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Le Brésil de la conjoncture pré- et post- électorale des municipales de 2020

vendredi 29 janvier 2021, par Otavio ROCHA

Le Brésil de la conjoncture pré- et post- électorale des municipales de 2020

Pour quelqu’un qui veut se présenter aux élections présidentielles de 2022, Bolsonaro a été le grand perdant des élections municipales de novembre dernier. Il n’en est pas sorti indemne ! En plus de la crise économique, son négationnisme par rapport à la pandémie et le manque véritable d’un gouvernement structuré ont pesé contre lui. Pour s’en faire une idée : personne ne sait le nom du troisième ministre de l’Éducation nationale de son gouvernement. En plus, avec les divisions au sein de la droite, il subit aussi la pression des divers secteurs des élites riches qui constatent son incapacité à gouverner à l’intérieur d’une démocratie institutionnelle. Une partie se place déjà contre lui. Le plus grand porte-parole de cette opposition politique est le Réseau Globo (télévision, journaux, revues, radios, chaîne privée). Il y a en ce moment plus de 60 demandes d’impeachment, contre Bolsonaro, dans leur totalité venue des partis de la gauche ou des mouvements sociaux contestataires, et qui sont bloquées par Rodrigo Maia (du Parti Démocrate et président du Congrès National) qui rassemble un bloc appelé Centrão par sa place dans le spectre politique de centre droit. À la recherche d’une base fidèle au Congrès national, le président Jair Bolsonaro (sans parti) s’est récemment rapproché d’un groupe de partis qui forment ce groupement. En vérité, il se constitue d’une longue liste de parlementaires, qui se met ensemble afin de garantir l’approbation des projets de loi d’intérêt du Gouvernement. C’est bien le Centrão qui assure un soutien suffisant pour écarter toute possibilité de mise en accusation. En vérité, il n’y a pas d’identité idéologique ni de cohésion politique. Ses composantes changent en fonction des circonstances par opportunisme pur et dur.

Malgré tout un arsenal cybernétique sorti de l’usine à fakenews que la famille et les coreligionnaires de Bolsonaro ont structurée depuis les élections de 2018 avec l’aide du stratège de Donald Trump, Steve Bannon (que Trump vient d’acquitter des accusations concernant ses actions illégales), les résultats des urnes n’ont pas donné le salut à son gouvernement. Il y a eu même un essai de frauder le système électoral fédéral électronique mise en place il y a plus de deux décennies par le Tribunal supérieur électoral (TSE) sans qu’il se soit trouvé une explication convaincante. Les investigations n’ont pas « révélé » un coupable. Mais seulement les citoyens les plus politisés se rappellent cela. Les partisans de l’actuel Président de la République utilisent un discours qui met en doute ce système des urnes électroniques et menacent de subvertir les règles constitutionnelles de la démocratie instituée. Ils font cela avec « leurs mains sur la bible ». Ils jurent de respecter la Constitution de 1988. Mais, au même temps, ils arrivent même à dire qu’au Brésil une possible constatation de fraude provoquerait de la part de leurs partisans une réaction pire que celle qui s’est passée aux USA à la veille de l’investiture de Joe Bident. Avec cette litanie, ils mettent en cause la légitimité même de toutes les élections sauf celles de 2018 qui ont élu l’actuel Président. Mais les urnes des élections municipales de novembre 2020, ont donné des motivations à leurs inquiétudes aussi. Exactement comme pour leurs menaces de coup d’État, la population la plus consciente a réagi.

Le bloc libéral de droite MDB/DEM/PSDB, a perdu un tiers des voix par rapport à 2016. Mais quelque chose autour de 53 % de la population est d’accord pour l’impeachment de Bolsonaro. Si d’une certaine manière Bolsonaro a été sanctionné par ces élections, une partie de la population a exprimé son insatisfaction en votant dans des partis politiques qui n’étaient pas sous son influence. Par contre, l’action de l’ensemble des partis d’extrême droite a dragué une partie des votes des partis de centre droit et de la droite. L’extrême droite dans les grandes villes a réussi quelque chose autour de 10 % de voix exprimées. La chute des voix pour les candidats de Bolsonaro n’a pas été plus significative dans ces élections, probablement grâce à l’aide d’urgence du Gouvernement fédéral (aux populations les plus démunies) qui a fini par être associée à son nom, malgré le fait que ce sont les partis de gauche qui ont fait campagne pour cette aide. Mais l’action des fakenews a pesé aussi.

Pour le second tour des élections municipales, João Dória, l’actuel gouverneur de São Paulo — qui avait soutenu Bolsonaro pour son élection en 2018 – pour ces dernières élections de novembre s’est allié avec Bruno Covas du PSDB, parti de l’ex-président Fernando Henrique Cardoso, parti de centre gauche devenu de centre droit. Même submergée par les dénonciations de corruptions, la coalition Dória-Covas a eu une victoire avec 59,38 % des votes exprimés. À Rio de Janeiro, Eduardo Paes do DEM (DROITE) a réussi 64,07 %. La capitale de l’État de São Paulo a fonctionné comme un laboratoire de ce qui plus ou moins va se passer aux présidentielles de 2022. À ce moment-là, Bolsonaro va se trouver possiblement contre João Dória (PSDB), Luciano Huck (grand présentateur de la chaîne de la Rede Globo). Mais il y a aussi la menace de Sergio Moro, ancien ministre de la Justice de Bolsonaro et Grand Maître de l’Opération Lava Jato et responsable pour la chute presque absolue de la plus importante entreprise privée (de plusieurs domaines) du Brésil et une des plus grandes au monde.

Dans cet imbroglio un nouveau personnage est rentré sur la scène électorale pour exprimer les désirs de changement populaire et de la jeunesse. Il s’agit de Guilherme Boulos, issu de la classe moyenne (son père est médecin infectiologue) qui est devenu le plus célèbre activiste pour les droits à habiter dignement. Né à São Paulo il y a 38 ans, marié, père de deux filles, il a une personnalité charismatique et sympathique. Il est professeur, philosophe, psychanalyste, et écrivain, affilié au PSOL (Parti Socialisme et Liberté). Il s’est allié à Luiza Erundina âgée de 86 ans (du Parti Socialiste Brésilien), qui a été la maire la plus importante de la ville de São Paulo. Elle aussi très charismatique, Erundina a donné à son duo avec Boulos, encore plus de charme à la campagne qu’ils ont menée. La ville de São Paulo a connu une vibration semblable à celle de la première campagne qui a élu Lula Président. Mais malgré l’amitié de Boulos et de Erundina avec Lula et les très bonnes relations avec le Parti des Travailleurs, celui-ci a préféré présenter un candidat peu connu (Jilmar Tatto), même s’il a une carrière politique remarquable aussi. Peut-être, si le PT avait appuyé Boulos dès le premier tour ils auraient réussi à battre le candidat de la droite.

Voici une des racines de la mauvaise performance du PT qui s’explique par les divisions de la gauche au Brésil d’aujourd’hui. Le ressentiment du Parti Démocratique des Travailleurs (PDT) de Ciro Gomes — l’ex-ministre du Gouvernement Lula — en est un exemple qui pourrait se présenter dans la conjoncture des élections présidentielles de 2022, d’autant plus si Lula se présente comme candidat aux présidentielles, comme cela semble être le cas. C’est toujours un pari osé, compte tenu de tout le sentiment anti-PT disséminé par les fabrications idéologiques de Lava Jato, mais aussi par les importantes erreurs qui ont été commises par ce parti. L’ancienne direction du PT ne veut pas faire un véritable bilan de sa trajectoire et il y a beaucoup d’analystes, mais aussi des militants, qui se plaignent de ce comportement de la direction du PT. De toute manière, il faut prendre en compte que le Parti des Travailleurs n’a réussi à conquérir aucune capitale d’État. Il a réussi à prendre les mairies de Diadema et Mauá, dans l’État de São Paulo, Juiz de Fora et Contagem, dans l’État de Minais Gerais. Il a gagné les mairies dans plusieurs petites et moyennes villes, mais il a perdu dans presque toutes les capitales brésiliennes.

Depuis 1992, pour la première fois le PT n’a pas participé au deuxième tour de l’élection pour la mairie de São Paulo. Boulos a atteint le second tour et a fait 40,23 % des voix, mais a été battu par Covas. Tout de même, le PSOL fête sa participation puisqu’il a galvanisé la plus heureuse, enthousiaste et surprenant des élections municipales brésiliennes de novembre passé. La dispute de Boulos avec Covas a polarisé les attentions d’une bonne partie de la population au Brésil. Le PSOL qui est issu d’une dissidence du PT, a élu pour la deuxième fois à la mairie de Belém do Para avec 52 % des voix. Pour le PSOL, ses résultats promettent un temps nouveau pour lui qui fait comme s’il était le PT d’antan. Lui qui a été toujours un parti très identifié au PT authentique par son origine même, peut rêver de trouver une place, construire une identité propre avec une certaine force. Toutefois, comme le PT n’est plus au gouvernement — quand le PSOL était dans l’opposition, il tirait une partie de sa force de cette position – il lui faudra maintenant concurrencer les votes du PT. Il ne faut pas oublier, à croire aux informations du PT lui-même, qu’il reste le plus grand parti de masse et de base militante du Brésil. Mais actuellement, une bonne partie de gauche alternative, une partie des mouvements sociaux et identitaires s’exprime électoralement à travers le PSOL.

Encore dans le spectre de la gauche institutionnelle, le Parti communiste du Brésil (PCdoB), à son tour, est en chute et a perdu 40 % de ses voix. Son seul grand exploit a été de porter Manuela D’Ávila au second tour des élections à Porto Alegre. Dans des grandes capitales comme Rio de Janeiro, Belo Horizonte et São Paulo, le parti communiste n’a élu aucun conseiller communal. Attention, il ne faut pas oublier la dispute spectaculaire à Recife qui est la capitale de l’État de Pernambuco. Le vainqueur a été João Campos fils de Eduardo Campos (aussi du Parti Socialiste Brésilien) ancien gouverneur de Pernambuco, candidat prometteur très bien placé dans les élections présidentielles de 2014 qui est mort dans l’accident de l’avion qu’il utilisait pour sa campagne. Avec 56,27 % des voix exprimées, João Campos a battu sa cousine Marília Arraes du PT qui a eu 43,73 %.

La pandémie a eu un poids sur l’abstention moins considérable que celui qui a été prévu. Les citoyens ont voté parce qu’il y a eu une intense campagne du Tribunal Suprême fédéral qui a collé au sentiment du besoin de protester pour une partie considérable de la population urbaine, particulièrement des jeunes qui voient leur avenir obscurci par des nuages sombres. Pour penser un peu l’aspect quantitatif de ces élections, selon le TSE 30,6 % des électeurs n’ont pas choisi un candidat comme maire ou conseiller municipal. Au total 4 millions ont voté en blanc et 7 millions ont annulé leurs bulletins de votation. Dans quelques villes, l’abstention, annulation du vote et le vote en blanc a atteint un niveau très élevé, comme à Rio de Janeiro, 39,16 %. Ce comportement s’est plus ou moins reproduit dans d’autres villes, comme São Paulo ou le nombre total d’annulations, de vote en blanc et des abstentions a touché 37 %. Ce taux peut être considéré élevé d’autant plus que le vote aux élections brésiliennes est toujours obligatoire. Il y a des sanctions qui empêchent le citoyen, par exemple, de pouvoir participer à un concours fédéral ou renouveler son passeport, se l’électeur ne justifie son absence. Lors de la dernière élection présidentielle de 2018, plus de 40 millions de personnes ont pratiqué l’abstention, le vote en blanc et l’annulation du vote. En 2014 38,78 millions ont fait la même chose.

Néanmoins, il faut considérer qu’il y a une tradition au Brésil — semblable a celle de plusieurs pays au monde, qui finit par donner aux abstentions, aux votes nuls et blancs un taux très significatif par rapport à l’ensemble des élections, en général très sous-traité par rapport à sa signification et aussi sous-estimé. Dans le langage électoral, ils veulent dire beaucoup de choses, mais peut-être encore plus dans d’autres domaines politiques. Le sentiment anti-systémique à gauche, mais aussi à l’extrême droite est considérable. Il y en a de ceux qui pensent possible que Bolsonaro puisse entreprendre un coup d’État. Il s’agit d’une opinion contestée par d’autres analystes. Le journaliste Luis Nassif, commentateur de la politique brésilienne qui est de la gauche plus ou moins au moins proche au Parti des Travailleurs qui vient d’écrire ceci :

« Il y a un sentiment omniprésent que le pays est détruit, les institutions sont brisées, que les Huns de Bolsonaro n’épargnent pas l’éducation, la santé, la science et la technologie, les mouvements sociaux, l’industrie nationale, le marché, les emplois. Et, de la tragédie de Manaus, la prise de conscience que le pays est complètement à la dérive dans la lutte contre la pandémie. Enfin, une sensation d’urgence généralisée, prête à exploser, mais avec la chaleur se dispersant dans l’air. Ce n’est pas un problème exclusif de destruction des institutions, mais un risque imminent de contrôle du pays par le crime organisé. Il y a des signes clairs dans l’air que Bolsonaro tentera le coup d’État tôt ou tard. Plus tôt, s’il réussit à rassembler une masse critique en faveur du coup d’État. Plus tard, si la perspective la perspective d’être vaincu aux élections de 2022 s’affirme. » (Luís Nassif, 25 janvier 2021)

Mais il faut dire que jusqu’à ce moment il n’a pas véritablement réussi à regrouper des forces politiques et juridiques pour faire un coup d’État. Les militaires, eux-mêmes, ne semblent pas d’accord avec ce que pourrait être une aventure tragique irréparable. Cependant, comme par rapport à Trump, il ne faut pas croire que le faire sortir du Palais Présidentiel, va faire disparaître le « bolsonarisme » comme mouvement. À ce populisme, une partie de gauche veut répondre avec un populisme de gauche. Pourquoi et comment ces ambitions politiques populistes et autoritaires continuent d’emballer une partie de la population de la Planète est devenue aussi une question centrale pour l’analyse de chaque conjoncture régionale. Il a une certaine polarisation au Brésil, comme aux USA et par tout en Amérique Latine. Mais, peut-être mieux qu’en Europe ou dans les autres Continents, dans celui-ci des rayons d’espoir semblent revenir.