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Tout changer – le monde de demain

jeudi 14 mai 2020, par Marie-José CLOISEAU

Tout changer – le monde de demain

Les dirigeants actuels s’y préparent. D’autres aussi mais pas avec les mêmes outils.

La différence ? Les premiers ont le pouvoir, politique, économique, médiatique. Les autres n’ont que des si, des yaka faukon...

Le monde d’avant a prouvé sa capacité de nuisance et il est rejeté par une grande majorité de la population, pour toutes sortes de raisons, écologiques, sociales, politiques. Pourtant, il n’est nullement menacé. En face il n’y a aucun modèle, aucun moyen, aucun intérêt qui serait porté par un parti ou un groupe social homogène.

Les idées existent : des pistes cyclables, des masques gratuits, un salaire universel, des augmentations de salaires pour les soignants, des éoliennes partout... Certaines idées font consensus, d’autres non. Les dirigeants actuels sont déjà prêts car il n’y a aucun modèle global à leur opposer. Pour eux, il s’agit juste de tout changer pour que rien ne change. On peut le faire. Après le Guépard de Lampedusa, on peut lire Naomi Klein, la stratégie du choc.

Quand on sera sorti de la sidération actuelle, tout sera bon pour pouvoir à nouveau sortir, boire un verre en terrasse, se baigner... Il sera urgent de recommencer comme avant. En mieux bien sûr car on aura pris conscience que c’est notre mode de vie qui est responsable de tout ça. On aura bien mérité cette punition collective.

En revanche, si on veut réellement changer le monde, il faudra un projet global de société. Il y a une multitude d’’entrées possibles dans un tel processus, dont certaines ont déjà été expérimentées, avec plus ou moins de succès mais dont aucune n’a jamais transformé le monde durablement. Peut-être faut-il repenser les choses globalement ?

Par exemple partir de la production : quoi, pour qui, où, avec quoi, avec qui, comment ?

Produire quoi ? Il faut partir des besoins d’une population sur un territoire donné, mettons la France, qui est un espace pertinent pour des raisons politiques, culturelles, sociales, climatiques,. ..

A partir de là est posée la question de la définition des besoins.Alors mettons qu’il s’agisse de ce que tout le monde consomme déjà ou aimerait consommer, avec une hiérarchie : la nourriture, le logement, le chauffage, la santé, l’éducation, l’électroménager, le transport, la culture, ....

Que faut-il exclure ? Ce qui ne nous sert à rien et se montre même toxique sauf pour la balance commerciale.

Produire pour qui ? Pour tout le monde bien sûr, ce qui suppose le prix, la qualité, la disponibilité, la fiabilité. Mais pose la question de la proximité pour assurer la sécurité de l’approvisionnement.

Produire où ?

Là, on aborde une question beaucoup plus difficile car il s’agit de relocaliser une industrie qui a été partiellement détruite en raison de la division mondiale du travail, destruction accélérée par l’adhésion aux traités européens. Ça va être compliqué d’expliquer à certains que l’année prochaine ils auront une vue imprenable sur une usine de machines à laver. Mais il existe encore de très nombreux sites industriels qui n’ont pas été réaffectés, avec autour une population qui reprendrait bien du service pour peu qu’on lui donne les moyens de vivre dignement.

Je ne parle pas de l’agriculture car personne ne doute que la France puisse être autosuffisante en la matière. C’est donc essentiellement une question de volonté politique.

Avec quoi  ?

Il faut des moyens, financiers bien sûr, mais aussi et peut-être surtout politiques, la question du pouvoir est posée.

Où prendre l’argent ? Dans les caisses de l’État d’abord, qui a récemment débloqué des sommes astronomiques pour Air France et pour Renault sans aucune garantie : la société n’a aucun droit de regard sur l’usage qui en sera fait. Le point commun est que l’État en est actionnaire minoritaire et à part cela le choix qui a été fait de ces deux entreprises n’a fait l’objet d’aucun débat sur leur utilité sociale.

On aurait pu à la place relancer des entreprises plus utiles comme la fabrication de matériels médicaux, mettre de l’argent dans une recherche médicale publique, aider des employés d’entreprises en voie de disparition à reprendre leur activité sous des formes non capitalistes. On aurait pu aussi nationaliser ou renationaliser des grandes entreprises présentant un intérêt stratégique, comme par exemple l’industrie pharmaceutique, les transports, les communications, l’énergie...

Avec qui ?

Il s’agit là de l’humain, de ces gens qui sont formés dans nos écoles, à nos frais, et qui vont exercer ailleurs, là où leurs talents et leurs connaissances seront reconnus.

Il s’agit également et surtout de tous ceux qui ont acquis une expérience et un savoir faire dans tel ou tel domaine technique ou industriel et qui se retrouvent déclassés car obligés de se reconvertir suite à la disparition de leur activité.

Comment ?

C’est la question des modes de financement, la création de banques qui soient de réelles institutions de crédit agricole, de crédit coopératif, … La question aussi des moyens de ces banques, qu’est-ce qu’on fait de l’argent des livrets A, des LDD ? Des PEL, … bref de l’épargne en général. Il paraît que les Français en ont beaucoup, peut-être que si on leur en donnait la possibilité ils seraient ravis de la mettre au service d’une économie plus humaine et responsable plutôt que chez Black Rock.

C’est la question de la logistique et si on en arrive là, on se rend compte qu’on en reprendrait le contrôle en limitant les transports de marchandises sur de longues distances car on aura relocalisé, créé des entreprises au plus près des bassins d’emploi, préservé des terres agricoles autour des grandes villes.

Et le reste du monde ?

Tout ce qui précède s’applique à un territoire qui est partie prenante d’ensembles plus vastes, certains pour des raisons objectives. D’autres ont été créés pour des raisons historiques ou idéologiques. Nous les négligerons volontairement car ce qui est prioritaire, c’est la sécurité de la satisfaction de nos besoins de base et par conséquent notre souveraineté sur notre production. Ceci n’empêche évidemment pas des coopérations, des solidarités, des échanges qui auront prouvé leur utilité humaine ou économique.

Il n’est donc pas question de prendre en considération des obstacles contenus dans des traités de subordination qui pourront toujours être surmontés ou dénoncés si nécessaire.

Conclusion

Tout ça peut sembler évident, on y a déjà pensé, ça fait partie du catalogue général de ceux qui ont un minimum de vision de l’avenir. Certes. Mais on oublie des petits détails, et qui sont essentiels : l’adhésion populaire qui doit être massive et pour ça il faut démontrer que chaque mesure est faisable. Il faut donc de l’expertise dans tous les domaines, des études de marché, des études sociologiques, des études économiques. Tout parti qui prétend changer le monde un tant soit peu devrait commencer par là : des chiffres, des méthodes, en mettant à contribution les cerveaux dont il dispose. Il ne manque pas d’économistes atterrés qui font des constats géniaux sur la situation que nous subissons mais qui pourraient peut-être aider à nous projeter dans l’avenir.

Cas d’école  :

Il faudrait par exemple établir quel serait le prix final d’une machine à laver produite dans un rayon de 200 km, dans une usine sans actionnaires exigeant des dividendes de 15%, sans dirigeants touchant 1000 fois le salaire d’un ouvrier, fabriquant elle-même ses pièces détachées, nettoyant elle-même ses ateliers, établissant elle-même sa comptabilité. Elle alimenterait elle-même en pièces détachées des ateliers de réparation... Le prix final bien sûr tiendrait compte des coûts écologiques et sociaux en termes de cotisations, de taxes et de tout ce qui est du salaire différé. Et on mettrait en évidence non plus le PIB mais les incidences pour les consommateurs, pour les producteurs et pour l’ensemble de la population.