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Pas de défense de la démocratie sans respect des droits fondamentaux

lundi 13 juillet 2020, par Jean-François COLLIN

Tous ceux qui n’apprécient pas E Macron et son nouveau gouvernement pourraient se réjouir des difficultés que rencontrent, à peine nommés, deux de ses ministres, G. Darmanin et E. Dupont-Moretti. Ils auraient tort.

Je désapprouve la politique de ce gouvernement, mais je vois dans les mouvements de rue qui visent les deux ministres, non pas un affaiblissement d’E. Macron mais de la République.

Vendredi 10 juillet, plusieurs centaines de manifestants, femmes et hommes, ont défilé dans plusieurs villes de France pour demander la démission du nouveau ministre de l’intérieur, Gerald Darmanin et celle d’Eric Dupont-Moretti, nouveau ministre de la justice, non pas en conséquence d’actes commis dans l’exercice de leur mandat, ils n’en ont pas eu le temps, mais en raison d’investigations judiciaires suite à une accusation de viol déjà examinée trois fois par la justice pour le premier et d’opinions exprimées par le second. Le mouvement est soutenu entre autres par ELLV, par Media part et par des associations féministes. Il dénonce un « remaniement de la honte. Sur les panneaux brandis par les manifestants, on peut lire : « la culture du viol est en marche » ; « un complice à la justice, un violeur à l’intérieur ».

Le lien fait entre les mots « culture » et « viol » mériterait d’être discuté et réfuté, mais ce n’est pas l’objet de cet article qui s’attachera plutôt à l’affirmation selon laquelle un violeur a été nommé à l’intérieur - alors que la justice a dit pour le moment à trois reprises qu’il n’était pas coupable des faits qui lui sont reprochés - et qu’un complice de violeur a été désigné comme ministre de la justice, cette complicité étant présumée en raison de propos tenus par E Dupont-Moretti qui ne peuvent, en toute bonne foi, en aucun cas être présentés comme des appels au viol ni comme un appel à la clémence pour le nouveau ministre de l’intérieur.
« L’affaire Darmanin » débute en 2009. Sophie Spatz, alors âgée de 37 ans, ancienne escort-girl, a été jugée par défaut et condamnée pour avoir harcelé son ancien petit ami. Elle est adhérente à l’UMP et cherche à faire effacer de son casier cette condamnation en sollicitant l’aide de responsables du mouvement politique auquel elle appartient. C’est ainsi qu’elle entre en contact avec G Darmanin. Selon S Spatz, G Darmanin après avoir promis de l’aider, l’invite à dîner avant de lui demander de l’accompagner dans un club libertin, puis ils terminent la nuit dans un hôtel où ils ont une relation sexuelle.

S. Spatz dépose une plainte pour viol en juillet 2017, huit ans après les faits. Sa plainte est classée sans suite car elle ne se présente pas aux enquêteurs pour expliquer sa démarche. Elle dépose une seconde plainte en février 2018 que les enquêteurs classent à nouveau sans suite au motif que « les auditions n’ont pas permis d’établir l’absence de consentement de la plaignante ».

S. Spatz saisit alors un juge d’instruction qui rend à son tour une ordonnance de non-lieu.

La cour d’appel de Paris vient d’ordonner la reprise des investigations, le 9 Juin 2020, selon l’avocat de G Darmanin parce que le juge d’instruction a rendu son ordonnance de non-lieu en se fondant sur les résultats des enquêtes précédentes sans mener ses propres investigations. De son côté, G Darmanin n’a jamais contesté avoir eu des rapports sexuels avec S Spatz, mais dit qu’ils ont eu lieu avec son consentement et à son initiative.

Les institutions chargées de rendre la justice ont rejeté à trois reprises les accusations de la plaignante. Le fait que la cour d’appel ordonne la reprise des investigations ne fait pas de G. Darmanin un coupable, il faudrait pour cela qu’un tribunal se prononce à nouveau, ce qui sera fait à l’issue de la nouvelle procédure. Nous verrons alors si G. Darmanin est coupable ou innocent.
Quant à E. Dupont-Moretti, il lui est reproché d’avoir tenu des propos comme « à mon époque, quand une fille refusait vos avances, on appelait ça un râteau, de nos jours on appelle cela un délit ». On lui reproche aussi de ne pas faire mystère de sa détestation des mouvements « me to » ou « balance ton porc ». On peut trouver que ces propos ne sont pas d’une grande finesse, être favorable aux deux mouvements en question, mais cela n’autorise pas à demander le châtiment de celui qui a exprimé ces opinions. Notre République défend le droit d’exprimer une opinion même lorsqu’elle est minoritaire et ne correspond pas à la prescription médiatique du moment. Et toute personne soucieuse de la protection des libertés individuelles et de la sauvegarde de la République devrait défendre ce droit.

Les manifestants du 10 juillet récusent plusieurs principaux essentiels, garantis par nos textes fondamentaux.

L’article 9 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui est ainsi rédigé : « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. »
La présomption d’innocence fait partie des droits fondamentaux protégeant les citoyens français contre l’arbitraire de l’Etat aussi bien que contre ceux qui voudraient rendre la justice eux-mêmes, en dehors de toute instruction, de toute procédure et sans respecter les droits de la défense. Si nous oublions ce principe, nous basculerons dans une justice d’exception, ou plus simplement dans une dictature.
Quant à l’article 10 de la même déclaration, il nous dit que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi. ». On ne sache pas que la manifestation des opinions de M. Dupont-Moretti ait troublé l’ordre public ; il n’a pas organisé de manifestation insurrectionnelle pour obtenir l’abrogation de l’article 222-23 du code pénal qui punit le viol de quinze ans de réclusion criminelle. Rappelons que le viol est puni de cinq à vingt ans de prison en France depuis 1810 et qu’il n’y a donc pas de « culture du viol » dans notre pays. Que la loi considère le viol comme un crime n’empêche pas que des criminels existent, mais elle manifeste la volonté de la société de punir ce crime et la culture d’une telle société est celle du refus du viol, pas l’inverse.
La présomption d’innocence et la liberté d’expression sont garanties par notre constitution dont le préambule indique que « le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la constitution de 1946, ainsi qu’aux droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement de 2004 ».
Sur ce point, j’aimerai que la constitution ne soit pas modifiée…

On peut défendre la démocratie en contestant la politique de sécurité de G Darmanin ou la politique judiciaire d’E Dupont Moretti mais on ne la défend pas en voulant juger le premier à la place des juges sans qu’il puisse se défendre et faire taire le second parce que ses propos nous déplaisent. Les partis politiques qui, par calcul, appuient ces manifestations au nom de la défense des droits de femmes devraient y réfléchir et mesurer le risque qu’ils leur font prendre en attaquant ce qui dans nos sociétés subsiste de principes et d’institutions de défense des individus, quel qu’en soit le sexe, contre l’arbitraire et l’oppression.

JF Collin

12 juillet 2020

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