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Premières leçons brésiliennes

mercredi 2 novembre 2022, par Jacques COTTA

L’élection de Lula au Brésil a été saluée unanimement. Le chef de la diplomatie de l’Union européenne, Joseph Borrell, a exprimé « son impatience de travailler de concert et de faire avancer les relations UE Brésil ». Le Premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, n’a pas tardé à souhaiter un « travail ensemble pour la justice sociale, l’égalité et contre le changement climatique ». Point de vue climat et environnement, les Premiers ministres canadien, australien, ou encore norvégien lui ont emboité le pas. En Allemagne la chef de la diplomatie Annalena Baerbock a adressé ses félicitations aux Brésiliens, pendant que le nouveau premier ministre britannique Rishi Sunak exprimait son impatience de « travailler ensemble sur des questions qui comptent pour le Royaume-Uni et le Brésil, de la croissance de l’économie mondiale à la protection de ressources naturelles de la planète et la promotion des valeurs démocratiques ». Du Kremlin, Vladimir Poutine envoyait un télégramme à Lula pour saluer son « autorité politique » et en appeler à « une coopération russo-brésilienne constructive dans tous les domaines ». Et Washington, à qui le président Lula doit le privilège d’avoir passé deux ans en prison à la suite d’une enquête à charge menée par le juge Sergio Moro, ancien ministre de Bolsonaro à la solde des Etats-Unis, tenait la palme avec la déclaration du président américain Joe Biden qui affirmait sa volonté de « poursuivre la coopération » entre les deux pays « dans les mois et les années à venir ». Emmanuel Macron, sur la même ligne, adresse aujourd’hui ses « félicitations » à Lula « qui ouvre une nouvelle page de l’histoire du Brésil » et appelle à « unir les forces pour relever les nombreux défis communs ». En réalité, tout ce beau monde attend du nouveau président brésilien un alignement sur la politique américaine dictée notamment et mise en oeuvre par les traités d’échange internationaux, par le FMI, par l’OTAN et par l’Union européenne.

Guidée par la méthode Coué, la « gauche française », de Jean Luc Mélenchon à Olivier Faure en passant par toute la gamme arc-en-ciel, dans la foulée des gouvernements vénézuélien, uruguayen, ou encore argentin, voit une éclaircie dans la situation de la gauche brésilienne, de la gauche au niveau international et donc également dans la situation de la gauche française. La signification réelle de l’élection de Lula serait ainsi sans appel. Mis à part le simple fait que le diagnostic est totalement contrarié par les faits, la gauche ayant globalement disparu ou étant très minoritaire dans la plupart des pays, européens par exemple — Italie, Allemagne, Espagne, ou encore France — la signification des résultats électoraux brésiliens ne saurait être limitée au simple choix de Lula considéré à juste titre nettement plus sympathique que Bolsonaro, le candidat soutenu par les Américains, les évangélistes, l’armée, la police et les grands propriétaires.

Les dernières élections brésiliennes ont vu 79% des électeurs « remplir leur devoir ». Mais ce pourcentage est trompeur et n’a pas grande signification dans ce pays où le vote est obligatoire pour les citoyens de 18 à 70 ans. Il est donc impossible d’en déduire un engouement particulier pour l’affrontement électoral et pour les candidats. Plus révélateur est l’écart entre les sondages qui donnaient au premier et au deuxième tour un avantage incontestable à Lula de plusieurs points, et la réalité qui voit « le candidat du peuple » l’emporter avec seulement 50,90% des suffrages contre 49,10 à Bolsonaro. Le score de ce dernier est pour le moins surprenant. Il gagne entre les deux tours un peu plus de 7 millions de voix, lorsque Lula en gagne 3. La corruption qui a atteint le parti des travailleurs lorsque Lula était au pouvoir, dans les années 2003 et 2010, a sans doute pesé encore dans la dernière élection présidentielle, éloignant nombre de Brésiliens du vote en sa faveur. Sur le simple plan mathématique, il semble qu’un nombre important des plus défavorisés, des salariés, des ouvriers ne se soit pas porté sur le candidat du PT.

Toujours selon les sondages, curieusement, une des raisons qui ont poussé ceux qui ont voté Lula n’est pas le contenu d’un programme social particulier, l’expression d’une rupture avec le système d’ensemble qui rejette des millions de Brésiliens dans la misère, mais le rejet de la politique menée par Bolsonaro dans sa gestion du Covid.

Plus révélateur encore pour apprécier l’état de la gauche brésilienne est le vote que les Brésiliens devaient émettre le même jour élire les gouverneurs de 27 États (y compris le district fédéral de Brasilia), les 513 élus de la Chambre des députés et un tiers des 81 Sénateurs, ainsi que les assemblées législatives des États. Dans ces scrutins clés pour la politique qui sera menée au Brésil dans les années qui viennent, ce sont les « Bolsonaristes » qui raflent la mise, ce qui semble indiquer que la mise en pratique d’une politique alternative par Lula ne semble pas être très crédible aux yeux des Brésiliens.

L’élection de Lula, assimilée au retour de la gauche, semble donc être l’arbre qui cache la forêt. Toute avancée démocratique et sociale au Brésil semble ne pouvoir faire dans l’avenir l’économie de la mobilisation de millions de Brésiliens contre les grands propriétaires et capitalistes. Là est l’enjeu de la période à venir.

Jacques Cotta
Le 2 novembre 2022

Messages

  • "Plus révé­la­teur encore pour appré­cier l’état de la gauche bré­si­lienne est le vote que les Brésiliens devaient émettre le même jour élire les gou­ver­neurs de 27 États (y com­pris le dis­trict fédé­ral de Brasilia), les 513 élus de la Chambre des dépu­tés et un tiers des 81 Sénateurs, ainsi que les assem­blées légis­la­ti­ves des États. Dans ces scru­tins clés pour la poli­ti­que qui sera menée au Brésil dans les années qui vien­nent, ce sont les « Bolsonaristes » qui raflent la mise..."
    Tout est dit sur la "victoire" en trompe-l’oeil de Lula, un septuagénaire avancé (il a fêté ses 77 ans le 27 octobre !).
    Ce trop-plein de louanges du "Camp du Bien" devrait commencer à éveiller notre méfiance !

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