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Le travail est la question centrale

lundi 15 novembre 2021, par Denis COLLIN

Le travail est la question centrale

Ouvrier, classe ouvrière, travailleurs et travailleuses, voilà des mots devenus presque imprononçables dans les discours politiques dominants. Ouvrier n’est pas un gros mot, disait encore Pierre Mauroy au début des années 1980. Aujourd’hui, ouvrier est devenu un gros mot et ceux qui parlent de la classe ouvrière sont d’indécrottables archaïques. Dans une société où pullulent les emplois parfois très bien payés, mais purement parasitaires, d’une bureaucratie privée, plus encore que publique, galopante, dans une société où les écoles de commerce ont pris le pouvoir et où tout le monde veut être, qui « manager », qui « coach », qui « chasseur ou chasseuse de têtes », qui « chargé de relation » ou « cheffe », sans compter tous les ronflants titres écrits dans la langue de Goldman Sachs, dans une telle société donc, on a des « jobs », des « deals » et des tas d’autres choses, mais pas du travail.

Car le travail productif, celui qui demande de la peine et produit ce qui est nécessaire à la vie n’est plus considéré que comme une « charge » qui a un « coût » toujours trop élevé. Il y a un peu plus de deux décennies, Serge Tchuruk, PDG d’Alcatel, avait été nommé par ses pairs « manager de l’année », lui qui avait déclaré que son idéal était celui d’une entreprise sans usine ! Sous cette direction éclairée, Alcatel a sombré, rayant la France de la carte des producteurs d’équipements de télécommunications. Solution radicale, on le voit, à la question du travail.

Au risque de rejoindre les rangs des « déplorables », des arriérés et des populistes, rappelons que le travail est au fondement de toute vie sociale, car celui qui permet la vie est celui qui travaille la terre, nourrit ses bêtes, creuse pour extraire des minerais, gâche du ciment, monte des maisons, fond, soude, taille et lime, conduit des engins bruyants, étale du goudron, vide les poubelles, fait à manger pour les cantines et les restaurants, charge et décharge les camions, porte secours aux blessés, pique, recoud et panse les bobos, administre des médicaments et opère, celui aussi qui transmet le savoir et permet que ceux qui viennent après, les nouveaux, puissent suivre les anciens. Les spéculateurs, les manipulateurs de fonds, les « chefs » se décrivent eux-mêmes comme des « producteurs de valeur » alors qu’ils ne produisent rien et que leur savoir n’est que la rouerie et les fourberies qui permettent d’exploiter tout ce vaste corps des travailleurs dont on vient de parler.

Le problème n’est donc pas celui de l’emploi, mais celui du travail et donc de la production. On ne peut rien changer à la vie sociale sans travail. Tant que les nations européennes considéreront qu’on peut faire produire par d’autres ce dont elles ont besoin, leur sort est scellé. Pour un capitaliste, que la plus-value soit produite en Chine, en Éthiopie ou au Portugal, cela n’a rigoureusement aucune importance puisque seul importe le taux de profit. Pour un capitaliste, la division mondiale du travail est quelque chose d’excellent. Mais pour ceux qui vivent de leur travail, il en va tout autrement. La production nationale est à la fois leur gagne-pain et le pain qu’ils gagnent. Chacun le sait : si on fait produire les meubles en Chine et les habits en Éthiopie, on ne pourra bientôt plus s’acheter ni meuble ni habit. On sera condamné à survivre des miettes tombées de la table des capitalistes.

La décence ordinaire, c’est d’abord cela : pouvoir vivre honnêtement de son travail et ainsi pouvoir être fier de ce que l’on fait. Cela va avec la conscience professionnelle, l’amour de la belle ouvrage et quelques autres « valeurs dépassées » du même genre ! Que le voisin s’appelle Mohamed ou Jean-Pierre, que nous soyons ou non des Gaulois, que les hommes ne soient plus des hommes et que les femmes ne soient plus des femmes, toutes ces billevesées qui agitent le tout petit monde des médias et des intellectuels dépourvus d’intelligence n’ont absolument aucune importance. Il y a bien un « grand remplacement » opéré depuis plusieurs décennies, le remplacement du textile français par le textile asiatique, le remplacement de l’électroménager français par l’électroménager coréen, italien ou polonais, le remplacement des meubles français par les meubles chinois, et ainsi de suite. Le petit-bourgeois qui vit de la vente de son bavardage peut bien mépriser l’horizon borné de ces pauvres travailleurs un peu simplets qui ne se considèrent pas comme des « citoyens du monde » (cette expression qu’on va finir par prendre en horreur tant elle couvre de saloperies). Mais la « démondialisation » est bien l’intérêt majeur des travailleurs. Elle n’a pas seulement un enjeu économique ou d’indépendance nationale, elle a un enjeu moral.

Cela implique, naturellement, que le travail retrouve la considération sociale qu’il mérite, en termes de salaires et de revenus garantis, en termes de stabilité et de sécurité des perspectives d’avenir. Contre les maniaques de la « flexibilité », il faut défendre le droit au travail (un droit constitutionnel) et la garantie de l’emploi. Cela implique aussi que le travail manuel retrouve toute sa dignité à commencer par sa place à l’école et dans l’orientation professionnelle. Il est également nécessaire d’agir pour aider l’artisanat et fournir aux petits patrons les moyens d’accueillir des apprentis.

Bref, sur tous les plans, la question du travail devrait être la priorité des priorités. C’est d’ailleurs celle que les sondages d’opinion indiquent en tête des priorités des Français. Arnaud Montebourg est le seul candidat à en faire une question sérieuse à laquelle il s’efforce d’apporter des solutions raisonnables.

Denis Collin — 27 octobre