Accueil > Débats > Réchauffement : le mal qui menace la planète s’appelle capital

Réchauffement : le mal qui menace la planète s’appelle capital

dimanche 15 août 2021, par Denis COLLIN

Le dernier rapport du GIEC en a rajouté une couche au discours officiel sur le « réchauffement climatique », le « changement climatique » et la nécessité d’une « transition écologique » alors que les médias montaient en épingle des événements inouïs, incendies de forêt et inondations suite à des pluies diluviennes. La forêt landaise en 1949, la Seine envahissant Paris en 1910 ou l’Arno submergeant Florence en 1966, tout cela n’a pas pu exister vu qu’on était pas encore au temps du changement climatique et des événements catastrophiques dont on se repaît aujourd’hui. Aïe ! Me voilà sans doute rangé dans le camp infamant des « climatosceptiques ». Non, pas climatosceptique ! Je soutiens seulement que quelques événements météorologiques ne disent rien des évolutions climatiques à moyen et long terme.

Ce que dit le rapport du GIEC dont, le plus souvent, on ne connaît que les commentaires journalistiques autour d’un communiqué de presse de quelques pages, c’est que « la Terre brûle et nous regardons ailleurs », comme le disait Jacques Chirac. Soit. Admettons que la température moyenne augmente encore de 1°5 d’ici la fin du siècle, on comprendra que les conséquences sont considérables – sans d’ailleurs que l’on puisse réellement prévoir quoi que ce soit : le nombre de facteurs est si important et comme ne nous connaissons pas à quelle vitesse ces facteurs évoluent ni toutes les interactions, effets de renforcement ou d’autorégulation, on peut multiplier les scénarios et en choisir quelques-uns de bien apocalyptiques. Ajoutons, premièrement que personne ne peut dire véritablement quelle est la part du « réchauffement anthropique » et celle des cycles naturels puisque nous sommes depuis très longtemps dans un cycle long de réchauffement. En second lieu, même si nous réduisions brutalement les émissions de GES, ce qui, soit dit en passant, provoquerait des crises sociales gigantesques, la vitesse acquise du réchauffement anthropique se poursuivrait pendant des décennies ou des siècles. Pour terminer sur ce point, il faut ajouter que le GIEC n’est pas une communauté de savants régie par les principes habermassiens de l’éthique de la discussion, mais, comme son nom l’indique, un organe inter-gouvernemental, dont les synthèses et les conclusions font l’objet de négociations tout ce qu’il y a de politique.

Je vais mettre de côté pour l’instant mes réserves sur la scientificité rigoureuse de tout ce grand cirque onusien. Examinons les conséquences que tirent les gouvernements et les pouvoirs publics de l’urgente nécessité de « sauver la planète » et de suivre les prescriptions hallucinées de Mlle Thunberg. Les grands axes qui sont donnés sont : 1) réduire les dépenses énergétiques et au premier chef dans l’habitation ; 2) « décarboner » en passant à l’électrique ; 3) cesser de manger de la viande ; (4) toute autre idée aberrante qui pourrait vous passer par la tête.

Le point (1) est très raisonnable au premier abord. L’énergie la meilleure est celle qu’on ne gaspille pas ! Mais cette simple question est grosse de problèmes colossaux. Si on voulait mettre aux normes toutes les habitations passoires il faudrait mettre à bas l’immense majorité des logements. Et donc débloquer des sommes d’argent phénoménales ce qui est totalement impossible sauf à basculer dans l’économie de guerre… ou à renverser le capitalisme. Il faudrait en outre s’intéresser au coût environnemental des matériaux isolants. Comme il n’y a pas que le chauffage, il faudrait aussi s’intéresser à la climatisation… Par exemple, il faudrait chiffrer combien coûtent les gigantesques centres commerciaux, chauffés l’hiver et climatisés l’été. Combien coûtent les immeubles des sièges sociaux des grands groupes – combien coûte La Défense. Et de fil en aiguille combien coûtent les « frais de gestion » d’un capitalisme de plus en plus parasitaire. Outre l’habitation, ce sont tous les autres gaspillages qu’il faudrait examiner. Dans les mégalopoles (le Grand Paris !) s’accélèrent la distinction et l’éloignement des lieux de travail et des lieux d’habitation. Qu’on songe aux centaines de milliers de voitures et aux trains bondés qui montent vers Paris et redescendant vers la banlieue le soir, 100 km et même plus avec le TGV. Qu’on songe aussi aux jets privés des éminences du capital, de cette « classe capitaliste transnationale » qui, telle Dieu, veut être partout à la fois ou presque. Dès qu’on a attaqué ce chapitre des économies d’énergie, on ouvre la boite de Pandore !

Sur le point (2), les choses vont encore plus mal. L’électricité (si j’excepte celle des orages !) n’est pas une source d’énergie mais un moyen de transporter de l’énergie transformée. De ce point de vue l’électricité ne se substitue pas au pétrole. On a déjà dit tout le mal qu’il fallait dire de la voiture électrique. On peut dire le même de la pompe à chaleur qui n’est rien d’autre qu’un chauffage électrique un peu plus sophistiqué. La pollution des batteries, l’artificialisation des sols et le massacre des paysages et des oiseaux par les éoliennes, l’extraction massive des terres rares et des métaux, tout cela a un coût qu’il faudra payer un jour. Et que l’on commence à payer. Gates, Bezos et Musk ne craignent pas le réchauffement, au contraire : ils viennent de passer en accord en vue de l’exploitation du sous-sol du Groenland pour en extraire les métaux nécessaires à la fabrication des batteries. La source d’électricité la moins polluante – si on met de côté l’hydroélectrique qui pose d’autres questions – reste la fission nucléaire ! Et voilà nos écolos le nez dans leurs propres excréments.

Avant, les capitalistes faisaient des guerres pour relancer la machine à produire de la survaleur. Cela s’appelait destruction créatrice. La « destruction créatrice » est absolument nécessaire au fonctionnement du système de l’accumulation infinie du capital. La « transition énergétique » pourrait être cette « bonne guerre » dont le système à besoin. Le tout électrique ouvre un champ d’investissement au capital, selon les bonnes vieilles techniques keynésiennes, sachant qu’il y aura toujours un cochon de payant en dernier recours : le contribuable et le consommateur.

Concernant le point (3), il dépasse ce que l’on peut ordinairement tolérer en matière de bêtise. Oui l’élevage « en batterie » nourrissant des animaux avec du soja importé du Brésil et qu’on a fait pousser sur les millions d’hectares déforestés, est une catastrophe écologique. Mais l’élevage des bêtes qui paissent des prairies naturelles ou artificielles a un bilan GES très faible voire nul, sauf à admettre la génération spontanée du carbone… Aujourd’hui, même le « viandard » impénitent se sent obligé d’y aller de son couplet contre la viande, au nom de la nécessité de sauver la planète. Mais ce ne sont que palinodies insensées.

En vérité, le mode de production capitaliste a pu croître immensément parce qu’il bénéficiait d’une énergie peu coûteuse, facile à obtenir et à transporter : le charbon et surtout le pétrole. Mais cette époque bénie est terminée. Le taux de retour énergétique ou TRE — acronymes anglais : EROEI, «  Energy Returned On Energy Invested  » – ne cesse de baisser. Pour les agro-carburants, il est souvent inférieur à 1 : il faut dépenser plus d’énergie fossile que l’on n’obtient d’énergie « verte » ; cultiver du soja, du blé ou du maïs pour fabriquer des compléments au pétrole n’est « rentable » que parce que les gouvernements assurent la rentabilité de l’opération en puisant dans les fonds publics… Le TRE de l’éolien n’est pas fameux : on considère qu’une éolienne, quand tout va bien, fournit seulement 20 % de sa puissance théorique, car Éole est un dieu capricieux ! Et on ne sait pas bien ce qu’on fera des éoliennes en fin de vie, surtout que le métal est récupérable, mais le béton est indestructible. Curieusement les rapports du GIEC viennent opportunément accompagner la crise des ressources énergétiques.

Il accompagne aussi l’apartheid social qui se met en place : les grandes métropoles deviennent des « zones à faibles émissions » (ZFE) qui interdisent l’accès aux vieilles bagnoles puantes dans lesquelles les pauvres s’obstinent à rouler. La mode du vert est devenue un marqueur social : les classes moyennes supérieures sont fanatiquement vertes et elles peuvent ainsi en toute bonne conscience mépriser le bas peuple qui s’obstine avec ses moteurs diesel et ses barbecues saucisses-merguez et ses habitations dans les trous perdus où la « vraie humanité » des riches friqués ne vit plus. Du travail pour Guilluy : une géographie du vert. Ceux qui habitent « la diagonale du vide » le savent bien. Comme on considèrent qu’ils sont à peine des habitants, on peuple leurs plaines et plateaux de ces hideuses éoliennes, épargnant seulement quelques refuges à bobos, comme la « colline éternelle » de Vézelay.

Une fois tous ces discours « verts » ou plutôt « verts de gris » laissés de côté, il faut en venir au cœur du problème, ce que ces discours ont précisément pour fonction de masquer. Le mode de production capitaliste a pour principe, condition de vie ou de mort, l’accumulation illimitée du capital, c’est-à-dire sa reproduction sur une base élargie. Sa finalité n’est pas la production de richesses dont l’humanité pourrait jouir paisiblement, mais la production de valeur. Ce qui implique que l’on trouve toujours de nouveaux champs d’investissement pour mettre en œuvre le capital à un taux de profit suffisant. Il est dans la nature même du mode de production capitaliste de soumettre tous les aspects de la vie humaine à sa logique. Les « altermondialistes » criaient : « le monde n’est pas une marchandise ! » Erreur ! Dans le mode de production capitaliste, le monde entier est une marchandise. La nature devient une marchandise. L’eau se paye et bientôt l’air ! La naissance des enfants est une marchandise. Au rayon des accessoires on peut se payer l’enfant de son choix. On peut se payer le sexe de son choix. Le pouvoir de l’argent ne souffre aucune limitation. Le mode de production capitaliste, c’est de l’hybris incarnée, de l’hybris en chair et en os. Demain – mais déjà aujourd’hui l’homme lui-même sera un produit de fabrication industrielle. Le transhumanisme n’est pas un thème de science-fiction, mais le « projet spontané » du capital : oxymore qui indique que personne n’impose ce « projet » mais que les forces spontanées du capital y tendent toujours. Toute la nature doit être broyée et transformée en marchandises. Et le propre d’une marchandise est qu’elle doit disparaître, elle ne doit pas durer. Le développement durable est une sinistre plaisanterie au moment où les directives européennes mettent à la casse des millions de véhicules qui peuvent très bien rouler. La transition énergétique n’est que cela : une gigantesque opération de mise à la casse des conditions même de la vie humaine actuelle en vue de créer une nouvelle vie humaine, qui sera totalement inhumaine.

Mais cette logique a ses propres limites. En dépit des pitreries coûteuses de Bezos, Musk et Cie, la Terre constitue notre limitation, notre sol originaire dont nous ne pouvons nous évader que par l’imagination et les ressources de la Terre sont limitées. Même si on trouvait une source d’énergie propre et potentiellement illimitée comme la fusion nucléaire dont on promet les premiers réacteurs pour 2070, cela ne changerait rien : il faudrait toujours plus et toujours plus vite exploiter les ressources, toujours et toujours plus vite briser le lien entre l’homme et la nature, entre l’homme et son « corps non organique » (Marx). On peut imaginer la réalisation théorique d’un tel programme, mais cela supposerait la liquidation de l’humanité comme tel, l’absolue réification des individus. Ce rêve de toute-puissance dont le capital est le porteur est un rêve de mort.

Dans les décennies qui viennent la prétendue société d’abondance dans laquelle nous vivons (la fameuse société de consommation) deviendra de plus en plus difficile à vivre. Le virus du covid n’est rien. Ce qui tue lentement la vie humaine, c’est le virus du capital qui doit à tout prix se reproduire. Les ressources raréfiées vont être la source de nouvelles guerres – il faudra bien contrôler les terres rares et leur premier producteur, la Chine. On ne pourra pas se passer du pétrole car ni les camions, ni les avions ni les bateaux ne se déplaceront avec des piles électriques. En outre, le pétrole est aussi une matière première qui joue un rôle de premier plan dans l’industrie. Il faudra aussi nourrir dix ou onze milliards d’habitants entassés dans des mégalopoles infernales – pour le Nigeria, on prévoit 700 millions d’habitants avant la fin du siècle. Le retour de la barbarie est inéluctable, dans un monde où la loi est la guerre de chacun contre chacun – ce qui se dit en langage européiste « concurrence libre et non faussée ». Sauf à changer radicalement de voie. Ce que l’on verra dans le prochain article.

(… à suivre)

Denis Collin – 15 août 2021