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Le Ségur de l’entourloupe

mercredi 24 juin 2020, par Jacques COTTA

Dans son allocution télévisée annonçant ses intentions pour les deux ans qui viennent, le président de la République a exprimé le souhait de voir « les corps intermédiaires » venir à la rescousse. En d’autres termes, Emmanuel Macron remet dans les mains des « partenaires sociaux » la responsabilité de mettre en oeuvre ses décisions. Pour ne laisser planer aucun doute, il indique qu’en sortie de crise il faudra « travailler plus pour gagner moins » et que c’est aux organisations syndicales que reviendra, au nom du sens des responsabilités, la tâche de faire passer la pilule.

L’Alliance capital-travail

C’est un vieux rêve du patronat que le président fait les yeux ouverts. Faire endosser par les représentants des salariés la politique contraire à leurs intérêts. En d’autres termes, lier les organisations du salariat aux intérêts et à la prospérité du capital.

Cette tentative de subordination du travail au capital avait déjà été expérimentée à plusieurs niveaux sous différents vocables, la cogestion ou encore la participation. L’idée est toujours la même : subordonner les revendications, le travail, les salaires, les conditions de vie, la vie tout court à la prospérité du capital. A Continental Toulouse, Clairvoix, Sarguemine il y a une dizaine d’années des accords au nom du maintien de l’emploi avaient été signés, stipulant une baisse de plus de 8% des salaires. La baisse a été effective, mais pas les emplois. Quelques mois plus tard, les licenciements ont été décidés par une direction qui pouvait bénéficier du désarroi des ouvriers qui avaient été roulés et arguer de la compréhension de leurs représentants qui avaient tout fait pour gérer.

La volonté d’Emmanuel Macron de faire porter l’effort de persuasion et de contrainte sur les organisations syndicales n’est donc pas très originale. Mais lorsque ça marche, elle est dévastatrice. Ce qui se passe dans la santé est une assez bonne illustration de cette collaboration entre pouvoir et syndicats qui annihile de fait toute indépendance des seconds à l’égard des premiers et qui à terme interdit toute action en faveur des salariés, des hospitaliers.

Le Ségur, un cas d’école

Mettons de côté l’aspect politicard évident qui pour Emmanuel Macron vise au lendemain du confinement à se donner la posture d’un grand démocrate, à l’écoute du peuple. Tout est bon pour tenter de changer son image. Aussi grossier qu’absurde, on voit donc dans le domaine de l’écologie une convention avec membres tirés au sort n’ayant en fait pas grande innovation à exprimer, sinon la limitation de la vitesse à 110 sur l’autoroute. Encore un effort et on nous contraindra à rouler en marche arrière ! Si demain une convention devait se réunir sur les questions budgétaires ou financières, peut-être que les gagnants du Loto feraient office d’oracles de circonstance…

Plus sérieusement pour la santé : 300 participants réunis autour des syndicats à l’exception de SUD qui fort judicieusement a claqué la porte. Pour l’effet d’annonce, c’est donc pratiquement parfait. La convention Ségur est présidée par Nicole Notat, l’ancienne responsable de la CFDT, soutien du plan Juppé sur les retraites en 1995, 1995 déjà, recyclée à la tête de vigeo, société européenne d’évaluation des performances sociales et environnementales des entreprises, un personnage emblématique de la collaboration capital travail. Pour le casting, c’est donc pas mal non plus.

Et pour le fond. C’est là que là que le bât blesse.

Dans les faits, 2minutes de temps de parole par session et par participants, si tous veulent parler. Bref, le temps d’éternuer.

Sur les revendications :

  • il est question d’augmentations salariales.
    Difficile d’éviter le sujet. La France est par exemple au 28e rang de l’OCDE et à 10% en dessous du salaire moyen français pour les infirmières. Alors, augmentations ? Mais combien et pour qui ? Les organisations syndicales hors du Ségur demandent 300 euros pour tous et tout de suite. Dans le Ségur, plus aucun chiffre n’est annoncé. Adieu la véhémence qui colle dans les rues aux revendications des hospitaliers. Les vielles recettes sont mitonnées, issues du monde du privé. Le gouvernement prône l’intéressement par exemple qui devrait venir récompenser les plus méritants. Et Les syndicats discutent, poliment.
  • La pandémie a illustré à merveille les manques de personnels, de lits et de moyens.
    Pour les personnels, vous pensiez à des créations de postes, à des recrutements ? Bandes de naïfs. Il n’en n’est pas question. il suffirait de revenir sur les 35h, de travailler plus, une occasion de gagner d’avantage dit le ministre Veran, pour combler les manques. Il parait que les hospitaliers sont épuisés, harassés, exténués… Ils ont été applaudi jusque dans l’hémicycle de l’AN ou la cour de l’Elysée, voilà qui -médaille aidant- a dû les revigorer. Et s’ils connaissent des difficultés, le gouvernement grâce aux responsables syndicaux qui se prêtent à la farce y a pensé : Le mal, c’est les statuts qu’il faut remettre en cause. Ne sont-ils pas paralysants, trop encombrants ?
  • Pour les lits, les structures hospitalières, vous pensiez à un retour sur les fermetures ?
    Décidément, la naïveté vous tuera. Non seulement il n’en n’est pas question mais en plus les fermetures d’établissements et de lits devront se poursuivre, au nom de la "rationalisation des coûts", évidemment. Déjà un plan est établi. Jusque dans le grand Est qui a défrayé la chronique durant l’épidémie. C’est cela le Ségur. C’est cela le cadre accepté par les organisations syndicales qui y participent.

Edouard Philippe en lançant le Ségur de la santé le 25 mai et en fixant à la mi juillet la fin des réjouissances avait déclaré ses intentions :

  • « construire ensemble l’avenir de l’hôpital et plus largement une nouvelle organisation des soins. Pour trouver les moyens d’accélérer la rénovation en profondeur de notre système de santé ».

Il se réclamait du passé car « c’était le bon cap ». Bref, « L’hôpital entreprise » devrait avoir de beaux jours devant lui.

La feuille de route ainsi tracée donne le cadre à des syndicats qui au nom de la « responsabilité » jouent un jeu contraire à la mission qui devrait être la leur. Le Ségur est une adaptation française de ce qui au niveau européen est déjà en cours, avec la Confédération européenne des syndicats présidée par Laurent Berger, le patron de la CFDT, dans laquelle siègent CGT et FO, pour mettre en oeuvre les directives européennes dans le monde du travail. En d’autres termes, les réformes des retraites, de l’assurance chômage, et autres joyeusetés…

Le Ségur est donc un bon cas d’école. Cinq semaines de concertation pour
1/ donner le sentiment du débat, du dialogue, de l’écoute.
2/désamorcer le mécontentement en poursuivant dans la même direction de liquidation de notre système de santé
3/isoler les récalcitrants.

Pour l’intérêt des hospitaliers, pour celui de l’hôpital public, pour celui de notre bien commun, une exigence ne devrait elle pas s’imposer en direction des syndicats réunis dans la mascarade du Ségur. Sortez de là ! N’y siégez pas ! Vous n’avez rien à y faire ! Vous n’êtes pas à votre place ! Respectez donc l’indépendance de classe mise à mal part toutes ces politiques de collaboration.

Jacques Cotta
Le 24 juin 2020

Messages

  • Bonjour,
    comment résumer le plus simplement possible l’arnaque que représente le "Ségur de la Santé" ? Il me semble qu’il suffit de citer le nom de la pilote : Mme Nicole Notat.

    Pour les plus jeunes il est nécessaire de rappeler le pédigrée de Mme Nicole Notat.
    Cette ex-syndicaliste jaune dirigeait la CFDT dans les années 90 (et jusqu’à 2002), membre du Siècle (rechercher la nature de ce Club) qu’elle a présidé 2 ans, soutien d’Emmanuel Macron dès le premier tour (tu m’étonnes !),la Laurent Berger de l’époque (!) s’était rendu complice (déjà !) du gouvernement Chirac-Juppé pour l’aider à faire passer auprès des salariés le projet de loi "cassant" leurs retraites et la Sécurité Sociale (le fameux Plan Juppé de 1995).

    C’est bien cette "belle personne" qui a été choisie par le Petit Prince de l’Oligarchie pour piloter le « Ségur de la Santé ».

    Désormais les personnels de santé sont prévenus !

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