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Anthropocène : mythe et réalité

mercredi 13 décembre 2023

Le 12 décembre 2023, Jean-François Collin donnait une conférence devant le Cercle Condorcet de l’Avallonnais autour de son livre : A l’abri de l’anthropocène, le capitalisme saccage le monde (éditions le Bord de l’eau). Nous avons rendu compte de ce livre sur ce site et nous donnons aujourd’hui le texte de cette conférence.

Conférence cercle Condorcet

Autour du livre « A l’abri de l’anthropocène, le capitalisme saccage le monde »

Je vais organiser mon propos autour des idées suivantes :

  • Le capitalisme était en crise avant que l’on parle de changement climatique et la crise environnementale n’est qu’une dimension de cette crise ; 
  • Le concept d’anthropocène masque la responsabilité du capitalisme dans le changement climatique et empêche d’en trouver les solutions ;
  • La transition écologique sera plus longue et plus difficile que ce que l’on nous promet ;
  • L’État devrait être un acteur majeur de cette transformation, mais il oscille entre impuissance et tentation autoritaire ;
  • Si la fin de l’abondance est la solution, comme le dit E Macron, il faut commencer par ceux qui vivent dans l’abondance et épargner les plus nombreux qui sont dans la misère ;
  • La crise climatique renforce les tendances autoritaires des États. Seule la transformation démocratique de nos institutions peut nous éviter d’être dans un monde à la fois écologiquement invivable et politiquement insupportable.

Le changement climatique n’est qu’une dimension de la crise du capitalisme. Avec ou sans changement climatique, le capitalisme est dans une impasse depuis longtemps.

Je ne sous-estime pas l’importance du changement climatique et ses conséquences sur notre existence. Je n’oublie pas non plus l’effondrement de la biodiversité dont les conséquences ne sont pas moins graves que celles du changement climatique.

Mais la crise climatique n’est pas responsable de tout : des guerres, de la crise du capitalisme depuis le début des années 1970, des mouvements migratoires, du chaos dans lequel le monde semble plongé.

Les expressions : « guerre climatique », « migrations climatiques » font partie maintenant du langage courant.

Pourtant, la guerre entre l’Ukraine et la Russie n’a rien à voir avec le changement climatique, ni même avec les questions énergétiques. C’est une guerre dont les motivations sont très classiques qui oppose une puissance impériale qui a failli la faire disparaître avec l’implosion de l’URSS et qui tente de réaffirmer sa puissance sur ce qu’elle considère comme sa zone naturelle d’influence et une nation qui défend sa souveraineté. Les conséquences humaines et politiques de ce conflit sont considérables. Bien sûr les dégâts écologiques qui y sont liés ne sont pas négligeables, mais personne ne perd son temps à faire le bilan carbone des affrontements, ni à évaluer la perte de biodiversité qui en résulte. Les questions de vie et de mort, de sécurité, les menaces sur la paix dans le monde l’emportent sur tout autre considération.

Nous avons redécouvert que nos existences n’étaient pas menacées seulement par le désordre écologique et qu’elles pouvaient être anéanties beaucoup plus rapidement par un possible conflit nucléaire, dont V. Poutine nous a menacés.

De la même façon, les attaques terroristes meurtrières du Hamas en Israël et la réponse d’Israël à ces attaques, dans la bande de Gaza, n’ont aucun rapport avec la crise climatique. Pas plus que les mouvements migratoires massifs en provenance des pays d’Afrique subsaharienne qui résultent d’abord de la situation politique, des persécutions perpétrées par des dictatures sanglantes, de la guerre menée par les mouvements djihadistes, de guerres civiles et non de l’élévation des températures.

La relation entre ces événements et le climat n’est pas plus directe que celle qui existe entre les lois de la pesanteur et les performances footballistiques de Kylian Mbappé. Le corps du footballer et le ballon dans lequel il tape subissent bien l’effet de la gravité mais ses performances et le nombre de buts qu’il marque n’ont rien à voir avec elle. Les causes trop lointaines des conséquences n’expliquent rien.

La crise du capitalisme ne résulte pas du changement climatique, elle lui est antérieure et les solutions tentées pour en sortir ont aggravé la crise climatique et environnementale.

Le capitalisme est entré en crise au début des années 1970, avec la fin de ce que Jean Fourastié avait appelé les « 30 glorieuses », une période de croissance forte et générale de la production matérielle - au rythme de 7%/an - dans l’ensemble des pays développés, qui a permis d’améliorer la situation moyenne des populations de ces pays après la 2e guerre mondiale.

Dès les années 1960, la productivité du travail baissa dans tous les pays capitalistes, en même temps que les États-Unis émettaient des quantités considérables de dollars pour financer la croissance du commerce mondial, leurs déséquilibres extérieurs et la guerre au Vietnam. Bientôt ils ne furent plus capables de jouer le rôle qu’il s’étaient donnés par les accords de Bretton Woods de 1945, en imposant le dollar comme pivot du système monétaire international.

En août 1971, le président américain, Richard Nixon mit fin à 25 ans de stabilité financière et monétaire, en annonçant la suspension de la convertibilité du dollar en or. Une longue période de crise financière s’est ouverte, suivie par le premier choc pétrolier de 1973, puis un second en 1979, par la montée du chômage de masse, bref par ce que l’on appelle depuis lors la crise, dont nous ne sommes pas sortis, malgré des tentatives de solutions diverses.

L’une de ces solutions fut la mondialisation et la délocalisation massive d’activités des pays développés vers la Chine, d’autre pays d’Asie, d’Afrique et du moyen orient.

La production de marchandises a repris sa croissance, l’exploitation d’une main d’œuvre sous-payée a permis d’augmenter la consommation, le commerce mondial a explosé, et avec lui les émissions de gaz à effet de serre et la crise climatique. Ruse de l’histoire, la Chine est devenue un rival « systémique » des puissances occidentales et le leader de ce qui est improprement appelé le Sud global, en même temps que le plus gros émetteur de gaz à effet de serre du monde.

Je ne vais pas développer plus longtemps cette histoire économique, mais il est indispensable de l’avoir en tête pour placer les questions écologiques à leur juste place. Elles ne sont pas la cause des difficultés économiques que nous rencontrons. Lorsque Nicolas Sarkozy déclare au salon de l’agriculture en 2010 que « l’environnement ça commence à bien faire », parce qu’il y voit la raison de la faible croissance économique française, il se trompe de diagnostic.

Première conclusion provisoire : Le climat n’est pas responsable de tout. L’environnement n’est pas la cause des difficultés du capitalisme. Au contraire, la dégradation de l’environnement a été accélérée par la crise du capitalisme depuis les années 70 et elle est devenue une des composantes de la crise globale de ce système.

La concept d’anthropocène est une mystification démentie par l’histoire

COP ou pas, on ne nous parle plus que de dérèglement climatique, de records de chaleur, de sécheresse, de pluviométrie, d’évènements climatiques exceptionnels. Pas un jour sans que l’on nous rappelle la menace existentielle qui pèse sur nous. Ce discours de fin du monde a un côté obsessionnel qui d’ailleurs a des effets délétères non seulement sur l’état d’esprit des populations, mais même sur la santé psychologique de beaucoup d’entre nous, effrayés par cette menace et par ce qui est dit de notre responsabilité collective dans cette situation.

Parce qu’en même temps que l’on nous menace des pires châtiments de la nature en colère, on nous dit qu’il s’agit d’une juste vengeance de la terre contre nos excès, que nous sommes tous responsables de ce dérèglement à l’ère de l’anthropocène.

De quoi s’agit-il ?

Le dictionnaire Larousse en donne cette définition du mot anthropocène : période actuelle des temps géologiques, où les activités humaines ont de fortes répercussions sur les écosystèmes de la planète (biosphère) et les transforment à tous les niveaux.

Le mot est apparu au début des années 1990, avant de s’imposer au XXIe siècle. L’état de la biosphère dépendrait de la seule activité humaine. Si la situation de la planète n’est pas bonne, si son climat est en train de changer, si les sols sont dégradés, si l’eau devient plus rare et de qualité médiocre, si la biodiversité est en chute libre, c’est la faute des hommes, de tous les hommes, de chacun d’entre nous. Telle est la thèse des défenseurs du concept d’anthropocène.

Quand a commencé cette nouvelle ère de l’histoire terrestre ?

Ici, les difficultés commencent. Les congrès mondiaux de géologues en discutent depuis des années (certains parmi eux contestent le concept lui-même).

Certains proposent de dater le début de l’anthropocène :

 De la colonisation de l’Amérique du Nord par des chasseurs-cueilleurs venus d’Asie il y a 16 000 ans, qui a entrainé la disparition de beaucoup de grands mammifères dont la décomposition a contribué à l’émission de quantités importantes de gaz à effet de serre, en même temps qu’à une réduction de la biodiversité.
 D’autres prennent pour point de départ le néolithique et l’apparition de l’agriculture et de l’élevage, 9 000 ans av. J.-C.
 D’autres encore préfèrent le XVIème siècle et les grandes découvertes qui ont connecté Europe et Amérique et déployé le commerce mondial.
 Parfois encore c’est l’invention de la machine à vapeur (James Watt 1769) et la révolution industrielle en Angleterre,
 Ou bien encore l’explosion de la première bombe atomique (1945)

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le concept est flou !

L’anthropocène contre l’histoire

Ce concept inconsistant et trompeur dissimule les véritables responsabilités de la crise écologique.

La validité de ce concept doit être mise en cause pour plusieurs bonnes raisons :

L’histoire du climat n’est pas celle de son réchauffement continu. Le climat a changé plusieurs fois au cours de l’histoire récente.

La dernière glaciation se termine il y a un peu moins de 12 000 ans, ouvrant une longue période de réchauffement pendant laquelle une partie de l’humanité a pu se sédentariser au néolithique. Cette période de réchauffement s’interrompt à la fin du premier siècle après JC et certains historiens (notamment Kyle Harper qui a étudié la période 150/450 après JC) imputent l’effondrement de l’empire romain au refroidissement du climat et à la chute des rendements agricoles qui s’en est suivie. Ce refroidissement est intervenu dans une période de troubles politiques dont il a aggravé les conséquences.

Le climat européen s’est ensuite à nouveau réchauffé du IXe au XIIIe siècle, permettant une augmentation de la production agricole accompagnée d’un dynamisme démographique exceptionnel. Cette période est souvent désignée par les historiens comme un optimum climatique.

Cinq siècles de refroidissement ont suivi, un petit âge glaciaire, qui sont venus s’ajouter aux guerres de religions, à la peste et aux malheurs du monde, pour provoquer une diminution de la population mondiale au XIVème et XVème siècle.

L’éruption du volcan Laki en Islande en 1783-1784 aurait affecté le climat français au point de provoquer une série de mauvaises récoltes et une crise frumentaire qui déboucha sur la révolution française de 1789.

Les tenants de l’anthropocène ne s’embarrassent pas de tous ces détails. L’humanité est une malédiction pour la planète, responsable de son réchauffement continu.

C’est une nouvelle version du péché originel et de notre départ forcé du jardin d’Eden pour la vallée de larmes dans laquelle nous vivons depuis lors.

Une histoire du développement de l’humanité qui n’a pas grand-chose à voir avec la réalité.

L’histoire de l’humanité depuis son origine est celle d’une espèce fragile, mal adaptée à son environnement, dont la progression numérique a été lente et hasardeuse pendant très longtemps. 2,7 millions d’années se sont écoulées entre l’apparition d’Homo habilis et le premier million d’homo sapiens. Ils sont 170 millions au début de l’ère chrétienne et environ 300 millions au Xème siècle. Le cap du milliard d’humains est franchi vers 1850 et l’explosion démographique est un phénomène du XXème siècle, résultant des progrès de l’hygiène et de la productivité de l’agriculture.

Cette explosion démographique récente ne doit pas nous faire oublier les longs siècles pendant lesquels l’existence de l’humanité fut rythmée par la succession des famines, des épidémies frappant une population exposée au froid, à la sécheresse et à des conditions de vie épouvantables. La peste noire qui a ravagé l’Europe à partir de 1346 et réduisit la population mondiale d’un tiers ou de la moitié, les épidémie de choléra qui décimèrent des dizaines de milliers de personnes à Paris ou Marseille de 1832 à 1884, ou la grippe espagnole qui tua par millions au début du vingtième siècle, ont rappelé régulièrement à l’humanité les limites de sa puissance sur le monde.

L’anthropocène contredit l’histoire même du développement de l’usage des énergies fossiles

L’historien suédois Andréas Malm a consacré plusieurs ouvrages à la révolution industrielle pour montrer qu’elle ne résulte pas de choix faits par les hommes en général, mais par les capitalistes et les gouvernements qui les représentaient dans l’Angleterre du 18e et du 19e siècle, pour assurer le développement du système économique dont ils profitaient.

L’invention de la machine à vapeur animée par la combustion du charbon n’explique pas la révolution industrielle anglaise. Il n’y a pas de lien mécanique entre cette invention technique et le bouleversement économique et social qui intervient alors.

La mécanisation de l’industrie textile et la construction de grandes usines permettant de filer le coton sont antérieures au développement de la machine à vapeur à une échelle industrielle. L’industrie du textile utilisait l’énergie hydraulique, grâce à des roues à aubes développant des puissances considérables qui permettaient d’actionner des dizaines de machines simultanément. L’énergie hydraulique était moins chère que celle du charbon dans l’Angleterre de la première partie du dix-neuvième siècle et le potentiel de cours d’eau aménageables restait très important.

Si la machine à vapeur fonctionnant avec le charbon comme combustible l’a emporté sur l’énergie hydraulique, ce n’est pas parce qu’elle était moins chère que l’énergie hydraulique, ni parce qu’elle était plus fiable. Elle était au contraire plus coûteuse et les pannes étaient fréquentes. La machine à vapeur s’est imposée parce qu’elle permettait d’installer les usines dans des villes peuplées, disposant d’une main-d’œuvre abondante qui pouvait être pliée, petit à petit, aux exigences du travail industriel dans des grandes fabriques, sans être contraint par la proximité d’un cours d’eau.

Les moulins à eau dépendaient pour leur localisation des caractéristiques des cours d’eau, de l’existence de chutes suffisantes pour alimenter des moulins de taille importante. De plus, il fallait déplacer près des moulins à eau des quantités importantes d’hommes et de femmes pour les faire travailler dans ces usines. Les patrons devaient pour cela créer des conditions permettant de les faire venir (déjà la question de l’attractivité !), en construisant des logements, éventuellement des écoles et en fournissant des services sociaux de base. Les ouvriers qui s’installaient là, attirés par ces conditions relativement favorables, faisaient des enfants qui à la 2nde génération trouvaient ces conditions insuffisantes et se mettaient à revendiquer leur amélioration. Ils étaient dans un rapport de forces plutôt favorables face aux patrons en l’absence de main-d’œuvre alternative disponible alentour.

Ce sont donc les conditions sociales et politiques, les relations entre employeurs et salariés qui ont progressivement assuré la victoire du charbon sur l’eau, et non la volonté des hommes en général, ni même la simple valeur énergétique supérieure du charbon face à l’eau. L’utilisation massive du charbon dans des machines à vapeur résulte des rapports sociaux noués dans le système capitaliste et non des lois de la thermodynamique.

Il a fallu, d’ailleurs, discipliner cette main-d’œuvre très rétive au travail en usine et à ses contraintes, instaurer le travail forcé, supprimer toutes les échappatoires possibles à l’enfer industriel pour disposer d’une main-d’œuvre nombreuse et de ce fait très mal payée, avec les conséquences que l’on sait. De nombreuses enquêtes réalisées au milieu du dix-neuvième siècle sur la situation des classes laborieuses ont rendu compte de leurs conditions de vie misérables, de leur santé désastreuse, allant même jusqu’à la réduction constatée de la taille moyenne de la population prolétarienne.

La victoire du charbon comme source majeure d’énergie de la révolution industrielle ne résulte donc pas d’une délibération collective, du choix des hommes en général, mais de la capacité des capitalistes et du régime politique qu’ils dominaient à instaurer ce mode de production dont les conséquences désastreuses pour les hommes et pour l’environnement apparaîtront au cours des décennies suivantes.

Notons que l’impérialisme britannique appliqua les mêmes méthodes dans son empire. Arrivés en Inde, les Anglais cherchèrent les gisements de charbon qui permettraient d’alimenter leurs bateaux à vapeur, indispensables au développement de leur commerce avec le reste du monde et à leur domination des mers. Ils en trouvèrent sans difficulté puisque les indiens avaient identifié les gisements de charbon depuis longtemps. Mais ils n’en faisaient qu’un usage très limité bien qu’il connussent le pouvoir calorifique du charbon. Il fallut donc là encore réduire ces populations indiennes paysannes à un travail forcé d’exploitation de mines de charbon desquelles ces malheureux s’échappaient dès qu’ils le pouvaient pour essayer de retrouver leur vie de paysan, d’avant la sujétion à l’empire britannique. Ils firent la même chose en Indonésie.

Plus tard viendront le pétrole et le gaz dont les conditions d’exploitation, d’usage et de développement ne seront pas plus démocratiques que celles du charbon. Remarquons d’ailleurs que le pétrole et le gaz n’ont pas remplacé le charbon comme sources d’énergie du développement économique du capitalisme, mais ce sont ajoutés à celui-ci pour répondre aux besoins croissants de la production marchande (2023, record historique de consommation de charbon dans le monde).

Enfin, pour démontrer un peu plus à quel point la responsabilité collective de l’humanité ne peut pas être invoquée pour expliquer l’augmentation continue de la consommation d’énergies fossiles par le capitalisme mondial, on peut rappeler les chiffres suivants que chacun peut trouver dans les rapports successifs du GIEC :

10 pays représentent 70% des émissions de gaz à effet de serre, dont 3, Chine + Etats-Unis + Russie = 52,5% des émissions de GES ;
Un Centre-africain émet 0,04 tonne de CO2/an, un Français 4,7 tonnes/an, un Allemand 8,9 t/an, un Russe 12 t/an, un Américain 14,8 t/an, un Qatari 35 t/an. Il existe donc bien une responsabilité différenciée dans le changement climatique.
Les 19 millions d’habitants de l’État de New York consomment à eux seuls plus d’énergie que les 900 millions habitant l’Afrique subsaharienne. La consommation d’énergie d’un paysan pratiquant l’élevage de subsistance dans le Sahel est 1000 fois moindre que celle d’un Canadien moyen, même végétarien.
La Chine représentera, en 2023, 33% des émissions mondiales de GES, non pas essentiellement à cause de la croissance de la population chinoise ou de la consommation de ses ménages, mais à cause de l’expansion de l’industrie manufacturière implantée en Chine par les capitaux étrangers, afin d’extraire le maximum de plus-value de la main-d’œuvre locale, bon marché et disciplinée. La croissance des émissions de gaz à effet de serre en Chine est la conséquence d’un assaut mondial contre les salaires et les conditions de travail. L’explosion des émissions est la conséquence atmosphérique de la lutte des classes.

Capitalocène plutôt qu’anthropocène

Il serait donc juste de parler de capitalocène plutôt que d’anthropocène. L’augmentation vertigineuse de la consommation d’énergies fossiles résulte de la nature même du capitalisme dont le but n’est pas de répondre aux besoins essentiels de la population dans les meilleures conditions, mais de produire des quantités croissantes de marchandises échangeables sur un marché pour réaliser un profit, dans le but d’augmenter la richesse du détenteur de capital et d’augmenter le capital lui-même pour le réinvestir à nouveau dans le processus de production et générer à nouveau de la plus-value.

Ce mode de production sépare les producteurs des moyens de production, transforme la force de travail en une marchandise comme une autre, transforme tout ce qui nous entoure en marchandise, essaye de faire disparaître l’échange gratuit, la solidarité, la libre jouissance de biens communs. Le capitalisme transforme chacun des actes de notre vie quotidienne, y compris les plus simples comme la contemplation d’un beau paysage, ou une promenade dans un environnement moins urbanisé, en un acte commercial nécessitant une transaction, l’achat d’un billet, le passage par un guichet de contrôle, le respect de conditions de déambulation, etc.

Pour ne plus dire « capitalisme », devenu un gros mot ou un archaïsme, on parle de productivisme, de libéralisme, de néolibéralisme, etc. Mais si le mot change la réalité elle ne change pas.

Seconde conclusion provisoire : le capitalisme est responsable de la crise environnementale. Nous ne pourrons pas réparer les effets sans nous attaquer aux causes. L’énergie exprime des rapports sociaux. Le charbon, le pétrole, le gaz ou l’uranium n’étaient pas des sources d’énergie avant d’être intégrés à des rapports de production (cf. Inde). La prise de conscience, la multiplication des petits gestes, ne suffiront pas. C’est l’organisation économique, sociale et politique de la société qu’il faut transformer.

Transition ou transformation sociale ? Le chemin sera plus long et difficile que ce que l’on nous dit.

Les gouvernements du monde entier tentent de se mettre d’accord sur les moyens qui permettront d’adapter le système capitaliste mondial à la réduction, souhaitée mais non effective, de la consommation de combustibles fossiles. C’est de cela dont on discute dans les COP. Ce sont les fameuses transitions : énergétique, écologique, agroalimentaire qui doivent nous conduire vers un monde sans émissions nettes de dioxyde de carbone et autres gaz à effet de serre.

Les solutions actuellement mises en œuvre en France et ailleurs sont les suivantes :

 Améliorer l’efficacité énergétique, produire plus avec moins d’énergie ;
Réduire la consommation d’énergie,
 Faire de l’électricité d’origine renouvelable (vent, soleil, méthanisation) la principale source d’énergie,
 Développer le nucléaire (une option très française)
 Augmenter la séquestration du carbone

Des progrès ont été réalisés en matière d’efficacité énergétique,
L’exemple le plus parlant est celui de nos appareils électroménagers dont les consommations d’électricité et d’eau sont très inférieures à celles des appareils d’il y a une vingtaine d’années. Les processus de production industrielle ont également progressé, les entreprises cherchant à réduire leurs coûts de production. Mais il y a une limite à ce qui peut être obtenu dans ce domaine. L’efficacité énergétique a progressé en moyenne de 1,3% par an au cours des 5 dernières années dans le monde, cela veut dire que l’on a consommé moins d’énergie par unité de PIB produite dans le monde. Cela ne veut pas dire pour autant que l’on a réduit la consommation globale d’énergie. On peut en effet améliorer l’efficacité énergétique sans diminuer la consommation d’énergie global si le PIB croit plus rapidement que l’efficacité énergétique. Si le PIB mondial progresse de 3% par an et que l’intensité énergétique diminue de 1,3%, la consommation d’énergie augmente de 1,7%. C’est ce qui arrive de façon régulière depuis que l’agence internationale de l’énergie mesure l’intensité énergétique du PIB mondial.

En France l’intensité énergétique a diminué de 21% entre 1990 et 2010 mais le PIB en valeur a plus que doublé.

Réduire notre consommation d’énergie est indispensable pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixés pour 2050.
L’objectif fixé par la « stratégie nationale bas carbone » de la France est de réduire de 30% en 2030/ 2012 et de 50% en 2050/2021 la consommation d’énergie des Français, l’essentiel de la réduction serait obtenu par des efforts sur le chauffage des bâtiments à 19° maximum et 18° en période de tension sur le réseau électrique, couplés à l’isolation des bâtiments, la réduction de l’éclairage urbain, l’installation de leds, la limitation à 110 km heure de la vitesse sur les autoroutes, le développement du covoiturage.

Le récent rapport remis au Premier ministre par Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz sur « l’évaluation des impacts macroéconomiques de la transition écologique » considérait que les efforts de sobriété des ménages et des autres agents économiques pouvaient contribuer pour 15% au plus à la réalisation de l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2035. Le reste serait atteint en remplaçant les combustibles fossiles par de l’électricité d’origine renouvelable et par l’isolation des bâtiments (nécessitant 60 Mds€/an d’investissement et un impôt temporaire sur les plus riches).

En matière de sobriété, c’est le début qui est le plus facile ; chauffer à 19°, ça va, mais 15° c’est plus désagréable…

Enfin, la montée en puissance des énergies renouvelables (éolien, solaire, méthanisation) et du nucléaire, associée à l’augmentation des usages de l’électricité et à la séquestration d’une partie du CO2 pour l’empêcher d’aller dans l’atmosphère, permettrait le bouclage général des plans des pouvoirs publics.

Les points faibles de cette stratégie sont nombreux. Un bilan fait par le ministère de la transition écologique il y a quelques semaines montrait que la France n’était pas sur une trajectoire lui permettant d’atteindre ses objectifs en 2030, pour plusieurs raisons : la réduction des consommations de chauffage des bâtiments attendue n’a pas été atteinte ; le développement du transport de marchandises par la route se poursuit un rythme très supérieur à ce qui était attendu ; les puits de carbone constitués par la forêt séquestrent beaucoup moins de carbone que ce qui était attendu en raison du mauvais état de la forêt et de sa gestion.

Les gouvernants misent beaucoup sur la technologie et peignent en vert leurs rêves technologiques. Ils parlent de carburant vert, de transports ou d’énergie verte. Mais aucune technologie n’est sans impact sur l’environnement. Il faudrait vraiment abandonner ce langage pour enfants qui trompe les opinions publiques, mais aussi les dirigeants qui finissent par y croire et pensent avoir tout résolu en ordonnant des grands basculements comme celui du tout électrique et surtout du tout véhicule électrique.

La voiture électrique serait notre salut. Pourtant, le remplacement de moteurs thermiques par des moteurs électriques ne changera pas grand-chose à la nocivité des déplacements individuels par la route. Le bilan carbone d’un véhicule électrique est positif au-delà de 100 000 km parcourus parce que sa production émet plus de gaz à effet de serre que celle d’une voiture thermique. Il faudra donc que les voitures et leur batterie fassent plus de 100 000 kilomètres, qu’elles soient convenablement recyclées pour que l’impact soit positif...

De plus, si le remplacement des véhicules thermiques par des véhicules électriques nous libère de la dépendance au pétrole, il nous placera dans une autre dépendance, celle des matériaux stratégiques et des terres rares qui ne se trouvent généralement pas sur le territoire européen et dont la production est très coûteuse en énergie.

Une batterie au lithium pèse environ 450 kilos ; elle contient 11 kilos de lithium,14 kilos de cobalt, 27 kilos de nickel, plus de 40 kilos de cuivre et 50 kilos de graphites, ainsi que 181 kilos d’acier, d’aluminium et de plastique. Pour fournir les matières premières nécessaires à la construction d’une batterie il faut mobiliser environ 40 tonnes de minerais, obtenus en soumettant à un processus industriel mécanique et chimique environ 225 tonnes de roche. Il va sans dire que cela requiert d’importantes quantités d’énergie généralement fournies par des hydrocarbures. Ajoutons qu’il faut environ 80 kg de cuivre pour construire un véhicule électrique contre environ 23 kg pour un véhicule thermique standard.

Pour atteindre une flotte de véhicules électriques représentant la moitié des automobiles en 2050, il faudrait multiplier la production de lithium, du cobalt et du nickel de 20 à 30 fois. Le lithium et le cobalt viennent principalement d’Australie, du Chili et du Congo. Les conditions d’exploitation sont souvent abominables d’un point de vue environnemental et humain.

Rappelons que les produits que nous consommons le plus massivement dans le monde, en dehors de l’énergie, sont le ciment, l’acier, les plastiques et l’ammoniaque. En 2019, le monde a consommé environ 4,5 milliards de tonnes de ciment, 1,8 milliard de tonnes d’acier, 370 millions de tonnes de plastique et 150 millions de tonnes d’ammoniac. Il n’existe aucun produit susceptible de remplacer rapidement ces quatre produits. Leur production représente 17% de la consommation d’énergie primaire et la quart des émissions de CO2 issues de la combustion d’énergie fossile.

Au bout du compte, les émissions mondiales de gaz à effet de serre ont doublé entre la réunion de la première COP en 1995 à Berlin, et celle qui de Dubaï.

Une des questions sur lesquelles buttent les négociations, c’est que la majorité de la population mondiale vit sans avoir l’accès dont disposent les pays développés à l’énergie, à l’eau, à une alimentation de qualité, aux éléments de bien-être que nous ne sommes pas prêts à sacrifier. Les pays en développement n’acceptent pas qu’on leur interdise de changer de situation. Les négociations financières occupent une grande partie des négociations : aides financières des pays développés aux PVD, création d’un fonds « pertes et dommages… En plus du refus de l’Inde et d’autres pays de se priver du charbon et du pétrole à court terme.

3e conclusion provisoire : La « transition énergétique » sera plus longue que toutes les feuilles de routes et tous les plans qui nous sont présentés, hélas. 

Il n’existe pas de solution idéale, pas de technologie verte. Chaque solution comporte son lot d’effets négatifs que nous ne sommes pas en mesure de prévoir aujourd’hui. Dans ces conditions, il me semblerait préférable de privilégier la diversité des expériences et des solutions, la prudence, l’expérimentation plutôt que la précipitation autour d’une solution magique sous la pression d’un discours catastrophiste sur l’urgence climatique. Mais la prudence et la lenteur sont des principes contraires à l’esprit du capitalisme

Quel rôle pour l’État dans les changements à venir ?

L’État me semble à la fois impuissant et tenté par le recours à des solutions autoritaires.

La gauche française dénonce le libéralisme. Elle réclame une intervention plus forte de l’État à chaque fois qu’un problème se pose. Elle n’est pas en reste pour réclamer et proposer sans cesse de nouvelles lois qui viennent s’ajouter au fatras législatif sous lequel nous étouffons déjà.

Constatons pourtant que les crises sont toujours un moyen pour l’État d’étendre le champ de son contrôle sur la société et les individus, ce qui ne me paraît pas souhaitable.

« L’état de droit », sans cesse invoqué aujourd’hui, n’a rien à voir avec le renforcement du pouvoir de l’appareil d’État, c’est le contraire. C’est une société dans laquelle le pouvoir de l’État est rigoureusement borné de sorte que les libertés individuelles soient garanties contre ses empiétements, sa tendance spontanée à contrôler, à diriger, à organiser et à réprimer pour garantir le maintien au pouvoir de ceux qui l’occupent.

La trajectoire d’Emmanuel Macron est exemplaire de la tendance inéluctable de l’État à étendre son emprise si on ne l’en empêche pas. Voilà un homme jeune qui devient président de la République en promettant d’en finir avec les vieilles pratiques étatiques, de laisser cent fleurs s’épanouir, de remplacer la vieille politique colbertiste à bout de souffle par « la start-up nation », de redonner de la responsabilité aux citoyens en supprimant au passage les vieux systèmes sociaux qui « coûtent un pognon de dingue », les retraites parce que nous avons une espérance de vie qui ne cesserait de croître, et le droit du travail parce qu’il bride l’innovation. Qui prône l’expérimentation sur des territoires tous différents, la reconnaissance des différences de toute nature, le droit à l’erreur, etc. !

Et puis très vite, les choses ne vont pas se passer comme prévu.

L’augmentation de la taxe sur les carburants, justifiée par des motifs écologiques, la réduction des consommations de combustibles fossiles, vieux projet sur lequel le gouvernement de Lionel Jospin s’était déjà cassé les dents, a mis dans la rue un des mouvements sociaux les plus importants des dernières décennies, celui des gilets jaunes qui met un premier coup de frein aux ambitions réformatrices du président de la République avant de le contraindre à passer des mois à faire semblant d’animer un dialogue direct avec les Français. Le tout se conclura par le simulacre de démocratie de la « conférence citoyenne sur le climat » qui produira un très grand nombre de propositions qu’E. Macron s’empressera de ne pas retenir après avoir dit qu’il les reprendrait « sans filtre ».

Le niveau de violence mis en œuvre par l’appareil d’État pour réprimer les gilets jaunes fut considérable. Nous étions très loin de la retenue des forces de l’ordre préconisée par le préfet de police Grimaud pendant les émeutes du mois de mai 1968. Le Parlement européen et un groupe d’expert des droits de l’homme de l’ONU ont condamné l’usage disproportionné de la force contre les manifestants

Le calme rétabli par la force, le gouvernement d’Emmanuel Macron se trouva à nouveau paralysé par la crise du COVID à partir de 2020. Il s’imagine alors en chef de guerre et organise la société comme si elle était en état de guerre. Il limite drastiquement les conditions d’exercice des libertés individuelles, très au-delà de tout ce qui a été pratiqué dans le reste de l’Union européenne et du monde, à l’exception de la Chine. Le pouvoir propre de l’administration de sanctionner les citoyens sans contrôle du pouvoir judiciaire a été développé à un point inimaginable. Le droit de manifester a été foulé aux pieds avec la bénédiction du Conseil d’état et du Conseil constitutionnel, pendant qu’en Allemagne la cour constitutionnelle protégeait le droit des opposants à manifester même pendant une période de pandémie.

Ces mesures de circonstance sont devenues des mesures pérennes, inscrites dans notre droit, comme l’ont été avant elle les mesures d’exception prises au motif de lutter contre le terrorisme.

Dans le même temps, le très libéral Emmanuel Macron se transforma en fervent partisan de la planification. Lui qui ne jurait que par l’initiative privée produit des « plans » en rafales.

Il recrée même pour son ami François Bayrou un « haut-commissariat au plan » en 2020. Le commissariat général au plan avaient été supprimés en 2006 Par Jacques Chirac et Dominique de Villepin. En 2022, réélu, Emmanuel Macron crée un « secrétariat général à la planification économique », sans supprimer le haut-commissariat au plan, ce qui ajoute du désordre à l’organisation administrative du pays. Il ne cesse de prêcher la simplification de l’administration tout en multipliant les conseils et organismes en tout genre. Pensons au Conseil national de la reconstruction, créé en 2022, par lequel il souhaitait contourner le Parlement et aux innombrables « hauts conseils » en tout genre qui voient le jour à chaque fois qu’un problème surgit, avant de retomber dans l’oubli, sans être supprimés pour autant.

Nous sommes aussi planifiés que le fut la défunte Union soviétique. Prenons le seul domaine de l’énergie. En 2015, le Parlement a adopté une « loi relative à la transition énergétique et pour la croissance verte » : 215 articles et des dizaines de décrets. Cette loi prévoyait notamment l’élaboration d’une « stratégie nationale bas carbone » (SNBC) » décrite comme « la feuille de route de la France pour lutter contre le changement climatique ». La dernière stratégie nationale bas carbone qui couvre la période 2019-2033 a fait l’objet d’un décret du 21 avril 2020.

Comme cela ne suffisait pas on a prévu une « programmation pluriannuelle de l’énergie » (PPE). Le parlement se prépare à adopter une nouvelle « loi énergie climat » consécutive à la conférence citoyenne organisée pour calmer le mouvement des gilets jaunes et une nouvelle PPE est en cours de concertation. Personne ne comprend plus rien à cet empilement de textes législatifs, ni les citoyens ni les parlementaires.

Mais il existe des dizaines d’autres plans : « stratégie nationale biodiversité », « stratégie nationale portuaire », « stratégie villes durables et bâtiments innovants », « stratégie nationale des perturbateurs endocriniens », « feuille de route intelligence artificielle et transition écologique », « plan national santé environnement », « plan de résilience économique et sociale », « stratégie nationale de santé » , « un plan eau »… et beaucoup d’autres.

Ces milliers de pages n’ont de plan que le nom et la biodiversité ne cesse de reculer, les ports français font pâle figure dans la concurrence internationale, les grandes villes étouffent et les petites villes périclitent, quant à la santé chacun peut constater hélas dans quel triste état se trouvent la médecine de ville et les hôpitaux.

Pourquoi ces cette volonté planificatrice patine-t-elle dans le vide quand nous croyons, avec un peu d’illusion cependant que le plan a relevé la France d’après-guerre ?

Parce que nous ne sommes plus en 1945. La France maîtrisait alors sa politique monétaire et budgétaire, c’est elle qui définissait sa politique commerciale et elle pouvait donc contrôler l’entrée et la sortie des marchandises et des flux financiers sur son territoire. Elle disposait d’un secteur nationalisé important contrôlé par l’État et décidait du financement de son économie. Tout cela a disparu aujourd’hui.

La Banque centrale européenne contrôle la politique monétaire.

Le budget annuel de la France est soumis à l’accord des instances de l’Union européenne et doit respecter une programmation pluriannuelle elle aussi soumise à l’accord de Bruxelles (la programmation pluriannuelle des finances publiques est l’un des nombreux textes adoptés en recourant à l’article 49-3 de la constitution au début de l’automne 2023).

La politique fiscale de la France doit être coordonnée avec celle de ses partenaires et la France ne décide pas sans l’accord de ses partenaires du taux de TVA qu’elle applique aux différentes activités (cf. l’interminable feuilleton de la TVA sur la restauration sous Chirac).

La possibilité de subventionner une entreprise est soumise à la « réglementation sur les aides d’État » de l’Union européenne et la commission veille à son respect.

C’est la Commission européenne qui a la responsabilité de la politique commerciale de l’ensemble de l’Union et la représente au sein de l’organisation mondiale du commerce.

Dans ces conditions, de perte presque complète de souveraineté, les plans nationaux ne sont que des déclarations d’intentions.

Pour favoriser la réindustrialisation de la France et de l’Europe, pour relocaliser la production de biens industriels essentiels comme les médicaments il faudrait pouvoir protéger le marché national de la concurrence de produits d’Asie, du Maghreb ou du Moyen-Orient bénéficiant d’une main-d’œuvre surexploitée et d’une législation environnementale inexistante. Cela n’est pas possible dans l’état actuel des choses.

L’Union européenne discute depuis des années de la mise en place d’une taxe carbone à ses frontières. Elle a péniblement trouvé un compromis sur une taxe dérisoire, extrêmement difficile à administrer et qui ne sera effective que dans quelques années.

Les États-Unis n’ont pas ces difficultés. Ils peuvent décider en quelques mois de protéger leur marché et soutenir leur industrie sans demander l’avis du reste du monde. Ils ne s’en sont pas privés en adoptant en 2023 « l’inflation Reduction Act » qui a suscité émotion et protestations des Européens, sans émouvoir outre-mesure les autorités américaines.

La Chine fait également absolument ce qu’elle veut dans tous ces domaines. Elles soumet l’investissement étranger à l’obligation de constituer des sociétés communes, subventionne les secteurs qu’elle veut développer ,taxe les importations et conforte sa suprématie.

Quatrième conclusion provisoire : l’État qui devrait être un acteur important des solutions à mettre en œuvre et pour le moment un obstacle plutôt qu’une solution. Il est faible là où son intervention serait nécessaire - la protection des acteurs économiques, la réindustrialisation du pays, la défense de la souveraineté – et fort là où il est nuisible : le développement de la bureaucratie, l’étouffement procédural de la société et des processus de décision, la mise en cause de l’exercice des libertés individuelles. Il ne s’agit donc pas de réclamer plus d’interventions de l’État mais de le réformer.

Les pistes de solution

Que la situation soit compliquée et les solutions complexes ne doit pas nous empêcher d’agir. Pour que cette action soit efficace, un certain nombre de conditions doivent être remplies.

L’égalité
La réduction des émissions de gaz à effet de serre, tout autant que la protection de la biodiversité auront un impact sur notre façon de vivre et sur notre niveau de vie.

Sur notre façon de vivre parce qu’il n’est pas vrai que le niveau des émissions de gaz à effet de serre puisse être déconnecté du niveau d’activité. Nous pouvons réduire la proportion dans laquelle les émissions le gaz à effet de serre augmentent à mesure qu’augmente la consommation de la population humaine, mais quels que soient les progrès technologiques que nous réaliserons, nous ne pourrons pas déconnecter complètement la croissance de la consommation de celle des émissions de gaz à effet de serre et de la consommation de ressources naturelles limitées comme le cuivre, le lithium, le cobalt ou tout simplement l’eau.

Or, une part considérable de la population, dans les pays développés et plus encore dans ceux qui ne le sont pas, n’a pas accès au minimum : logement, eau potable, énergie. Leur permettre d’y accéder doit rester un objectif fondamental.

Cet objectif d’égalisation des conditions, ne sera pas atteint sans une réduction de la consommation de ceux qui sont les mieux lotis : la poignée des très riches qui possèdent une fortune scandaleuse, cette centaine d’êtres humains dont le patrimoine est équivalent à celui de la moitié la plus pauvre de la population mondiale. Les Bernard Arnaud, Elon Musk, Bill Gates et autres. Mais ils faudra aussi taxer plus les millions de personnes dans le monde dont les revenus et le patrimoine sont plusieurs fois supérieurs eu revenu médian de la population.

Après avoir souhaité l’enrichissement des plus riches au nom de la théorie du ruissellement, Emmanuel Macron nous dit que nous sommes arrivés à la fin de l’ère de l’abondance. S’il dit vrai, les restrictions doivent s’appliquer en premier lieu à ceux qui possèdent le plus. Il faut donc inverser la politique fiscale suivie depuis des décennies en France, en Europe, aux États-Unis et ailleurs, d’allégement de la fiscalité sur les hauts revenus, les patrimoines et les sociétés commerciales. Celle-ci doit au contraire être beaucoup plus lourde, comme elle l’a été d’ailleurs au lendemain de la 2e guerre mondiale où l’impôt sur le revenu aux États-Unis est monté jusqu’à 90% pour les tranches marginales les plus élevées. Rappelons que le Conseil constitutionnel en France a invalidé une disposition législative proposée par le gouvernement de François Hollande portant le taux de la tranche la plus élevée de l’impôt sur le revenu à 75%, au motif que cela aurait été confiscatoire…

Comme il est avéré que l’émission de gaz à effet de serre est proportionnelle au niveau de richesse des individus, une politique égalitaire au travers d’une fiscalité rééquilibrant les revenus et les patrimoines est un outil extrêmement pertinent de politique climatique.

On peut donc s’étonner que l’augmentation des impôts ne figure dans aucun des programmes de transition écologique chez nous comme ailleurs. La rapport Pisany Ferry/Mahfouz, déjà mentionné, évoquait la nécessité d’une augmentation temporaire de la fiscalité. B Lemaire a immédiatement indiqué qu’il n’en était pas question. Il n’a pas été démenti par E Borne ou E. Macron.

La démocratie
La crise écologique et le désordre mondial qui s’exprime dans la multiplication des guerres de toute nature, civiles ou interétatiques, sont propices au renforcement du pouvoir de coercition des États. Les régimes et les courants autoritaires se développent un peu partout dans le monde. En témoigne la victoire des personnalités aussi curieuses que Javier Milei en Argentine, Bolsonaro au Brésil, ou des personnalités moins extravagantes mais tout aussi autoritaires comme V. Orban en Hongrie. Cela témoigne d’un recul impressionnant de la confiance dans les institutions démocratiques.

Il n’est pas rassurant de voir une personnalité portée à la présidence de la République en agitant une tronçonneuse.

Certains de réjouissent de la valse des dirigeants en place, du bouleversement des vieux carcans. Mais les institutions, aussi critiquables qu’elles soient, sont les seules garantes, en dernière instance, d’une vie en société préservant les individus, leur vie privée et leur liberté d’action.

Les institutions françaises sont critiquables. Issues d’un coup d’État au bénéfice du général De Gaulle, elles ont été encore plus déséquilibrées qu’elle ne l’étaient en 1958 par sa décision de procéder à l’élection du président de la République au suffrage universel, en 1962.

Les présidents élus depuis deux décennies ne le sont pas en raison de leur popularité ou de leur programme, mais grâce à l’épouvantail du Front national devenu RN. Mais une fois élus, ils font comme s’ils avaient obtenu un blanc-seing pour mettre en œuvre leur programme, exemple E. Macron et la réforme des retraites. Il n’est donc pas étonnant qu’ils soient désavoués à peine arrivés au pouvoir. Mécontents du peuple, ils dirigent alors contre lui, sans véritable contrôle parlementaire, sans la pression d’un parti qui les auraient portés au pouvoir tant ceux-ci ont perdu toute consistance et tout relais effectif dans le pays.

Je ne propose pas de convoquer une assemblée constituante qui rédigera les institutions de la 6e République de nos rêves (le demander ne sert à rien et l’exemple récent du Chili fait réfléchir sur les incertitudes de cette voie), mais de défendre quelques propositions permettant de sortir du présidentialisme délétère dans lequel nous sommes enfermés, qui risque d’assurer la victoire de Marine Le Pen lors du prochain scrutin présidentiel.

La première mesure serait d’inverser le calendrier électoral et de faire précéder l’élection du président de la République de plusieurs mois par l’élection des députés à l’Assemblée nationale. Les députés devraient être élus en partie par un scrutin proportionnel, comme à peu près tous les candidats successifs à la présidence de la République s’y sont engagés depuis 1981.

S’il n’est pas possible dans l’immédiat de revenir à une désignation du président de la République par le Parlement, au moins faudrait-il que le Premier ministre soit choisi par l’Assemblée nationale afin que le gouvernement qu’il constituera puisse effectivement déterminer et conduire la politique de la nation comme le prévoit notre constitution.

Les règles du recours au référendum doivent être modifiées pour permettre un véritable référendum d’initiative citoyenne.

L’article 49-3 de la Constitution doit être abrogé ; il permet artificiellement de surmonter l’absence de majorité au Parlement et permet à l’exécutif de négliger la négociation pour trouver des compromis avec les représentants des différents partis politiques, ce qui conduit ensuite aux explosions dans la rue et à la paralysie de la société. Les droits de contrôle et d’amendement des parlementaires doivent être élargis.

Il faut par ailleurs cesser de vouloir tout mettre dans la Constitution, de la réviser tous les matins pour y ajouter la nouvelle lubie du moment. La constitution est faite pour garantir la séparation des pouvoirs, condition de la préservation de la liberté des citoyens et en préciser le fonctionnement. Pour le reste gardons-nous d’utiliser la constitution pour gérer des questions politiques circonstancielles et graver dans le marbre des dispositions qui divisent la société, de chercher à enfermer les générations futures dans des solutions qui seront obsolètes demain.

La souveraineté
Nous avons vu que l’Union européenne, dans son organisation actuelle était un obstacle à la mise en œuvre d’une véritable politique écologique.

Je ne propose pas de sortir de l’Union européenne. Les Français n’y sont pas prêts et nous ne sommes pas dans la situation des Britanniques qui avaient eu la sagesse de rester maîtres de leur monnaie et de conserver une part de souveraineté budgétaire. Ils avaient aussi pris soin d’exiger de nombreuses exceptions à la mise en œuvre du droit européen chez eux (comme d’autres, notamment les Danois).

A l’inverse, les gouvernements français ont proposé et défendu toutes les mesures restrictives qui s’imposent à nous aujourd’hui et ont organisé notre impuissance, au nom du projet fédéraliste de F Mitterrand et J. Delors.

Cela nous donne quelques créances pour exiger maintenant la possibilité de reprendre une part de souveraineté en matière de politique économique, notamment la possibilité pour l’État de soutenir les entreprises dont il estime qu’elles sont nécessaires à la réindustrialisation de la France, en s’assurant du contrôle du capital de ces entreprises et du fait qu’elles ne risquent pas d’être soumises à celui de puissances étrangères. Puisque l’application des fameuses règles de Maastricht a été suspendue en conséquence de la crise du COVID, c’est le moment pour la France de faire entendre sa voix pour qu’elles ne soient jamais remises en vigueur dans les mêmes termes et les mêmes conditions.

Il faut également pouvoir protéger le marché national pour un certain nombre de produits pendant la phase de relocalisation de cette production. Là-aussi, il faut saisir la crise que traverse l’OMC pour en réviser en profondeur les règles conçues sou influence américaine lorsque les USA voulaient imposer une mondialisation qu’ils ont abandonnée depuis pour en revenir à une logique de camps qui rappelle les années pendant lesquelles l’Europe était divisée par le rideau de fer.

Plus fondamentalement, la France doit abandonner la conception fédéraliste de l’Europe, qu’elle défend depuis François Mitterrand, pour renforcer la coopération interétatique dans un cadre européen préservant la liberté de décision nécessaire des Nations, seul cadre d’exercice de la démocratie pour le moment. L’Union européenne est une organisation disposant d’un pouvoir législatif considérable sans qu’aucune de ses institutions ne puisse être considérée comme véritablement démocratique.

Cinquième et dernière conclusion :

La solution à la crise climatique bien réelle à laquelle nous sommes confrontés ne réside pas d’abord dans les solutions techniques et technologiques. Elles sont bien sûr indispensables, mais elle ne constituent pas des solutions mais des outils au service d’une politique.

Nos problèmes résultent des rapports sociaux de production qui dominent le monde actuellement. Ils ne pourront être réglés que par leur remise en cause, en commençant par créer le cadre démocratique permettant aux citoyens de reprendre le contrôle de leur destin et en refaisant de l’égalité l’objectif principal de la politique.


Voir en ligne : Cercle Condorcet de l’Avallonnais