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Lutter contre la corruption, un combat de gauche ?

dimanche 31 janvier 2021, par Jean-Paul DAMAGGIO

Régis de Castelnau, ancien avocat communiste répond aux questions de Marianne où il indique, comme dans son livre, comment Fillon a été victime d’un complot. Pas pour défendre Fillon bien sûr, mais par sens de la justice. Et qui au cœur du complot ? Les grands médias.

Je retiens cette réponse à la question : quel rôle joue la presse selon vous ? et il répond ce que je réponds depuis des années : « Pierre Péan avait fait une description assez meurtrière du fameux journalisme d’investigation. » Il fait référence bien sûr au livre La face cachée du Monde écrit avec Philippe Cohen.

La lutte contre la corruption est devenue une référence de base de la lutte politique sauf qu’elle comporte des pièges démocratiques. Comme souvent l’Italie a été pionnière sur ce point politique. Au début des années 1990 des juges démocrates se sont lancés dans l’opération dite « Mains propres » et le résultat fut en effet effarant. Le PS socialiste fut tellement frappé que son dirigeant est parti se cacher chez le dictateur tunisien Ben Ali. Puis ce fut le tour de la Démocratie chrétienne. Et qui tira les marrons du feu de ce nettoyage ? Berlusconi. Le parti de gauche issu du PCI resté propre pouvait espérer tirer quelques bénéfices de son honnêteté mais non ! Alors un des juges décida de se lancer dans la politique, sidéré de découvrir que le travail accompli bénéficiait à un truand que cependant la justice ne laisserait pas en paix. Di Pietro créa l’Italie des Valeurs, un parti sympathique mais malgré ses talents il découvrit qu’on ne crée pas un parti politique sur des valeurs !

Tout parti politique repose sur une force sociale et non sur une force morale même si la force morale peut aider tel ou tel parti car c’est une évidence pour beaucoup, la corruption est aussi vieille que la politique !

En 1789 des trois forces sociales, le haut clergé fut éliminé avec naissance au sein du Tiers état de la puissance bourgeoise qui devra affronter pendant un siècle les vestiges de l’aristocratie.

Quand en 1880 l’aristocratie fut enfin définitivement battue en France alors au sein de la force bourgeoise la force de la classe ouvrière s’est développée, les paysans en toile de fond servant de force d’appoint aux uns et aux autres.

A partir des années 1980 quand la bourgeoisie a entrepris sa propre révolution suivant un principe venu de Sicile « Tout changer pour que rien ne change » la classe ouvrière ne pouvait plus être une force sociale et l’effondrement de l’URSS aggrava non pas sa présence sociologique mais sa force de proposition ! Voilà pourquoi la révolution conservatrice a pu s’emparer du thème de la corruption pour aider à détruire le bras de fer historique entre droite et gauche.

Comment, à partir de là, se distribuent les nouvelles forces sociales porteuses des partis politiques ? Telle est la quête permanente des vestiges de la gauche. J’ai pu vérifier jusqu’à quel point Michel Clouscard par exemple était hanté par cette question. Inclure dans la classe ouvrière les ITC (Ingénieurs, Techniciens et Cadres) ? me demanda-t-il un jour. Pour d’autres : s’emparer enfin des questions sociétales à commencer par le féminisme puis ensuite l’écologie ? Quelle est alors la différence entre une question sociale et une question sociétale ? Au même titre que le combat contre la corruption, les questions sociétales servent de leurre, tant qu’aucune force ne sera capable de distinguer dans de tels combats leur dimension sociale ! Le droit à l’IVG par exemple a pu gagner quand il est apparu clair que loin d’être une question féministe il s’agissait d’une question sociale ! Les femmes riches pouvaient depuis longtemps bénéficier d’avortements que les autres ne pouvaient se payer ! Les adeptes de la question sociale prétendaient que le féminisme se réglerait avec la révolution (l’essentiel) quand des féministes démontraient concrètement que le féminisme pouvait être une révolution ! Simone Veil fut une des premières à prouver l’utilité du dépassement du clivage droite/gauche !

Comment, à partir de là, se distribuent les forces sociales porteuses des partis politiques ? Par la mise en place d’un populisme de gauche contre le populisme de droite (le peuple contre la caste) ? Mais alors le clivage historique rejeté par la porte, revient par la fenêtre !

A mes yeux la réponse se trouve dans l’observation du Front national devenu Rassemblement national ! Non, je ne suis pas du genre à dire qu’il pose les bonnes questions et donne de mauvaises réponses ! Mais il a réussi concrètement à coaguler une force sociale, non pas à partir d’une théorie (sauf celle de se placer pour toujours en dehors de toute alliance) mais à partir d’un travail concret lui imposant des mises à jour, en restant sur le même fil. En 2003, il est totalement opposé à la loi sur le voile puis il trafique la laïcité devenant un de ses axes (même si la question du voile n’est pas à proprement parler une question de laïcité) ! Pourquoi cette mutation ? Parce qu’il écoute le peuple et se conforme à ses désirs ? Parce qu’il souhaite récupérer des références de la gauche pour la laisser nue, la poussant ainsi vers l’impasse des questions sociétales (celle de la défense des animaux aujourd’hui) ?

Deux hommes politiques seulement ont compris que pour gagner il fallait étudier le cas du FN : Sarkozy et Mélenchon. Sauf que leur étude est restée politicienne le temps d’une élection ! Sarkozy a gagné en piratant le fond de commerce du FN puis, après sa victoire, il est revenu sagement dans les bras de la force sociale qui était la sienne, pendant que le FN restait sur le même fil. Mélenchon en 2017 grâce à quelques circonstances a été le meilleur opposant au FN, et il en tire comme leçon qu’il pouvait virer les piliers de son succès puisqu’il voulait surtout devenir le champion de la gauche, pendant que le RN restait sur le même fil ! Et la réponse est tombée aux européennes, même avec une faible participation : LFI s’effondre sans que personne à gauche n’y gagne rien, et le RN s’envole. Par incapacité des démocrates, la force sociale du futur se trouve pour le moment derrière le RN et rien ne sera possible sans tirer les leçons mondiales de cet état de fait. La révolte des gilets jaunes n’était pas une révolte d’extrême-droite, mais tout simplement une révolte populaire or le RN n’a eu rien à faire pour en être la traduction politique !

J-P Damaggio