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Qatarsis

samedi 26 novembre 2022, par Robert POLLARD

Qatarsis

(Le titre était déjà utilisé dans Franc-Tireur)

(Je suis pour le partage des bonnes choses)

Le Qatar devra boire la coupe jusqu’à la lie, ce connaisseur des jeux en coulisse semble s’en réjouir, il comprend que tout ce foin distribué autour d’une finale en coupe du Monde ne fera que lui donner plus de force et reconnaissance, à la manière de l’Égypte et de sa Cop27 car il y a manière et manière. Lui va soigner les angoisses et les bons sentiments un peu rageurs de ces dernières heures par les tirs aux buts, sans arrière pensée, les cœurs battants, et les hurlements au chaud dans les tribunes, contenus par ces visages désormais enregistrés dans le grand livre de compte de la cybernétique à reconnaissance faciale. Un possible Alléluia ! Forcément un Allah akbar — encore que l’Islam qatari ne soit pas un modèle du genre — et beaucoup de chèques à encaisser, à distribuer de part et d’autre, de grandes tours torsadées par-ci, des mouroirs d’esclaves épuisés ailleurs qu’on ne peut ni voir ni entendre, une photo et c’est la prison, plus si affinité… Quel beau monde tout de même cet assemblage hétérogène de chalumeaux humains et de chaleur financière immergés dans les eaux de glace turquoise où se reflètent l’immense et joyeuse grandiloquence du fric.

COP27, tout a déjà commencé, tout est déjà fini qu’en est-il sorti ? Les réductions de production et de consommation du Gaz, du charbon, du pétrole n’ont pas été abordées sinon que pour le “plaisir“ de se renvoyer la balle vertement, et pour cause, les hôtes qui reçoivent bien châtient peu ou mal ou pas du tout, en général, ils ménagent leurs montures et il ne peut pas être question de prendre l’Arabie saoudite par la nuque ou tout autre Roi du pétrole : savoir ménager la Russie en même temps que les Etats-Unis et… l’Europe !

La très grande confusion des analyses et commentaires, leurs ambiguïtés font de ce rassemblement international une cacophonie d’accusations et de disculpations qui, néanmoins, donne un certain résultat : « Au terme d’âpres négociations, les pays réunis à la conférence climat de Charm el-Cheikh (6-18 novembre 2022) sont parvenus à un accord sur la question des financements climatiques , via la création d’un fonds « pour pertes et dommages » Journal du dimanche (JDD) Christian Perthuis 21/11/2022. Et comme l’habitude est prise et qu’il est désagréable d’en changer il est prévu qu’en 2024 le rendez-vous aura lieu « aux Émirats arabes unis, situés à quelques encablures à l’est de Charm el-Cheikh, sera une excellente occasion d’apprécier à quel rythme doit s’opérer le retrait des énergies fossiles pour rejoindre une trajectoire de 1,5 °C. » trajectoire d’ores et déjà jugée illusoire par certains chercheurs : « Selon certains, le 1,5 °C serait irréaliste, au dire même des scientifiques. Un point à clarifier. »(id°) d’autres répondent qu’au contraire…

En somme, le principal est qu’on ce soit mis d’accord sur le principe d’un pognon de dingue pour aider les pays qui ne font partie ni de l’occident industrialisé, ni des puissances émergeantes, les pauvres d’Afrique notamment chez qui d’ailleurs on se dépêche de pomper, creuser, extraire le maximum de matières premières dont on aura toujours besoin. Besoin d’enrichir les déjà très riches et arrogants propriétaires de sociétés d’exploitation et de journaux et chaînes télévisuelles. Ces 100 milliards déjà promis en 2009 mais qui n’ont pas encore été intégralement versés (89Md à ce jour et encore de quoi et de qui parle-t-on ?) qui ne seront sans doute pas plus versés que ne l’ont été les précédents qui auront à leur tour enrichi, et par le fait acheté, quelques caciques de pays pauvres entre autres, c’était l’urgence, c’était le possible accord, le reste n’est que paroles… Le fonds restera certainement ce qu’il est déjà depuis 2009, sans fond par surcroît, comme une vieille habitude sachant qu’ici ou là il se trouvera toujours quelques petits Rois ou Dictateurs auto proclamés pour mettre largement la main dans le coffre. Les lobbyistes en revanche n’ont pas perdu le Nord, « La conférence (de Charm el Cheikh) a accueilli un record de 636 lobbyistes de l’énergie fossile en coulisses, une vingtaine de contrats de gaz ont été conclus », la pièce se jouait, de fait, en coulisse, sur le devant de la scène bavardent des pantins à qui on va néanmoins confier les clefs du Coffre.

Il en va de même avec le Qatar et le foot, incontestable aux vues des émissions qui s’enchaînent sur les chaînes télé et les radios, des articles de presse. L’astuce est bien rodée d’une émission critique superficielle, suivie d’une danse du ventre débraillée en faveur de la « Fête du football et de l’amitié entre les Peuples », des tragédies de kermesse avec ou non la participation de celui-ci ou la super production de celui-là, et devant cet étalage, c’est sûr, « Les politiques s’interrogent » sur la pertinence du boycott, les politiques sur le ban ce touche regardent le match de leur vie se tortiller sur le vert gazon des hypocrites dénonciations et condamnations tribunitiennes du choix géopolitique, ou pour les plus courageusement retors, la satisfaction d’avoir un franc parler qui expliquent que eux regarderont car ils ne mélangent pas sport et politique. 

Le sport n’est pas pur par essence, il est capitaliste par essenceécrit Michel Caillat dans un article de l’Humanité du 22 novembre (par ailleurs développé dans ses ouvrages nombreux sur la question), or de cela personne ne semble se soucier : Capitalisme ? Peut-être et après ? qui sommes nous, hommes et femmes politiques, dans un Système qui semble installé là aussi définitivement… que la Monarchie l’était en son temps. Ils y auront cru, un peu, pas beaucoup ou à la folie à la Fin de l’histoire racontée par Francis Fukuyama. Malgré tout la presse régionale (Var Matin du 24/11) ou nationale (Le Monde 24/11) avec plus ou moins de tact ou de savoir faire, tente de relancer le Mondial qatari donnant les résultats, commentant les principales phases de jeu, les exploits et leur contraire des joueurs, la conscience tranquille d’avoir déploré avec plus de 10 ans de retard le choix de ce pays qui n’avait à priori aucune des “qualités requises“ pour recevoir une coupe du Monde de football ! Mais tout s’explique par cette juste et simple remarque « …le sport est capitaliste par æessence  ».

Il en va de même en ce qui concerne Charm el Cheikh : le 22 il y avait encore de l’espoir, nous étions d’après Le Monde (22/11/2022), entre espoirs et désespoir. Faute de mieux, comme le souligne l’éditorial, les participants se donnent rendez-vous à Dubaï en 2023 ?(n’était-ce pas plutôt 2024 ?) lors d’une Cop 28 ­— encore de la marge jusqu’à la Cop 100, ou Cop Sang ? — or, sans attendre et sans espérer dès le 24 novembre 2022, deux jours après l’éditorial se lamentant sur notre futur, Le Monde constate « COP27 : les contours flous du fonds “pertes et dommages“. La conférence sur le climat n’a pas défini les montants ni les bénéficiaires de ce mécanisme d’aide aux pays les plus vulnérables », et ce ne sont certainement pas des oublis, tenant secrètement les cordons de la bourse voilà un excellent instrument de pression dans le choix d’abord des « bénéficiaires » et le montant des sommes possibles allouées permettant un chantage “légal“ sur les intéressés, une manipulation hors atteinte et sans contrainte des généreux donateurs. L’évaluation des besoins est significative des marges que se réservent les États les plus forts, « entre 290 milliards et 580 milliards par an jusqu’en 2030 et jusqu’à 1700 milliards de dollars en 2050 » décline Le Monde. L’éditorial du 24 novembre reste muet en revanche sur cette question.

Réflexion éphémère à propos du cirque olympique de 2024 : « Les jeux coûteront 400 millions d’euros de plus » et attendez-vous à savoir, comme le disait Geneviève Tabouis sur Radio-Luxembourg des années cinquante, à d’autres et sévères augmentations dues à ce qu’ils appellent pudiquement « des dépenses mal anticipées », tautologie flagrante… Me retournant sur le Qatar en me repliant sur l’expression la plus simpliste du problème : “l’addiction footeuse“, on devine, en observant le comptage des Français qui auront regardé les étranges lucarnes footballistiques, qu’il ne peut y avoir d’explication que psychanalytique, jamais simple, d’un déchirement d’entre la raison et la pulsion. En découvrir les ressorts est une affaire mystérieuse pour la raison, intuitive pour le ressenti.

N’est-ce pas d’une Catharsis dont il s’agit, quelques soient les milliards déboursés pour panser l’énormité d’une décision prise il y a 12 ans qui ne commença d’être pensée à quelques jours seulement de l’ouverture des monstrueuses agapes. Attendons-nous à savoir que les jeux Olympiques de Paris 2024 révèleront d’autres monstres d’une taille encore plus démesurée.

Robert