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Guerres de religions ?

lundi 5 octobre 2020, par Denis COLLIN

Pour éviter les procès en islamophobie, il est de bon ton de mettre toutes les religions dans le même sac et de faire un paquet cadeau prêtre-rabbin-imam. Cette manière de voir ne me convient pas du tout. Les formes religieuses doivent être comprises comme des formes de pensée de la vie sociale et appréciées à cet aune. Et de ce point de vue, les religions sont fort différentes les unes des autres et ne sauraient être réduites à des superstitions obscurantistes. Il suffit de lire le très important livre d’Ernst Bloch, Athéisme dans le christianisme, pour comprendre ce qui est en cause : le christianisme a favorisé l’essor de la pensée libre. Et quand Hegel soutient que le christianisme a apporté cette idée fondamentale de la liberté de l’individu, il a parfaitement raison. Que l’appareil ecclésiastique se soit le plus souvent conduit comme un appareil d’oppression et un appareil de soutien à l’oppression, cela ne change rien à l’affaire : les droits de l’homme et la laïcité sont nés du christianisme. Pour ne rien dire du communisme qui en est un prolongement.

Cette première remarque en appelle une autre. Les "guerres de religion" sont propres au christianisme occidental. Ailleurs, il n’y a pas eu de "guerres de religion", chaque religion s’identifiant de facto à l’Etat. L’orthodoxie est une religion d’Etat dans l’empire russe. L’islam est religion d’Etat partout où l’islam s’est imposé. Pour des raisons historiques, les "guerres de religion" (qui n’ont pas duré trois siècles comme le pense le "grand historien" Mélenchon) expriment d’abord la montée des revendications de liberté sur tous les plans et ce n’est nullement un hasard si elle s’organise d’abord dans l’enveloppe du christianisme universel (catholikos) ou réformé. Le processus qui met fin à ces "guerres" est complexe et son histoire est peut-être encore à faire, mais il aboutit toujours plus ou moins à expulser la religion de la sphère publique. Une religion qui renonce à organiser la sphère publique n’est plus qu’un fantôme de religion. C’est une religion réduite à la foi, à la morale éventuellement, mais non plus un institution qui structure la division entre sacré et profane pour reprendre l’analyse de Durkheim. De ce point de vue, si le christianisme peut accepter cette réduction, peut donc être la "religion de la sortie de la religion" (Marcel Gauchet), l’islam signerait au contraire sa disparition pure et simple. Un islam qui renoncerait à légiférer sur ce qui est pur et ce qui est impur, un islam réduit à la foi, serait à peine différent d’une secte protestante. L’islam religion privée est une impossibilité théorique. Construite sur un récit guerrier, la religion musulmane est une religion de conquête du pouvoir. Il est donc assez facile de comprendre que la poussée islamique (et pas seulement islamiste) entre en conflit violent avec des sociétés laïcisées. Il n’y a donc de menace de "guerres de religions" (au pluriel) car il s’agit d’une offensive conquérante d’une certaine religion contre toutes les sociétés laïcisées.

Denis COLLIN

Messages

  • Je suis loin d’être un spécialiste des religions mais ici le survol me paraît manquer d’épaisseur. "Le christianisme a favorisé l’essor de la pensée libre". Même sous l’inquisition ? Ciao, Jordano Bruno, adieu Galilée. Avant de s’affirmer "amour", la chrétienté s’est largement montrée massacreuse. Avec, bien sûr, nos grandes guerres dites de religion mais en fait de pouvoir et de domination, comme toujours. Ne pas mettre toutes les religions dans le même sac ? Elles sont différentes sous divers aspects mais elles ont au moins un sac commun : la soumission à un dogme, chaque prophète ayant écrit le sien et chaque courant, après avoir choisi le sien, y ajoutant différentes traditions devenues des tabous intouchables. "La religion musulmane est une religion de conquête du pouvoir". Ben oui, sans doute, si on reconnaît à chacun ses croisades et ses conquêtes de l’Amérique quand on allait expliquer dans le sang aux barbares indiens la vérité de notre dieu. Pourtant, quelques érudits du coran (qu’ils me pardonnent, je vois leurs visages mais ne retrouve pas leurs noms) ont tenté d’expliquer que le coran pouvait être interprété de manière non guerrière. Bien avant, d’Avicenne en Averroès, tous les courants musulmans n’étaient pas guerrier et opposés aux sciences et à la raison. C’est autre chose évidemment, de constater qu’aujourd’hui certains courants islamistes se veulent conquérants et s’opposent à la laïcité. Cela n’a pas toujours été, au moins en France. Petit récit personnel.
    Dans un siège sportif, devenu un peu Maison du peuple, le Hadj du quartier (celui qui a fait le voyage à La Mecque) m’avait choisi comme partenaire préféré à "la contrée" (il était un expert en ce genre de belote) et aux dames, connaissant non seulement mon clair athéisme mais que certains jeunes osaient me qualifier de "hadj athée". C’est dire. Et l’on discutait fréquemment de religion...et de politique, domaine dans lequel il pouvait se montrer plus progressiste que bien des prétendus esprits ouverts de gauche. J’ai connu bien des gars ayant des parents musulmans qui, lors du ramadan, venaient en douce manger des sandwiches pour ne pas offenser les parents qui jeûnaient. Mais ces personnes s’inscrivaient dans un milieu ouvrier, avaient du travail et côtoyaient quotidiennement une population "bigarrée" dans laquelle ils se fondaient sans aucune gêne. Et certains, non seulement osaient plus tard s’affirmer athée mais devenaient communistes, syndicalistes, délégués (j’ai deux copains qui viennent de prendre leur retraite : qui pour remplacer ces délégués de la lutte des classes ? Personne).
    Pas de guerre de religion ailleurs ? Même pas entre chiites et sunnites, pour en rester à cette seule division alors que les schismes y sont également nombreux ? Le christianisme un fantôme de religion ? Peut-être, mais qui a pu durer et dure encore un peu. S’il a, certes, accepter la soumission au pouvoir politique, cela a aussi permis sa survie. On peut même soutenir que les populations à majorité musulmane auront besoin de se laïciser si elles veulent faire nation, faire peuple...mais il leur faudra pour cela remettre en cause la soumission au dogme (pas étonnant que les femmes soient les premières...à déchirer ce voile et à subir les violences des pouvoirs islamistes). Doit-on évoquer les guerres qui ont ravagé bien des pays, ne nous "ayant rien fait", et qui nourrissent une haine facile à manipuler ?
    Bon. C’est déjà assez long, mais c’était pour dire que les problèmes posés ne sont pas si facile à catégoriser et à régler.
    Méc-créant.
    (Blog : "Immondialisation : peuples en solde !" )

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