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Souveraineté, FREXIT... Quelques enjeux présidentiels

ou pourquoi ne pas exiger le FREXIT n’est pas trahir la souveraineté

mercredi 15 septembre 2021, par Denis COLLIN

Un pouvoir souverain est un pouvoir au-dessus duquel il n’y a aucun autre pouvoir. Pour les croyants, la souveraineté appartient à Dieu et à lui seul. À qui Dieu délègue-t-il la souveraineté sur Terre ? Voilà la question qui occupe la formation de l’Europe occidentale au Moyen âge : la puissance souveraine appartient-elle au Pape, et donc à l’Église, ou à l’empereur de Rome devenu Saint Empereur romain germanique ? Les guelfes et les gibelins se séparaient sur ces questions. Les rois d’Angleterre, de France mais aussi d’Espagne se proclamaient de leurs souverains — être maître chez soi, voilà la souveraineté. Mais bientôt certains théologiens et certains penseurs politiques affirmèrent que la souveraineté politique du roi était légitimée seulement dans la mesure où elle était la vox populi. Quand la déclaration de 1789 affirme que la souveraineté réside essentiellement dans la nation, elle se pose comme l’héritière de toute cette tradition. Une tradition qui est foncièrement étrangère aux autres grandes civilisations, soit dit en passant. La souveraineté, c’est la constitution du politique en tant que tel.

Pourtant qu’un pouvoir soit souverain ne signifie pas qu’il ne se plie à aucune contrainte extérieure. Ce serait absurde ! La souveraineté tout d’abord ne s’exerce que pour autant que l’État a la puissance de l’exercer. Un État n’est souverain que dans la mesure même où il peut affirmer sa propre existence face aux autres États. Voilà pourquoi chaque nation qui se constitue en État doit avoir « des armes à soi » comme le dit Machiavel. Voilà pourquoi aussi la souveraineté est inséparable de la puissance économique et sociale : la puissance du nombre, la puissance des armes et la puissance des faucilles et des marteaux ou encore des plumes des écrivains !

Une deuxième limitation de la souveraineté tient au fait même de la pluralité. Il y a des États qui tous, à bon droit, font valoir leur souveraineté. Dans une telle situation, si on veut échapper à la guerre de chacun contre chacun, il faut conclure des traités, des traités de paix ou de coopération. Ces traités sont des actes de souveraineté et chaque État, comme le note encore Machiavel, n’est tenu de s’y conformer que tant qu’il y trouve son avantage ou qu’il ne peut pas s’en dégager sans un coût trop élevé.

Ces quelques remarques pourraient être développées abondamment et il y a, sur ce sujet une abondante littérature. Pour l’heure, essayons de voir en quoi elles concernent notre situation, pour nous Français. Dans l’idéal, nous devrions pouvoir, comme les Britanniques, récupérer notre pouvoir de n’être pas soumis aux injonctions de l’UE et donc sortir de ces traités qui nous enchaînent. « FREXIT » disent les souverainistes français qui calquent le mot d’ordre britannique. Mais on oublie trop vite que la Grande-Bretagne ne s’est jamais aussi profondément que la France impliquée dans l’UE. « I want my money back  », je veux récupérer mon fric, criait Mrs Thatcher dans les années 1980. La Grande-Bretagne a toujours gardé sa propre monnaie, la livre sterling, et, avec un pied dans l’Europe, elle a continué de conserver ses relations privilégiées avec le «  Commonwealth  ». Et surtout, avec ou sans Europe, Londres reste une place financière majeure. Pour retrouver sa souveraineté, la France n’a aucun de ces avantages dont disposent les Britanniques. Parler de FREXIT n’a donc pas grand sens, sinon celui d’un mot d’ordre un peu creux qui permet de se faire une petite place dans le champ politique. Pour retrouver notre indépendance, nous devons nous en donner les moyens. Faute de quoi, la sortie de l’UE conduirait à une crise sociale profonde qui se retournerait très vite contre ses initiateurs. Quand l’industrie représente 11 % du PIB et que le commerce extérieur est systématiquement déficitaire depuis deux décennies, on ne peut pas vraiment jouer les gros bras. Les Italiens et même les Espagnols sont mieux placés que nous sur ce terrain. Nous ne produisons presque plus d’électroménager, presque plus de textile, pratiquement pas de machines-outils… Même notre agriculture est en berne. Les Italiens et les Espagnols nous taillent des croupières sur le marché du vin, c’est tout dire !

Donc pour être souverains, nous devons d’abord produire français, comme le disait très justement Georges Marchais dans les dernières décennies du siècle dernier ! De ce point de vue, l’accent que Montebourg met sur cette question est tout à fait bienvenu. Dire qu’il n’en fait pas assez parce qu’il ne réclame pas le FREXIT tout de suite, c’est simplement du maximalisme impuissant.

Le deuxième aspect concerne les coopérations nécessaires. L’Union européenne est une catastrophe, car elle est une machine à détruire les nations d’Europe. Mais les nations d’Europe ont besoin de coopérer et cette coopération peut leur être très profitable. Il ne s’agit pas de réclamer « les États-Unis socialistes d’Europe » (encore que ce serait dans l’absolu une bonne idée) mais de maintenir et développer les liens entre les nations européennes. Ni les Italiens ni les Français ne trouveront d’avantages à la création du groupe Stellantis (union de FCA et PSA) mais la coopération dans l’automobile, les machines agricoles, etc., serait tout de même nécessaire ! Bref la confédération des nations souveraines d’Europe est la seule perspective réaliste que l’on puisse opposer aux européistes béats.

La souveraineté ne doit pas conduire à relancer la rivalité des nations européennes, rivalité qui les a conduites au bord du gouffre par deux fois et a permis d’asseoir la domination états-unienne. Les slogans vengeurs n’y pourront rien. Il faudra bien, d’une manière ou d’une autre trouver une entente avec l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et l’Europe du Nord. Ce sera une bataille difficile et personne ne peut garantir que la France en sortira par le haut. Les programmes les plus radicaux, l’expérience grecque nous le montre, ne présagent en rien de ce que fera le gouvernement une fois élu. Si Montebourg était élu et s’il réalisait ne serait-ce que la moitié de son programme nous aurions déjà fait un pas en avant vers une souveraineté réelle et non vers la souveraineté imaginaire qui n’existe que les plateaux de télévision et dans les pages des journaux.

Le 15 septembre 2021