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Les embarras de la République

lundi 28 juin 2021, par Robert POLLARD

Par définition la République désigne ce bien commun, cette chose publique côtoyant l’ambiguïté de la “chose“ justement doublée de l’incertitude du Res (publica) qui évolue par glissades successives depuis le procès, le juridique jusqu’à la justification du gouvernement du Prince ou de la Royauté pour finir, rebondissant avec J.J. Rousseau notamment, pénétrée par la Démocratie qui offre, en principe (et par principe), une part du pouvoir au “peuple souverain“. Quel cheminement, quel enchevêtrement de mots et de phrases et d’intentions !

Où en sommes-nous ? Au pied du mur, levant les yeux sur la réalité : nous nous apercevons que le procédé des promesses « qui n’engagent que ceux qui les croient » se répète inlassablement, que le cynisme est enkysté dans le politique et que ne sont tenues que les promesses qui profitent aux meneurs de jeu, celles et ceux qui surplombent les règles édictées par eux-mêmes, jusqu’à celles et ceux qui les organisent et les font appliquer par le Droit, la Publicité, le mercantilisme consumériste, les forces de l’Ordre, les Religions… et la corruption. Corruption instillée dans tous les compartiments du grand jeu de la Démocratie républicaine spécifiquement pour chaque institution : à chacune sa dose en fonction des besoins.

Usus, fructus, abusus, les trois sources de notre droit de propriété à l’époque romaine, rappelées par Anicet Le Pors dans son ouvrage “La trace“, s’inscrivent dans l’esprit général des Lois de la République depuis ses origines, depuis la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, depuis la mise en route, chaotique certes, des Républiques successives qui toutes font référence à ces principes : pouvoir d’utiliser, de bénéficier de ses fruits et d’en disposer…enfin. Et puis, plus ou moins nonchalamment, le plus souvent malhonnêtement les hommes et femmes au pouvoir — dedans ou au-dessus — se sont employés à transgresser ces principes de base : la tendance irrémédiable de la propriété capitaliste est à la concentration des moyens de production générant le profit maximum qui est l’alpha et l’oméga, la quintessence de ce système d’exploitation.

L’embarras que je ressens ici en tant que scripteur, que nous ressentons comme écouteurs durant ces longues péroraisons destinées à justifier ces pratiques de monopolisation des profits et des moyens de leur production, vient entre autres, de l’emploi convenu du mot “honnête“ et de ses dérivés : ils n’ont en l’occurrence aucun sens. Comme de parler de barbarie à la guerre et de son contraire au travers de conventions ironiquement macabres, « Convention de Genève », à la guerre comme à la guerre vous répondront les mercenaires authentiques. Nous fabriquons des lois anti-trust, charge à l’entrepreneur entreprenant de la contourner, c’est la Loi, la vraie, vous aurait-on répondu si vous deviez vous en plaindre. Et les plus entreprenant des Entrepreneurs réussissent au-delà même des prévisions. Parce que ce sont eux qui FONT LES LOIS ou les inspirent, précisément, consciencieusement ces lois qui servent de paravents derrières lesquels ils jouent leur partition tout en faisant croire qu’il se trouve des règles de bonne conduite moralement respectables. Alors bien sûr les GAFA — exemplaires en ce qui concerne l’appât du gain en toutes circonstances — savent qu’il y a une ligne (est-elle rouge ?) à ne pas dépasser et que, tout bien considéré, vient le temps des concessions qui ne coûtent rien, accepter de payer un impôt, fut-il mondial, ou faire semblant de l’accepter, les plans existent sans doute déjà pour le contourner, depuis le temps qu’ils refusent de payer en faisant jouer les multiples ressorts de la Loi, ils s’y sont préparés.

Cela dit, quelque chose grippe la machine, le Chili en est la preuve : 42% d’électeurs ont voté, 58% d’abstentionnistes, comment interpréter ? Qui sont-ils les abstentionnistes ? Conservateurs réactionnaires jusqu’auboutistes ? Alliés de circonstance avec les révolutionnaires radicaux qui ne supportent plus les transitions ? Nous sommes dans l’embarras doublé de l’incertitude d’en sortir un jour autrement que par la manière forte. Nous vivons sur des restes de démocratie épars, mal assurés sous nos pas. Un Parti se voit interdit de manifester autrement que statiquement entouré d’un cordon sanitaire de robocops professionnels (Parti ouvrier indépendant démocratique ; POID le 5 juin) qui fut d’ailleurs précédé par les jeux du cirque syndicaux les années précédant l’épisode sanitaire, quand on fit tourner une manifestation syndicale autour d’une place, avec l’accord de ses responsables nationaux. En cherchant bien on trouvera d’autres exemples prémonitoires d’avant COVID.

Pendant le COVID, cela aurait pu être une aubaine, on chercha à habituer, former les esprits et les corps à l’interdiction de se manifester.

Il ne semble pas s’être produit de grandes mutations dans les esprits et les corps qu’il fallait intoxiquer, désorienter en espérant la paralysie, comme remède, du grand corps social devenu malade pour de bon. Dans le cas actuel des besoins le corps, que l’on croit malade et affaibli, doit être attaqué sans rémission : étouffer définitivement toute possibilité de réagir, détruire le baccalauréat, briser en mille morceaux la clef de voûte d’un arc vertueux, le sésame des études supérieures, les ramener à leur vocation première qui était de conforter la supériorité intellectuelle de la classe sociale dominante — c’est-à-dire celle qui est en possession du pouvoir, de tous les pouvoirs — en laissant passer quelques individus mâles ou femelles des classes exploitées, afin de récupérer ces quelques voyageurs de l’ascenseur social vitrine de la démocratie octroyée et bienfaisante. La destruction du socle est en cours, si rien ne se passe ils vont y arriver, le Covid aura servi à quelque chose de plus grand que lui. Il lui fallait bien tous ces masques pour avancer sans inquiéter outre mesure ! Ils l’auront compris avec du retard les gouvernants, les gérants de l’État de droite, d’où les pataquès qui ont suivi, quand il s’est agi, notamment, de faire “plonger“ les scientifiques dans le chaudron des mauvaises intentions…

Faiblesse intrinsèque du “Système“ (d’exploitation capitaliste) ces pannes récentes de l’informatique qui n’informait plus, aux E.U. et en Australie qui ont affecté de grandes compagnies aériennes, des administrations, des banques… toutes ces informations sont consignées sur internet (voir notamment Les Echos du 18 juin). Qui plus est, ces pannes sont le fait de compagnies privées chargées de gérer cette distribution d’informations.

Amazon, produit “phare“ de notre organisation sociale, celui par qui le travail arrive, celui par qui vous pouvez en êtes privé ; Amazon qui conduit son monde à la cravache et refuse, cela va de soi, le syndicat dans ses ateliers ; Amazon enfin qui dicte ses lois et ne paye aucun impôt aux E.U. et si peu ailleurs, qui choisit ses candidats partout sur le territoire américain — et calcule d’intervenir dans le reste du monde — Amazon adulé par les Grands, petits de ce monde périssable, Amazon s’installe à New-York et Washington, deux agglomérations capitales, économique pour l’une, politique et fédérale pour l’autre, et n’y paie aucun impôt. Qui est le maître à bord ? Qui sont-ils qui dictent leurs besoins et la manière de les satisfaire à la Maison Blanche, ce Temple pâtissier de l’État américain ? Tout ceux-là s’appuient sur le dollar devenu l’unité de compte mondiale, l’équivalent général à la place de l’Or, depuis 1971 après que Nixon en eût ratifié l’existence.

Les Républiques en général, la nôtre en particulier, sont entravées par l’existence sur le territoire national des représentants de ces monstruosités cupides qui continuent à dicter leur loi à l’Europe comme ils le font aux Amériques. « Covid : les géants du CAC 40 se sont rétablis en un temps record après leur pire crise » titrent Les Echos du 24 juin accompagné de ce commentaire : « Les conséquences de la pandémie sur les comptes des grandes entreprises françaises ont été plus marquées qu’en 2008, avec une activité en recul de 15 % et des profits nets en chute de 55 % sur l’année, à 36 milliards d’euros. L’international, notamment, leur a permis de rebondir dès le second semestre 2020. » rebondir sur un matelas de 36Md d’euros ne doit pas être un exercice très périlleux quand on détient les cordons de la bourse… et que l’État se dote, plus ou moins ouvertement — en catimini chez nous —de moyens de maintenir l’Ordre de mieux en mieux et de plus en plus préparés à la répression encore qu’enrobés de discours lénifiants sur les principes démocratiques qui animent ces Forces d’intervention militaires et policières, appuyées par tout un arsenal législatif dit “d’exception“. Certains semble découvrir la lune quand ils constatent, après de sérieuses études statistiques additionnées à de solides enquêtes de de terrain, que le pouvoir politique s’éloigne de plus en plus du mode démocratique de gouvernement pour adopter la gouvernance spécifique aux entreprises Gafkaiennes ou simplement financières de façon à ce que toute activité humaine d’envergure soit rétrécie en son principe, aux dimensions d’une exploitation capitaliste des ressources naturelles, l’humain en faisant partie au titre de sa force de travail qui est la sève qui rend possible la production et la transformation de la matière première en marchandises consommables.

A ce stade les embarras deviennent des obstacles. Beaucoup seront encore surmontés, c’est encore possible, mais la nouveauté vient de ce que certaines de ces manifestations, certaines grèves s’avèrent de plus en plus insurmontables et obligent le patronat à négocier alors qu’il s’y refusait un an auparavant. Négocier et reculer sur ses prétentions comme cette grève d’un an du personnel d’un hôtel Ibis du groupe Accor — dont Nicolas Sarkozy est l’un des administrateurs — la gouvernance deviendrait une affaire délicate de par ses origines commerciales ? Il y en aurait des centaines en cours, les hôpitaux, les aéroports de Paris et tant d’autres : rien n’arrête la lutte des classes. D’aucun qualifient ces mouvements d’ampleur internationale, de guerre des classes…

La Chine va donc servir d’essuie-pieds pour les parangons du capitalisme démocratisé, ils vont y dénoncer le « Régime » du parti unique, de l’Homme unique présidant à vie ce continent… du capitalisme futuriste, orwellien, dont il se servent littérairement comme d’un repoussoir. A propos de Hong-Kong le dernier Éditorial du Monde (26/06), par exemple au titre funéraire, « Mort d’un journal libre à Hong-Kong » : « Comme en Chine continentale, la loi est un instrument de répression pur et simple au service du Parti communiste. », ce qui est vrai, complètement vrai, ajoutant que Pékin n’a que faire de notre opinion d’Occidentale (souligné par moi), ce qui demande à être précisé, de quoi se moquerait le Parti et son Mentoravie exactement ? Des Occidentaux (Chine et Chinois racistes ?), de leur faiblesse en Europe ? J’ai souvenance d’un commentaire d’un économiste Chinois (dont j’ai perdu la trace et le nom) qui portait une critique moqueuse sur la faible productivité de l’industrie française, mal préparée, trop laxiste, manquant d’ambition. En somme il lui reprochait de ne pas savoir exploiter sa main d’œuvre et de trop la payer pour ça ! Ou bien se moquent-ils de leur rhétorique chevrotante sur la Démocratie disparue au pays du communisme mais chancelante en Occident, ne subsistant que par flaques qui s’assèchent progressivement sous l’effet d’un réchauffement du climat politique inauguré par Trump, celui dont les mêmes se moquaient avant qu’il ne parvienne à s’installer au cœur de la blanche maison américaine qui a, elle-même, promu tant et tant de dictatures aux Amériques avant Lui et après Lui, probablement en ce moment même ?

Nous en sommes donc là, nous aussi, avec moins de bruit mais nous n’avons pas à fanfaronner : Xi Jinping est un dictateur plus efficace encore que Staline et moins encombré que lui par l’héritage dilapidé du Communisme dont ils ont réussi à faire un gros mot, une insulte, une horreur. Et pourtant, plus têtu qu’un ours ou qu’un bison, qu’un taureau limousin, le voilà qui revient ce mot, comme lavé par le regain, par la nécessité de se battre pour vivre, simplement. COMMUNISME.

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