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Assemblée Constituante...

lundi 10 octobre 2022, par Robert POLLARD

Assemblée Constituante...

Assemblée Constituante, nouvelle Constitution, oui, non ? Faut-il ou ne faut-il pas espérer une nouvelle Constitution véritablement républicaine qui éradiquerait la Ve république éborgnée et unijambiste se dirigeant en claudiquant vers un régime autoritaire “à la française“, sorte de retour réussi de l’île d’Elbe deux siècles plus tard ? Disons tout d’abord qu’il est devenu de plus en plus fréquent de lire ou d’entendre parler d’abolition du capitalisme sous des formes différentes, fragmentées mais convergentes : « La crise touche à ce point les racines du régime capitaliste fondé sur la propriété privée des moyens de production qu’aucun gouvernement ne pourra s’y attaquer sans prendre comme première mesure démocratique la confiscation des centaines de milliards d’euros disponibles… » écrit Daniel Gluckstein dans l’éditorial de la Tribune des travailleurs, le 21 septembre 2022. Aucune ambiguïté ni précaution oratoire, l’objectif est clairement désigné. Mais alors, quel gouvernement et comment un tel gouvernement pourra agir, officier dans le sens d’une expropriation sans indemnisation ? Aucune Constitution, du moins telles qu’on les conçoit jusqu’ici, ne pourrait inscrire cela dans son préambule, alors que faire ? Je ne suis ni juriste, ni je ne lis dans le marc de café, mais la question est là qui s’impose. Aucun gouvernement ne pourrait prendre en charge un tel programme sauf… s’il était l’émanation directe d’une majorité de la population laborieuse. Ce même gouvernement qui serait en charge d’organiser l’élection d’une assemblée Constituante elle-même en charge de rédiger un texte qui dépasserait, et de loin, celui de la Constitution de 1793 !

Le Chili est le seul exemple fiable actuellement d’une démarche de ce type. Mais que s’y est-il passé ? Comment expliquer le rejet massif (plus de 60%) du texte présenté aux Chiliens ? Pour ma part je n’en discerne pas clairement les causes dans cette avalanche de commentaires et d’explications, confusément exposées, de situations qui requièrent une connaissance détaillée du terrain politique, si bien que rien de particulièrement saillant n’émerge, sinon un fatras dont les analystes s’approchent avec la prudence de chats évitant les flaques après l’orage. 32% d’abstentions, c’est un fait dont il est difficile d’apprécier l’importance surtout à l’aune de notre propre abstention. Au Chili il nous est confié qu’il s’agit d’une abstention importante : ce ne sont pourtant pas en ces termes que sont analysés les résultats. J’ai sous les yeux un texte écrit par une correspondante chilienne, Cecilia Solo, pour la revue ReSPUBLICA, texte en 14 points qui éclaire bien des aspects, il vous sera possible d’en prendre connaissance sur le site de la revue. Tout y passe, depuis l’idéalisation du projet qui omet les voies concrètes pour réaliser les objectifs, en passant par la reconnaissance des “nationalités“, cheval de Troie des identitaires, en lieu et place de la citoyenneté, l’abandon d’une lutte conséquente pour l’école publique etc…

Autant dire que certains de ces points de vue nous seraient communs alors que d’autres nous sont étrangers, du moins en première analyse. Ce que l’on retient est l’existences de chaussetrapes qui peuvent s’avérer mortelles pour la suite du projet. À bon entendeur salut… Et que dire de plus pour l’instant, sinon me semble-t-il que tout est concentré dans le calendrier : quel gouvernement, quel État ouvrier et paysan — les vieux fantômes, les vieilles discussions réapparaissent — et comment y parvenir avant même de concevoir une nouvelle Assemblée constituante apte à bouleverser l’ordre social et politique du pays, sans oublier le contexte international, la France n’est pas le Chili, et l’Europe l’Amérique du Sud ? Rien que ça en somme ! Sans doute que « la gauche (est) déçue par le peuple » comme l‘écrit Le Monde diplomatique dans son édition d’octobre 2022 en titre de l’article qui traite du rejet par référendum du projet de Nouvelle Constitution, ce qui pose bien entendu le problème particulier de la stratégie choisie mais aussi de la méthode en générale qui consiste à vouloir faire adopter aux populations éreintées par un labeur qui ne leur laisse presque aucune ouverture sur le sens de questions interminables qui engage leur avenir quand ils ont tant de difficultés à agir dans le présent pour leur bien et celui de leur famille, ou son contraire quand le chômage assommant interdit toute compréhension de la vie sociale effaçant présent et avenir.

Si la classe ouvrière chilienne ainsi que la paysannerie naviguent à vue au milieu des écueils, ils ne sont pas les seuls à chercher le bon chemin. En Égypte, par exemple, la contestation sociale bat son plein rapporte Le Courrier international de septembre, dans le silence le plus absolu imposé par ce bon général Fattah al-Sissi, souriant sur la plus haute marche de l’Élysée, alors reçu par notre non moins souriant Président, VRP de Mirages (Dassault Aviation) et autres rêves militaires qui font tant plaisir au Général dictateur. En 2016 ce furent 1878 mouvements sociaux recensés, en 2020, 3822, en 2021 au premier semestre déjà 1177 mouvements… et le décompte semble sous-estimé. L’Égypte n’est pas seule, que dire de la Tunisie, allez savoir ce qui se passe réellement en Algérie, au Maroc et que sais-je encore. Le cas de l’Égypte est néanmoins devenu, à en croire le Courrier international, un cas d’école où l’on voit au grand jour une rupture assumée par les partis politiques qui se réclament de la gauche, voire de la révolution, avec ces mouvements indépendants accusés de gêner le combat politique pour l’instauration de la démocratie ; s’y installe donc ce qui ailleurs, comme au Palais Bourbon par exemple, exprime un confort relatif un entre-soi plus ou moins feutré ou théâtrale, demeuré dans les limites des Institutions officielles du pouvoir, distinct des grèves et manifestations ouvrières ou paysannes, pire quand ces deux-là se rejoignent, le plus souvent sans que les directions syndicales y participent…

Quand la guerre s’en mêle nous sommes au comble de la dissimulation et de l’hypocrisie. La posture, l’acte théâtral, les multiples scènes et avant-scènes ouvertes par les États compatissants sur les écrans géants, les massacres authentiques de civils ukrainiens comme de jeunes militaires abasourdis venus de Russie, débarqués en Ukraine comme par surprise, repoussés, par d’autres soldats d’une armée à peu près lucide sur le but à atteindre, attendant l’arme au pied des munitions, des armes nouvelles venue du “Grand frère américain“ et d’une Europe à peu près convaincue de l’intérêt qu’il y a à ne pas se laisser trop distancée dans cette foire aux armements… Et, tout-à-coup, cette alerte venue de la Confédération européenne des syndicats (CES), pourtant loin d’être un foudre de guerre : « Nous avons fait part de nos préoccupations aux autorités ukrainiennes et aux Institutions de l’Union européenne concernant une nouvelle réforme régressive du travail Les syndicats d’Ukraine sont confrontés à une législation antisociale, à des campagnes de diffamation et à des abus à l’encontre des dirigeants, à des interférences dans les activités syndicales et à des tentatives de saisie des propriétés syndicales qui sont actuellement utilisées pour abriter des milliers de réfugiés internes » (La tribune des travailleurs 14/09/2022). La Confédération n’est pas la seule à dénoncer et s’inquiéter de la politique coiffée par Zelensky, acteur constamment sur le devant de la scène internationale et nationale, FO ukrainienne souligne à son tour que la loi 5371 est « en pleine violation des conventions fondamentales de OIT et de la Charte non seulement sociale européenne pourtant ratifiée par l’Ukraine.  ». Non seulement le capitalisme ne baisse jamais sa garde, mais il profite de la moindre faille pour s’infiltrer, la guerre de classe se mène par tous les moyens, sur tous les terrains quand l’occasion se présente de faire une percée silencieuse et efficace, la guerre en Ukraine fait vibrer les cœurs et battre la raison avec tant de ferveur, fait tant de bruit que sont couverts dans le présent ces offensives sans armes de basse intensité….

Encore que, sans armes le Capitalisme génère un mort de faim toutes les 4 secondes dans le monde, situation dénoncée par 200 ONG en marge de l’Assemblée générale des Nations unies. « Les ONG implorent les chefs d’État pour qu’ils daignent trouver les 49 milliards de dollars qui manquent pour l’aide humanitaire. C’est moins qu’un quarantième des 2.113 milliards de dollars des dépenses militaires mondiales en 2021. Ou encore “moins de 18 jours de profits des entreprises des énergies fossiles“ selon l’ONG Oxfam » (Tribune des travailleurs id°), nous comprenons depuis longtemps qu’il ne sert à rien d’implorer des États pour quoi que ce soit de sérieux, pour réduire la misère et stopper la gabegie du capital et des capitalistes, il faudrait beaucoup plus d’arguments convaincants et même contondants peut-être. On s’approche doucement, précautionneux, de la vraie solution : supprimer le capitalisme et renvoyer les capitalistes à n’être que des humains comme les autres, des travailleurs au service de l’espèce ni plus ni moins.

Tout est à inventer ou presque. Alors…

Robert

NOTE : Texte écrit par notre correspondante chilienne, Cécilia Solo, sur la base de notes de deux autres fins connaisseuses de la vie politique chilienne. ReSPUBLICA a précédemment consacré plusieurs articles à l’évolution politique du Chili https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-monde/respublica-amerique/les-chiliens-choisissent-les-enfants-dallende-contre-ceux-de-pinochet/7429673).