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Contradiction de la démocratie

samedi 27 août 2022, par Robert POLLARD

CONTRADICTION DE LA DÉMOCRATIE

« Mais qu’est-ce que Florence en 1469 ? une république gouvernée par des hommes d’argent qui se figeait progressivement en oligarchie »

Patrick Boucheron ; Un été avec Machiavel

Il arrive qu’on se remette, in extrémis, d’une agonie qui semblait annoncer la Fin. On se dit que ce n’était qu’une fausse alerte… et à bientôt… La contradiction n’est qu’apparente, mourir ?… chacun le sait, personne n’y croit, jusqu’au bout nous sommes éternels. Mais nous avons appris, malgré tout, que l’éternité a nécessairement une fin. Transposée dans sa dimension politique la conscience s’adresse alors à ceux qui se conduisent en démiurges : Jaurès dont vous avez pu lire un extrait. « …au moment même où le salarié est souverain dans l’ordre politique il est, dans l’ordre économique, réduit à une sorte de servage. Au moment où il peut chasser les ministres du pouvoir, il est, lui , sans garantie aucune et sans lendemain, chassé de l’atelier.  », libre de mourir de malnutrition et de maladie éventuellement. Résoudre cette équation politique et sociale, le C.Q.F.D. de l’affaire : le socialisme, tel que Jaurès l’entendait — qui n’a strictement rien à voir avec l’opportunisme social-démocrate qui s’est confortablement installé, pour le dire vite, après 1918.

La vie parlementaire s’est à ce point dégradée, depuis le discours de Jaurès, que nous en somme à nous demander où se trouve le peuple souverain, où peut-il manifester sa puissance ailleurs qu’en se réfugiant de plus en plus dans l’abstention qu’on pourrait appeler, le silence électoral ! Lui reste donc après la protestation, la contestation et la revendication… que peaufinerait la Révolution ? Revenons-en à Jaurès : « Et puis, vous avez fait des lois d’instruction. Dés lors, comment voulez-vous qu’à l’émancipation politique ne vienne pas s’ajouter, pour les travailleurs, l’émancipation sociale. Quand vous avez décrété et préparé vous-mêmes leur émancipation intellectuelle ? » mais aujourd’hui, en hauts lieux, ils n’auront de cesse que de s’en protéger en détruisant l’école dans son intégrité, les travaux ont effectivement débutés par l’enseignement professionnel et quelques autres mesures dont on ne parle déjà plus comme le choix laissé à certains chefs d’établissements de choisir les enseignants comme les programmes en fonction des besoins du patronat local.

Le plus curieux est cette obstination par circonlocutions successives à refaire l’histoire de la lutte des classes, quelle qu’en soit sa forme à des époques aussi différentes que celle des années révolutionnaires de la fin du XVIIIème siècle, la nuit du 4 août 1789 notamment, ou celle de la guerre d’Espagne des années trente, par un pseudo historien espagnol, Pio Moa dont les écrits sentent la naphtaline mais repris, recyclés par Le Figaro. Ne parlons pas de Pétain, maquillé en sauveur des juifs (français…) réhabilité dans une monstrueuse cacophonie d’ignorance, de mensonges et d’arrogance. Beaucoup plus pernicieux sont les faussaires plus ou moins systématiques qui se sont penchés sur l’histoire de France ou sur celle de l’Espagne franquiste qui va conclure son règne par la condamnation de Puig Antich en 1974, au supplice du garrot.

Autre curiosité de notre époque convulsionnaire : agitée par les polémiques plus ou moins artificielles entretenues par les grands médias officiels (détenus par les grandes fortunes) qui argumentent jusqu’à plus soif à propos de tout et de rien, des intentions de la Russie de Poutine, ou de Poutine nouveau tsar, ou de Zelenski le héros sans peur et sans reproches, par exemple, sans évoquer Trump le retour… ou pas… la Chine… ou pas… on ne peut tout passer en revue dans le cadre étroit d’une “lettre“. Ce qu’ils appellent les “questions sociétales“ qui permettent la discrétion sur la question sociale. On commence seulement à entendre parler des grèves quasi générales en Angleterre, qui durent depuis des semaines et se durcissent malgré les coups portés au syndicalisme à l’époque Thatcher. Mêmes revendications qu’en France, tout autant passées sous silence, qu’en Allemagne, se défendre contre l’inflation, les conditions de travail, pour l’augmentation des salaires qui doivent rattraper et dépasser le taux d’inflation (plus de 10% au Royaume Uni).

Libé Matin le 22 août fait ce commentaire édifiant : «  la Nupes, qui a certes replacé la gauche au premier rang de la scène politique, n’a toutefois pas les moyens de peser seule sur les orientations du gouvernement. D’où l’enjeu à porter aussi le fer dans la rue, à l’ancienne, pour engager un rapport de force avec le pouvoir », les manifestations, les grèves suivies de défilés sont regardées comme des reconstitutions « à l’ancienne », mimant les combats de nos aïeux ?

Aujourd’hui, la modernité voudrait que tout ce fatras de revendications soit porté par de savantes manœuvres au sein des institutions démocratiques, et autres lieux où se déroulent, à l’abri des regards indiscrets et protégées de l’incompétence du tout venant, les discussions et compromissions nécessaires pour que le «  JEU » de la démocratie en Assemblée puisse s’accomplir y compris à la buvette, où seront réglés les derniers détails. A la table de ces pokers menteurs ne figurent que les ténors les plus expérimentés, accompagnés s’il le faut (et c’est souvent) d’étranges étrangers venus des lobbys ou des cabinets de Conseil, infiltrés au cœur de l’État. Alors, et alors seulement, on fera apparaître, dans de spectaculaires mises en scène, le sens profond de la méthode, comme la confrontation par exemple, d’une héroïne macroniste, Marlène Schiappa, avec l’un des ténors de la NUPES Alexis Corbière. Le 17 août dans Libération ils se comparent plus qu’ils ne s’affrontent : quand Alexis Corbière proclame « il faut abolir la Vème République et passer à la VIème dont les règles seraient redéfinies par le peuple dans une Assemblée Constituante : plus de droits pour les citoyens, plus d’interventions possibles, plus de contrôle des élus. Au fond être républicain, c’est considérer la République comme inachevée » — demandons-nous plutôt si cette république là n’a pas été achevée tout simplement par les derniers Pontifes de la cinquième. Elle répond : « Mais je partage votre constat : nous sommes à la fin ou au début d’une transition démocratique. D’où la proposition du Président de mettre en place un Conseil national pour la Refondation (CNR) pour réfléchir à l’ensemble des évolutions constitutionnelles ». Allusif et mystérieux, considérer la République comme inachevée, être à la fin ou au commencement d’un processus, chacun laissant à l’autre un droit d’entrée sur son territoire ; clin d’œil prometteur d’accords futurs sur une chose au moins, la continuité républicaine dans la confusion gaullienne du « coup d’état permanent ». Et, pourquoi pas, la perspective d’une grande coalition à l’allemande

Libération avait titré le 22 août « La question sociale est sur toutes les lèvres », les lèvres seulement ? Dans un tract de l’Union syndicale Solidaires il y est écrit « SOLIDAIRES APPELLE À UNE GRÈVE ET UNE MOBILISATION D’AMPLEUR À CONSTRUIRE DANS LA DURÉE DÈS LE 29 SEPTEMBRE » et bien qu’il soit dit bien avant dans le texte que « Vivre dignement, et bien vivre n’est pas une option. C’est un choix de société qui découle d’une transformation sociale radicale. » (Les caractères gras sont de Solidaire) il semble y avoir un hiatus avec l’appel tel qu’il est formulé en fin de tract, plus exactement une prudence exagérée dans le choix des termes : « grève et mobilisation d’ampleur » sont-ils des succédanés à la grève générale ? « Construire dans la durée » serait d’une prudence extrême qui n’a pas beaucoup de sens quand il est suggéré qu’il pourrait s’agir d’une grève générale puisque la plateforme de revendication peut être prise en charge par tous les salariés presque sans distinction*. Il se peut que l’expression qui semble donner du poids à la phrase grasseyante et qui pointe la nécessité d’une « transformation sociale radicale » soit à mettre dans ce lot de circonlocutions qui servent à éviter de trop mettre les points sur les i du véritable socialisme. Qu’est-ce que cette transformation radicale d’une société sinon que sa radicale transformation en une autre ? Une mutation de ce type n’est certes pas imaginable, rien jusqu’ici confirme qu’il est possible de remplacer instantanément une civilisation, un système, une nation par une autre sans soubresauts, sans que les contradictions et leurs contraintes ne viennent bousculer les habitudes qui s’opposent au changement. Une affirmation qui contient donc de quoi trouver des arguments pour se rétracter une fois l’action engagée…

Et pourtant, ce que l’on appelle le « choix » n’est rien d’autre que l’action de percuter, brutalement et sans attendre, les voies dans lesquelles nous nous engouffrons et nous obliger à nous tourner vers une autre forme de vie en commun, sachant toutefois que prendre une nouvelle direction réclamera de la patience et du discernement, embarrassés que nous sommes de tout notre passé, de tous nos préjugés mais lestés aussi de toutes nos expériences acquises dans ce passé. Raison suffisante pour que nous accordions une grande attention à ce qu’écrivent les dirigeants de nos organisations syndicales et politiques, qui prétendent nous défendre.

Dans ce contexte surgit la question de l’État en France et dans les pays du bloc dit “démocratique“ de l’Ouest. Une lettre, la prochaine, s’y consacrera…

Robert

Extrait du tract de Solidaire :

Ce sont des mesures urgentes, structurelles qu’il nous faut collectivement imposer :

Solidaires revendique :

  • un SMIC à 1 700 euros net
  • une réelle revalorisation du point d’indice dans la fonction publique
  • l’égalité salariale et la revalorisation des métiers les plus féminisés
  • des augmentations de salaires, pensions, minima sociaux de 400 euros
  • un écart de salaires de 1 à 5 (entre les plus bas et plus hauts salaires dans les entreprises, administrations)
  • le RSA pour les moins de 25 ans
  • la retraite à 60 ans avec 37,5 annuités
  • l’arrêt de la casse des services publics »