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La cinquième République, régime d’instabilité.

samedi 11 juillet 2020, par Jean-François COLLIN

Ce nouveau remaniement qui substitue un inconnu de droite, à un autre homme de droite que l’on commençait à peine à connaître, interroge une nouvelle fois sur l’une des vertus supposées de la cinquième République : la stabilité.

Grâce à ces institutions que le monde entier nous envie, la France jouirait d’une stabilité politique lui permettant de traiter les grands problèmes auxquels elle est confrontée. Cette stabilité serait la contrepartie, à défaut d’en être la justification de notre démocratie réduite à la portion congrue, de la mise au pas du Parlement réduit au rôle de chambre d’enregistrement, du contrôle du parquet par l’exécutif, du contrôle de constitutionnalité des lois effectué par une instance peuplée des anciens présidents de la République et de nombreuses autres bizarreries comme l’existence d’un ordre de juridiction propre à l’administration qui est aussi un organe de conseil du gouvernement et dont les magistrats occupent les principaux postes de pouvoir de la République.

Pourtant un bref regard en arrière suffit à se convaincre de la profonde instabilité de notre fonctionnement institutionnel.

Entre 2002 et 2020, la France a changé de Premier ministre 8 fois, soit 27 mois d’exercice de cette responsabilité en moyenne.
Au cours de la même période, les chefs de gouvernement ont changé 4 fois en Espagne, 6 fois au Royaume-Uni, 2 fois en Allemagne, 8 fois en Italie si l’on compte pour 2 les mandats de Berlusconi interrompus par celui de Romano Prodi de 2006 à 2008. La Belgique a connu 6 premiers ministres, les Pays-Bas 2 chefs de cabinet et le Portugal 5.

C’est donc en France que la durée de vie des premiers ministres est la plus brève et leur changement le plus fréquent. On peut ajouter que c’est aussi le seul pays européen où ils doivent leur existence au seul Président de la République et non à une base parlementaire qui serait la source de leur légitimité et donc de leur autorité, ce qui les rend particulièrement faibles vis à vis des parlementaires auxquels ils ne peuvent s’imposer que par le corset constitutionnel qui leur interdit de jouer leur rôle de législateur et de contrôleur de l’action du gouvernement, mais aussi vulnérables aux sautes d’humeur du Président de la République.

Les Premiers ministres ne pèsent pas grand chose en France, sauf lorsqu’ils décident d’utiliser ce poste pour se lancer dans la seule course qui compte dans notre pays aux institutions atrophiées, l’élection présidentielle.

Quant aux ministres dont le premier ministre est flanqué, c’est encore pire. Celui de l’écologie, dont on nous dit qu’il s’agit de la priorité des priorités, a changé 15 fois en 18 ans, celui de l’intérieur 14 fois, ceux de l’économie ou du travail 12 fois, celui de la culture 10 fois, etc. Ceux qui viennent d’être désignés doivent rester lucides sur leur importance dans l’histoire s’ils ne veulent pas souffrir trop de désillusion.

Cette faible capacité des exécutifs français à conduire une action dans la durée n’est pas corrigée par l’existence d’un Président de la République élu au suffrage universel et disposant de pouvoirs étendus. S’il est à peu près intouchable pendant son mandat, il n’est pas réélu depuis le second mandat de J. Chirac et la partie « utile » de son mandat est très réduite. Les Présidents de la République obtiennent leur élection sur un malentendu, comme dans le cas d’E Macron qui a bénéficié du vote « utile pour faire barrage au FN devenu RN » pour l’emporter et a interprété ce vote comme une approbation par la population de son programme de réforme du code du travail, des retraites ou de l‘assurance retraite, ce qu’il n’était naturellement pas. Ainsi, faute de pouvoir s’exprimer au Parlement ou dans une politique plus équilibrée du chef de l’Etat, l’opposition s’exprime ensuite dans la rue par de très longues grèves qui ne font pas reculer l’exécutif mais paralysent le pays et laissent de profonds sentiments d’amertume, ou par le mouvement des « Gilets Jaunes » qui a effrayé le pouvoir parce qu’il sortait des cadres habituels et mettait en mouvement le pays dans sas couches habituellement les mois revendicatives. L’action réformatrice du Président de la République a été stoppée jusqu’à la prochaine élection et le même scenario se reproduira la prochaine fois si les candidats au second tour sont les mêmes.

Les thuriféraires de la Vème République regardent avec mépris les régimes précédents. Pourtant la troisième République n’a compté qu’une bonne quarantaine de Présidents du conseil différents en 70 ans, les mêmes revenant souvent reprendre la responsabilité des affaires, et elle a construit les fondements de la France républicaine, la protection des libertés individuelles, de la liberté de la presse, des associations, l’école publique, qui sont autant de piliers qui résistent tant bien que mal aux nouveaux « manageurs » de la vie publique. Elle n’était en réalité pas beaucoup plus instable que la Vème République et son œuvre se compare favorablement à cette dernière.
L’héritage de la quatrième République qui a mis en œuvre le programme du Conseil national de la résistance, celui des « jours heureux » auxquels faisait allusion E Macron dans un discours récent, vaut également beaucoup plus que le souvenir que le Gaullisme triomphant a voulu en laisser.

On aimerait que le nouveau gouvernement réalise le dixième de tout cela, mais il annonce sa volonté de reprendre la réforme des retraites, de l’assurance chômage, bref de finir le travail de destruction de ce qui reste des Républiques précédentes.

De ce fait, l’instabilité institutionnelle se conjuguera à nouveau au désordre dans la rue car ce qui a été refusé hier n’a guère de chance d’être mieux accepté aujourd’hui, dans une situation économique catastrophique qui va aggraver le chômage, les inégalités et la pauvreté.

JF Collin 6 juillet 2020

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