UN CRIME GÉNÉRATIONNEL PLANÉTAIRE
Je n’ai pas encore lu cette remarque dans la presse : ce sont dans les pays où le capitalisme est le plus avancé que le coronavirus fait le plus de ravages…
Je n’ai pas encore remarqué dans la presse française qu’on ait pris cette question au sérieux : pour survivre aux mêmes conditions de rapine et d’exploitation, de destruction de la nature, flore et faune confondues, le capitalisme est en passe de saisir l’occasion de la pandémie actuelle pour se débarrasser de la vieille génération au plus vite. Les classes dominantes n’avaient encore jamais pensé qu’une telle aubaine la sauverait. Un destin qui vaut comme un sursis…
À la clef, des dizaines de milliards d’euros, économie de millions de retraites à verser mensuellement ; des milliards d’euros d’économie de frais de santé… des millions d’appartements libérés, des millions de postes de travail réorientés ou libérés à bas coût dans des conditions où la peur domine… Il n’est pas exagéré de soutenir que l’affaire est en passe de réussir.
Ici ou là, on caracole encore. Par exemple, dans Marianne.fr daté du 17 avril 2020 [1], lyrique, Emmanuel Macron, Président de la République - Quoi de plus important ? - ne trouve pas mieux que de revenir sur son destin : « ‘[N]ous avons [2] tous embarqué dans l’impensable’. ‘Nous avons mis la moitié de la planète à l’arrêt pour sauver des vies, c’est sans précédent dans notre histoire’, constate le chef de l’Etat, lâchant à ce propos l’une de ses bombes analytiques : ‘Je pense que c’est un profond choc anthropologique. […] Nous sommes tous face au besoin d’inventer quelque chose de nouveau, car c’est tout ce que nous pouvons faire’ » [3].
On lui répondait : « Dans une lettre au ministre de la santé que France 2 s’est procurée hier, des professionnels du soin aux personnes âgées réclament d’urgence des moyens matériels, des masques pour le personnel des Ehpad afin de se protéger et de protéger au mieux les résidents. Sinon, écrivent-elles, il pourrait y avoir plus de 100 000 décès dans l’éventualité d’une généralisation de cette situation dans les Ehpad. » [4]
« Sauver des vies ? » En l’occurrence, et depuis plusieurs semaines déjà, la presse internationale envisage cette question très sérieusement, comme celle qui consiste à régler définitivement le sort des vieux. En même temps, il appert que c’est la solution qui, aujourd’hui, activement et pratiquement, prévaut.
Dès le 24 mars, sur Focus Online [5], on pouvait lire : « Le vice-gouverneur du Texas déclare : ‘Les vieux doivent sacrifier leur vie pour sauver l’économie.’ ». Il est fortement sous-entendu qu’on va les aider à prendre ce chemin, de gré ou de force. Un tel ambitieux programme était -évidemment - aussitôt analysé dans la presse allemande.
La TAZ [6] écrit : « Les grands-parents doivent se sacrifier, suggère le vice-gouverneur du Texas, Dan Patrick. Cela semble fou, mais les Allemands sont encore pires. Âgé de 39 ans, Jens Spahn, ministre de la santé, fait maintenant le serment que, si on veut remettre l’économie allemande en état de fonctionnement aussitôt que possible, ‘on doit obliger les vieux à rester plusieurs mois durant chez eux.’ » Et, le journaliste de conclure : « Probablement jusqu’à ce qu’ils pourrissent. »
On dira que ces articles sont déjà anciens, qu’ils n’engagent que leur auteur, qu’ils sont extravagants…
Dira-t-on ? Position insoutenable. La presse allemande est beaucoup plus sérieuse que la presse française. ZDF [7], jeudi 16 avril… À l’occasion d’une émission télévisé de grande écoute, Elmar Theveßen, le correspondant de ZDF aux États-Unis, rend compte de la situation de catastrophe de la première puissance impériale mondiale. Il dit : « Dans les milieux républicains les plus conservateurs, on discute de l’opportunité de savoir s’il ne serait pas possible, dans une certaine mesure, et d’une certaine façon de sacrifier la vieille génération. » … sur l’autel du profit… Mercredi 15 avril, sur la même chaîne de la télévision allemande, le docteur Karl Lauterbach [8], rappelait que 60% des malades placés sous assistance respiratoire, décèdent à l’hôpital. Tout se passe comme si un immense piège se refermait sur les vieux en ne leur laissant aucune échappatoire.
Et dire qu’on ne donne même pas le droit aux enfants ou petits-enfants de serrer leurs pères et mères dans leur bras une dernière fois avant qu’ils meurent.
Un tel crime laissera des traces indélébiles à long terme, ce qu’on appelle sentiment de culpabilité. Un tel crime laissera les survivants en position de grande faiblesse quant à leur vie et leur survie… Ils seront corvéables à merci à cause d’une dette de manque d’amour dont ils ne pourront jamais s’acquitter…
L’histoire se fait et se refait sur trois générations. Que diront les jeunes parents d’aujourd’hui à leurs enfants et petits-enfants lorsque ces derniers demanderont : « Mais où sont passés papi et mamie ? » Tout se passe comme si les liens ancestraux qui unissent parents et enfants se rompaient et que les hommes ne pouvaient vivre cette tragédie qu’en regardant la télévision…
Gilbert Molinier
Berlin, le 17 avril 2020