singapouriens savent beaucoup mieux que nous faire face à une situation aussi dramatique. Une partie de la tragédie actuelle réside dans la morgue des Occidentaux qui n’avaient rien à apprendre de tous ces « jaunes » et d’ailleurs n’était-ce pas un « virus chinois » ? La réalité des rapports de force s’affirme sans guerre : le centre du monde est passé à l’Est. « Le vent d’Est l’emporte sur le vent d’Ouest », comme disait le président Mao… On peut faire des tirades contre la Chine, son gouvernement, son régime politique, on peut mobiliser la vieille peur du « péril jaune ». Rien ne nous dispensera d’un examen de conscience, rien ne nous dispensera de nous demander pourquoi la Corée, l’un des pays les plus pauvres du monde au lendemain de la Seconde guerre mondiale peut aujourd’hui nous donner des leçons en matière de santé publique. Il ne s’agit pas de déplorer une supériorité perdue (c’est la science née en Europe qui triomphe en Orient) mais de réviser radicalement les visions du monde obsolètes et de repenser les rapports entre les nations sur un pied d’égalité.

Dernière constatation, spécifiquement française. Les élites politiques et médicales se sont montrées en-dessous de tout. La nullité des Pénicaud, Ndiaye, Buzyn, etc., saute aux yeux. Le nouveau ministre de la santé et son adjoint directeur de la santé publique changent tous les trois jours de discours en espérant – ils doivent mépriser profondément leurs compatriotes – que les citoyens n’y verront que du feu. Les « experts » ne valent pas mieux que les politiques puisqu’ils leur fournissent à la demande les arguments les plus contradictoires, sans oublier les luttes d’influence mesquines des sommets du monde universitaire. On regarde Pénicaud répondre aux questions devant l’Assemblée et on se demande comme une telle personne a pu atteindre les sommets du monde de l’entreprise (DRH de Danone) puis les sommets de l’État. Dans un contexte évidemment très différent, il faut faire à nouveau le travail accompli par Marc Bloch dans L’étrange défaite pour comprendre la décomposition intellectuelle et morale de nos élites.

Sans doute, toutes ces leçons seront oubliées demain. Si on compte sur les dirigeants politiques pour en tenir compte, c’est qu’on croit encore au père Noël. Mais il est tout de même impératif de prendre date et de préparer l’avenir.

Messages

  • Merci pour votre enseignement, il est passionnant. J’apprends beaucoup de cette page "La Sociale". On commence à mesurer, d’un point de vue humain et politique, l’ampleur que prendra la pandémie dans les jours, les semaines qui viennent. Je viens de lire des extraits du livre de Marc Bloch "L"étrange défaite". C’est peu dire que la résonance du calamiteux passé militaire et civil de la France aux prises avec la seconde guerre mondiale, se ressent dans le traitement autoritaire et imbécile de la pandémie virale qui nous accable aujourd’hui. Aucune leçon ne semble avoir été tirée de cette époque. Pire, on peut maintenant commencer à mesurer l’impact des politiques mortifères générées par le néo-libéralisme, ce côté obscur du capitalisme qui, lui, n’a jamais porté en son sein que noirceur, guerres, misère et spoliation de la force de travail des peuples. Comment expliquer la persistance de la stupidité de nos "élites", à travers les siècles ? Comment être aveugle au point d’ignorer avec un entêtement et une volonté des plus farouches, les leçons du passé ? C’est pour moi un insondable mystère. Au passage, j’ai commandé le livre de Marc Bloch. J’y trouverai peut-être des réponses ou quelques pistes pour répondre à cette interrogation.
    Merci encore et longue vie à vos pages.

  • Excellents articles ! Ne sous-estimons pas toutefois la puissance de récupération du Capital ! Une lutte idéologique féroce va s’en suivre . Sommes-nous à la hauteur pour défendre les classes populaires avec une "gauche" totalement intégrée à ce système et incapable de faire quelque proposition politique qui tienne la route ? jm Toulouse

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.