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Juin 48, mars 71 et nous

samedi 23 janvier 2021, par René MERLE

Comme les bulles qui crèvent la surface tranquille d’un lac volcanique témoignent d’une possible explosion à venir, cent signes encore imperceptibles nous annoncent la possibilité de la Crise majeure.
Ce qui mûrit dans l’anesthésie et l’angoisse qu’ont causées l’épidémie et sa gouverne chaotique n’a rien à voir avec l’inquiétude électorale qui agite notre petit sérail politique.
Il peut ne naître de cette hébétude que plus de résignation et de soumission. Il peut aussi en surgir une lame de fond, soudaine, violente, aveugle, incontrôlable.
Auquel cas, déformation professionnelle, je reviens sur deux épisodes majeurs de notre histoire, les deux derniers épisodes révolutionnaires, - l’insurrection parisienne de juin 1848, la Commune de Paris - pour une mise en abyme avec notre possible futur.
Dans les deux cas, le foyer révolutionnaire est parisien, et l’environnement national indifférent ou hostile. Aujourd’hui, la secousse protestataire serait nationale, et l’environnement celui d’une Europe officielle clairement hostile.
Rien de commun donc a priori entre ce passé révolu et notre présent. Sinon que, banalité de la porte, faute de pouvoir rompre la gangue de l’environnement hostile, l’entreprise, aussi audacieuse soit-elle, est vouée à l’échec. Et quel échec ! L’échec de l’entreprise grecque s’est soldé par plus de misère pour le peuple, l’échec des révolutions de juin 1848 et de la Commune s’est soldé par une répression sanglante qui a stérilisé pour des années les possibilités militantes. Leçon un peu trop oubliée par les temps qui courent : les possédants n’ont aucun scrupule à exercer une répression de masse impitoyable si leurs intérêts sont vraiment menacés. Le Chili en a su quelque chose. Avec Gladio, l’Italie a failli le savoir. Sans inutile romantisme révolutionnaire, et par pure lucidité militante, il n’est pas possible d’oublier les milliers de fusillés de juin 48 et les vingt ou trente mille fusillés de mai 71. En mai 68, les chars étaient aux portes de Paris.
Mais revenons au déroulement des deux secousses.
Dans les deux cas, le pouvoir a eu recours à la provocation pour susciter la réaction populaire et justifier l’écrasement d’un foyer révolutionnaire parisien encore isolé par rapport au reste de la Nation.
En 1848, devant le mécontentement engendré par les promesses de février non tenues, (notamment le droit au travail), le pouvoir pousse à l’insurrection avec la suppression brutale des Ateliers nationaux et l’offre d’exil légal en Algérie. Il pousse à l’insurrection pour mieux l’écraser.
Lutte de classes à ciel ouvert. À la différence des insurrections préparées, encadrées et déclenchées par les sociétés secrètes sous la Monarchie de Juillet, l’insurrection ouvrière de Juin 48 est spontanée, sans chefs, et se répand comme une trainée de poudre. Insurrection désespérée sans autre perspective que d’exprimer sa rage... Le courage des combattants à peine armés, l’appui total des quartiers populaires, la topographie du Vieux Paris propice aux barricades, permettront à l’insurrection de tenir cinq jours contre l’armée de la guerre de conquête (Algérie !), contre la garde nationale bourgeoise et ses chefs (Ah, Hugo !), contre une jeunesse populaire dévoyée et le lumpenprolétariat enrégimentés dans la Garde mobile (que les naïfs qui s’extasient aujourd’hui devant une certaine jeunesse populaire s’en souviennent !)…
Au lendemain de leur victoire, les vainqueurs auront beau jeu de dire aux vaincus : « Vous avez maintenant le suffrage universel (masculin), oubliez l’usage de la force, oubliez le fusil, choisissez le bulletin de vote, et acceptez les décisions de la majorité ». Un refrain qui n’a pas cessé de retentir depuis…
23 ans plus tard, c’est dans un tout autre Paris que le drame va se nouer, un Paris où le bouleversement urbanistique rend la barricade presque inopérante. Un Paris encore enfiévré et traumatisé par le terrible siège prussien (du 17 septembre 1870 au 26 janvier 1871).
Première grande différence avec 1848 : si le peuple est armé, il l’est « légalement », car il l’a été pour les besoins de la défense de la capitale.
Or le peuple ouvrier bouillonne maintenant de rage et d’espérances.
D’où, à nouveau, la provocation du pouvoir conservateur qui dans la nuit du 18 mars tente d’enlever les canons de la garde nationale. Devant la réaction populaire (les femmes au premier rang), le gouvernement se replie sur Versailles et laisse Paris s’organiser en Commune, encerclée, isolée, pour mieux l’écraser fin mai.
Seconde grande différence avec juin 1848 : la révolution parisienne n’est pas née d’un coup de force insurrectionnel. Elle est parfaitement « légale ». Ses dirigeants ont été élus le plus démocratiquement du monde. C’est donc le pouvoir qui va violer la représentation populaire et transformer en « insurrection » à abattre une réalité communale.
Et, à la différence de l’embrasement de juin 48, cette « insurrection » a donc des dirigeants, élus, dont l’historiographie fige le réalité vivante, et mouvante, en étiquettes doctrinales : Jacobins, Radicaux, Socialistes, Proudhoniens, Blanquistes, Internationalistes, etc.
Comment s’étonner qu’ils puissent avoir des analyses et des propositions différentes, en particulier dans leur rapport à l’État ? À la différence des Insurgés de juin 48, les Communeux (que l’on appellera plus tard péjorativement d’abord Communards) ont une perspective politique. Ils rêvent d’une France unissant des communes autonomes, mais ils ne touchent pas à l’essence même du pouvoir central, la Banque de France, « le cœur même de la vitalité commerciale et industrielle de la France », comme l’écrivait Maxime du Camp. Prise de pouvoir politique, mais pas prise de pouvoir économique. Les vainqueurs se féliciteront de cette naïveté, dont ils ne tiendront d’ailleurs aucun gré aux vaincus.
Il serait facile, et utile, de mettre en abyme la situation de 1871 avec les programmes électoraux actuels, qui prônent une alternance politique dans le maintien des structures de dominance économique nationale et européenne.

J’arrête là ce double rappel historique qui n’apprendra rien aux initiés, mais qui n’est peut-être pas inutile par rapport à ce qui nous attend.

René Merle

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