Accueil > Actualité > Covid et capitalisme

Covid et capitalisme

Une nouvelle application de la stratégie du choc

lundi 5 octobre 2020, par Denis COLLIN

La stratégie du choc  : C’est sous ce titre que Naomi Klein avait publié, il y a quelques années, un essai qui montrait comment la classe dominante mettait à son profit toutes les catastrophes « naturelles » pour conquérir de nouvelles positions face aux travailleurs et aux populations opprimées. L’exemple de « Katrina » qui a ravagé la ville La Nouvelle Orléans en 2005 est paradigmatique. Évidemment, les capitalistes n’ont pas suscité l’ouragan (ils ne gouvernent pas la météo), mais les ravages causés par l’ouragan ont contraint les habitants noirs à quitter leurs quartiers qui ont pu être livrés à la spéculation immobilière dans le cadre des opérations de reconstruction.

La Covid-19 pourrait largement être réinterprétée selon cette grille. Le nouveau coronavirus n’a pas été une création de la CIA ou des laboratoires chinois ou d’on ne sait qui. Mais la pandémie a fini par créer un effet d’aubaine dont se sont saisies les classes dominantes pour procéder à une réorganisation de fond en comble du système capitalise mondial. Le diagnostic porté par l’économiste Robert Boyer selon qui « le capitalisme sortira renforcé de la pandémie » est presque évident pour qui réfléchit un tant soit peu.

Le confinement du printemps 2020 – « lockdown » comme disent les Italiens – a été présenté comme l’organisation du sacrifice de l’économie pour sauver les vieux – les victimes de la Covid-19 ont en moyenne 84 ans – et montrerait ainsi que nos dirigeants ne pensent pas qu’à remplir les poches des milliardaires, mais sont prêts à sacrifier ces intérêts des puissants au bien-être des plus vulnérables. Ceux qui refusent le confinement, y compris le confinement allégé de cet été, seraient de sales égoïstes qui préfèrent leur liberté au bien des autres, en même temps que des obscurantistes incapables d’accepter les résultats de « LA SCIENCE », si bien représentée par le « conseil scientifique » qui fournit au gouvernement français ses arguments et ses pistes pour la prise de décision politique. La crise économique ne serait ainsi que la triste conséquence, presque collatérale, de cette situation : on ne fait pas d’omelette sans casser les œufs et on ne sauve pas les vieux sans quelques dommages économiques.

Ce joli récit pour faire pleurer dans les chaumières ne tient cependant pas longtemps face à la réalité. Tout d’abord, pour partie, les diverses mesures gouvernementales et notamment le confinement (en France comme en Italie ou en Espagne) n’ont jamais eu pour but d’enrayer la pandémie, mais seulement de « lisser la courbe », c’est-à-dire de retarder les arrivées à l’hôpital car le système hospitalier n’aurait pas pu faire face à un pic brutal. Mais pourquoi n’aurait-il pas pu faire face, notamment chez nous qui avons le « meilleur système de santé du monde » ? Tout simplement parce que des dizaines de milliers de lits (et le personnel afférent) ont été supprimés au cours des dernières années pour des raisons budgétaires, pour rentrer dans les fameux « critères » de l’UE et pour enrayer la montée (inéluctable avec le vieillissement) des coûts. Les gouvernements ont-ils tiré les leçons de cette situation ? Que nenni ! En France, la restructuration du système hospitalier continue pendant la crise. Encore hier, on apprenait que la chambre régionale des comptes propose de réduire sérieusement la voilure pour le CHU de Toulouse… Tout le reste est à l’avenant. On se souvient de la comédie des masques jouée par l’inénarrable Sybeth N’Diaye. On se souvient du ministre de la Santé expliquant doctement que les masques et les tests, « ce n’est pas notre stratégie », tout simplement parce qu’il n’y avait ni masques ni tests… Ensuite, du masque nulle part on passe au masque partout, du zéro test à la course au test, à tel point que les laboratoires ne suivent plus et que des tests dont les résultats sont délivrés à sept ou dix jours n’ont plus aucune pertinence.

Improvisation, chaos bureaucratique, morgue des « sachants », tout cela prend un sens, peut-être même à l’insu des acteurs : on habitue progressivement les citoyens à entendre sans maugréer une chose et son contraire, à se plier à des ordres plus absurdes les uns que les autres. Les citoyens peuvent penser et dire ce qu’ils veulent sur les réseaux sociaux, l’essentiel est qu’ils respectent les signes extérieurs de l’obéissance. On reconnaît là le vigoureux commencement du totalitarisme, un totalitarisme d’un genre nouveau, sans camps ni exécutions des opposants, mais une prise de contrôle progressive des consciences. Le gouvernement annonce qu’il n’enverra pas la police pour vérifier si les rassemblements familiaux ne dépassent pas le jauge : cela veut tout simplement dire qu’il y pense et que la vie privée ne sera bientôt plus privée du tout et que les pandores pourront rentrer chez vous pour vérifier si vous gardez bien le masque quand vous rencontrez votre amant ou votre maîtresse ! Qu’est-ce donc que cela sinon un « système totalitaire », un système parfaitement adéquat au projet développé non pas seulement en Chine, mais d’abord aux États-Unis, un projet de contrôle total des populations.

« Pourquoi font-ils tout cela puisque ça ruine l’économie ? Comment peux-tu mettre sérieusement en cause les bonnes intentions du gouvernement ? » La réalité est autre et l’analyse permet de mieux comprendre ce qui se passe. La crise n’est pas une conséquence de la pandémie, elle lui préexiste et la pandémie n’est que l’occasion de son explosion que de très nombreux économistes annonçaient en 2018/2019. Un exemple : l’automobile est un secteur qui va subir une profonde « restructuration », c’est-à-dire des destructions massives de capital … et de force de travail. La crise de surproduction était là depuis plusieurs mois. Le tournant vers le « tout électrique » devait être le prétexte à des fermetures d’usine, des licenciements massifs, etc. L’arrêt des chaînes pendant plusieurs semaines est opportunément venu faire baisser la tension. Mais Covid ou pas Covid, FCA et PSA fusionnent pour constituer un géant de l’automobile avec les mesures de rationalisation qui vont s’imposer : on continuera de fabriquer des FIAT, mais les moteurs seront PSA, etc., et les délocalisations vont se multiplier. D’ores et déjà, c’est en Inde (le cœur de cible désormais de l’entreprise) qu’est délocalisée la conception de la nouvelle gamme… La situation de l’économie en France ou Italie ne sera qu’un souci marginal pour « Stellantis », la société résultant de la fusion PSA-FCA dont le siège sera à Amsterdam. Il faut regarder les gigantesques bouleversements que subit le mode de production global pour comprendre la réalité des politiques gouvernementales.

Quand on parle de « crise », il est toujours utile de préciser « crise pour qui ? ». Les nouveaux secteurs du commerce de plate-forme ont connu un développement très important stimulé par le confinement ! Amazon et ses concurrents mais aussi les « hyper » qui sont restés ouverts pendant le confinement ont tiré les marrons du feu. Le confinement et ce qui va avec ont permis d’accélérer les mutations en cours dans le commerce. Il y avait 600 000 bistrots en France en 1960, il en reste moins de 34 000 ! Les chaînes de type « Starbucks » occupent progressivement le terrain. De même, les petites épiceries de quartier disparaissent (y compris « l’Arabe du coin ») au profit des supérettes type « Carrefour city ». La pandémie accélère et va encore accélérer le « nettoyage » et la fin de la petite bourgeoisie traditionnelle.

Encore une remarque : la pandémie consacre le triomphe du « numérique ». La vie sociale interdite en « présentiel » passe par les réseaux. On s’habitue aux réunions et aux conférences « zoom ». Les écoles et les universités mettent en place l’enseignement à distance (le « distanciel ») qui était en projet depuis longtemps que, miracle, la « force des choses » vient imposer. On nous dira que les plus défavorisés vont être perdus par cette nouvelle école à distance. Mais les plus défavorisés, tout le monde s’en moque. Ce sont ces élèves surnuméraires que l’école doit occuper (voire directives de l’OCDE 1996) et qui peuvent sans problème passer aux pertes et profits. Pour livrer les pizzas, il n’est utile d’être titulaire d’un doctorat en physique. Une ministre canadienne proposait les rapports sexuels en solo pour lutter contre la pandémie : peut-être trouvera-t-on le moyen de faire des rapports sexuels en numérique avec des casques de « réalité virtuelle » et des vibromasseurs connectés en « bluetooth ». En attendant, on multiplie les consultations médicales en « distanciel ». Évidemment, il faudra toujours des « epsilon » (voir Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley) pour s’occuper de la matière, pour poser les câbles, construire et entretenir les bâtiments ou faire pousser des plantes et élever des bêtes avant que la chimie végan n’ait pris la place : l’immense armée des précarisés déqualifiés y pourvoira. La pandémie aura donc permis de cerner les contours du développement du « capitalisme absolu » qui est en gestation depuis deux ou trois décennies.

Certes, il y a une maladie réelle qu’il faut soigner et dont il faut éviter la propagation par des mesures circonstanciées (tester, isoler, soigner) et peut-être même les masques sont-ils utiles dans les magasins et autres lieux fermés. Se laver les mains ne peut pas nuire ! Mais le mélange hallucinant de propos anxiogènes, de menaces, de décisions arbitraires et de chaos bureaucratique auquel nous sommes confrontés n’est que la forme contingente sous laquelle s’avance la transformation du mode de production capitaliste aujourd’hui. Et de cette transformation, plus le temps passe, plus les citoyens perdent l’habitude de se réunir, de manifester, etc., et plus le capital a de chances de sortir le vainqueur et alors pourra se déployer un monde nouveau qui nous fera regretter l’ancien du moins pour ceux qui l’ont connu, mais d’eux on pourra se débarrasser gentiment dans les EHPAD au moyen du ritrovil…

Denis Collin, le 5 octobre 2020

Messages

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.