Accueil > Dossiers > Histoire > Vaincre ou mourir

Vaincre ou mourir

ou le retour de la droite la plus con du monde

samedi 28 janvier 2023, par Jean-Philippe IMMARIGEON

Jean-Philippe Immarigeon est avocat et historien

Voilà déjà presque un demi-siècle que les historiens se repenchent sur les Guerres de Vendée pour sortir de la doxa rad-soc de la IIIe République qu’on nous enseigna longtemps, qui présentait la révolte du bocage comme un combat d’arrière-garde contre le progrès en marche. Si la spécificité de cette rébellion reste encore emblématique, ses évènements déclencheurs sont identifiés : le rejet de la conscription et de la constitution civile du clergé après la confiscation de ses biens, et surtout un antique contexte sociologique totalement imperméable à la vieille société égalitariste du bassin parisien (pour reprendre l’analyse déjà ancienne d’Emmanuel Todd), qui fait que ce qui est accepté et même recherché ailleurs est ici rejeté.

Et bien nous n’avions rien compris, et c’est Michelet qui avait raison : la révolte du bocage, nous dit Vaincre ou mourir, fut bien une contre-révolution de bouseux arriérés armés et financés par l’Angleterre, et les Vendéens les derniers défenseurs sacrifiés de valeurs archaïques et de traditions monarchiques menacées par les Lumières et les 17 articles de 1789 (cette Fin de l’Histoire célébrée par les philosophes de l’Aufklärung). Dont acte ; mais la bêtise politique du propos déroute tout autant que la pauvreté du vecteur choisi, malhabile produit dérivé d’un parc d’attraction.

Thierry la Fronde is back

Quoiqu’on pense de l’An II comme de 93, ils sont devenus des marqueurs et même des marques de l’identité française, le combat mythique d’une France, écrivait Tocqueville peu suspect de sympathie jacobine, « en butte aux attaques de l’Europe entière, sans argent, sans crédit, sans alliés, [qui] jetait le vingtième de sa population au-devant de ses ennemis, étouffant d’une main l’incendie qui dévorait ses entrailles, et de l’autre promenant la torche autour d’elle » (De la démocratie en Amérique, I). Ce fut, écrit de son côté Victor Hugo, « la guerre de l’Europe contre la France et de la France contre Paris. Et qu’est-ce que la Révolution ? C’est la victoire de la France sur l’Europe et de Paris sur la France. De là, l’immensité de cette minute épouvantable, plus grande que tout le reste du siècle. Rien de plus tragique, l’Europe attaquant la France et la France attaquant Paris. Drame qui a la stature de l’épopée. » (Quatre-vingt-treize).

Que des esprits dont la culture se réduit aux manipulations d’Eric Zemmour et le référentiel aux séries de Netflix, soient écrasés par ce monument n’empêche pas qu’il n’est pas un Français qui ne s’incline devant ce combat homérique. Même le général Bonaparte – comme s’obstinaient à le saluer les officiers de la garnison de Sainte-Hélène – s’affichait humble lorsqu’il évoquait, devant Las Cases, cette minute du siècle dont il fut un des acteurs. « Nous approchons de la grande cime. Le regard devient fixe en présence de ce sommet. Jamais rien de plus haut n’est apparu sur l’horizon des hommes. Il y a l’Himalaya et il y a la Convention. » (Quatre-vingt-treize). Prétendre faire œuvre éducative en réduisant ce moment à un remake du Prince Eric illustré par Pierre Joubert en un peu plus gore, filmé dans un coin de décor du Puy-du-Fou comme les Thierry la Fronde de notre enfance, traduit une méconnaissance totale de ses enjeux.

Délivrance dans le bocage

Soyons clairs, il n’est pas question de se féliciter des curés écorchés vifs et cloués comme des chouettes au porche de leur chapelle, car si le mot de génocide n’est pas approprié, la répression n’en releva pas moins d’une volonté d’éradication : la Vendée devait être rasée et vidée de ses habitants. Tout est documenté, les décrets, les rapports et les correspondances, la responsabilité des généraux et des représentants, de la Convention et des Comités. On ne peut que se reporter à la très complète page « Colonnes infernales » de Wikipedia. Et inutile de nous refaire le coup de « l’épisode occulté » qu’on se chargerait de révéler, comme les décoloniaux pour les troupes indigènes et qui les autorise à réécrire l’Histoire sous la plume du révisionnisme [1] : les contemporains connaissaient le nombre de victimes et savaient les massacres de civils, femmes et enfants, perpétrés par les Républicains dans les trois premiers mois de 1794.

Mais ces mêmes contemporains, comme par exemple Stendhal, reconnaissaient que « le gouvernement révolutionnaire avait été une nécessité, mais une nécessité cruelle, [d’autant que] le public, formé dans ses façons de voir par le despotisme corrompu de Louis XV, ne comprenait rien aux avantages de la liberté. » (Mémoires sur Napoléon). Il s’agissait pour la France, disait Tocqueville, de « jeter dans le monde, la première, au milieu du fracas du tonnerre de sa première Révolution, des principes qui, depuis, se sont trouvé des principes régénérateurs de toutes les sociétés modernes. Ça été sa gloire, c’est la plus précieuse partie d’elle-même. »

La revanche de Philippe Pétain

Il m’est arrivé, de passage en Vendée, de visiter le Mémorial des Lucs-sur-Boulogne, un des nombreux Oradour perpétrés par les Bleus. La morbidité frappe davantage que le poids de l’Histoire, une sinistrose qui avait été relevée lors de la déclaration de candidature de Zemmour. Les pièces exposées sont intéressantes mais désincarnées dans une crypte funéraire, sans même la pompe dépressive d’un Gotterdämmerung.

Son inauguration avait donné lieu à un discours d’Alexandre Soljenitsyne où il traça une diagonale avec les totalitarismes du XXe siècle, mais avec une réserve qui prit le vicomte de Villiers à contrepied : contrairement aux systèmes totalitaires qui n’acceptent aucune réfutation interne et ne disparaissent, au bout de plusieurs décennies, que sous la pression extérieure voire la guerre, la Convention sut, en son sein même, y mettre un terme au bout de quelques mois. Si ses décrets ressemblent à un Nacht und Nebel et ses colonnes infernales à des prolégomènes d’Einsatzgruppen, voir ex-abrupto dans le régime conventionnel un proto-totalitarisme est un raccourci qui ne peut qu’égarer et verrouille toute perspective historique.

Tel n’est même pas le propos de Vaincre ou mourir puisqu’il s’agit de dénoncer, à l’unisson de Zemmour, non pas la Terreur mais la Révolution et « ces mensonges qui nous ont fait tant de mal » comme ânonnait un maréchal sénile, entendons les universaux français de l’Encyclopédie et de la Nuit du 4 août, source de tous nos maux, de toutes nos défaites et d’un irrépressible déclin. Et de prôner le retour à des totems de boyscouts bizutés autour d’un feu de camp, et, à l’image du titre culcul-la-praline du téléfilm, à des proclamations infantiles inspirées de la Charlemagne : mon honneur s’appelle fidélité. Mort à la Gueuse, le mantra maurassien, aurait été plus approprié. Allez ensuite expliquer aux rebeus des quartiers les fondements de la République, de l’égalité en droits et de la laïcité, quand la droite la plus con du monde ne cesse depuis deux siècles de les vilipender !

Un pamphlet antihistorique et antifrançais

Mais par-delà la glorification d’une France fantasmée, d’un très illusoire Occident judéo-chrétien et des valeurs de Travail, Famille et Patrie, c’est la vision lamarcko-freudienne de l’Histoire de l’Humanité qui est ici étalée. Personne ne nie l’apport de ce que cette droite vénère, mais ça c’était « avant », et il faudrait enfin comprendre pourquoi certaines civilisations et nations s’adaptent et survivent, comme la France depuis deux millénaires, tandis que d’autres meurent à l’image des espèces. La Révolution française (que Tocqueville n’écrit jamais qu’en majuscule, alors qu’il n’use que de la minuscule lorsqu’il parle des Etats-Unis) n’a pas été la table rase qu’elle prétendit être, mais fit son marché dans ce qu’elle conserverait de l’ancienne France une fois changé le logiciel. C’est la double intuition géniale de 1789, à la fois pré-darwinienne et pré-quantique : on n’évolue pas en conservant mais en éliminant ce qui ne vous servira plus à rien même si cela a été fort utile naguère, et sans considération de sa valeur intrinsèque mais toujours contingente. Ainsi la Révolution, à l’image de la science, n’a jamais prétendu au vrai mais à l’utile et l’efficient. C’est ce qui fait sa supériorité incontestée sur toutes les autres politiques qui, religieuses ou profanes, sont, elles, des projets totalisants voire totalitaires.

En rallumant les cierges du catafalque d’une France désormais aussi rance que le Mémorial des Lucs mais qu’elle entend ressusciter d’outre-tombe, la droite Bolloré n’est même pas à l’unisson de ces nobles – et pas des moindres, rien que du micheton garanti croisades aurait dit Michel Audiard – qui se rallièrent à la Révolution ne serait-ce qu’en sacrifiant la Nuit du 4 août ce qui leur avait de toute manière déjà échappé. Car pour un Charrette de la Contrie déjà prêt à vendre la France à une puissance étrangère, combien de milliers se mirent au service de la République, de la Convention et plus tard de l’Empire, infiniment plus nombreux que dans le bocage militaire ou dans l’Armée de Condé ? Tocqueville, encore lui, relevait que le jour de la Prise des Tuileries, outre les 600 mercenaires suisses, il ne restait pour défendre le Roi, après un millénaire de monarchie française, que soixante épées. Les autres avaient compris la stérilité d’incantations passéistes glorifiant des valeurs disparues, à l’image bien plus tard du général Massu qui, lorsqu’on lui demandait pourquoi il n’avait pas rejoint lors du putsch d’Alger les camarades dont il partageait pourtant l’indignation, répondait en se frottant l’œil : le parjure de l’intelligence.

Mais ne passons pas trop de temps sur ce qui ne le mérite pas ; ce cinéma de propagandastaffel serait dangereux s’il n’était pas filmé à la truelle avec les moyens de feu la SFP. Tout le monde n’a pas la maîtrise de la caméra d’une Leni Riefenstahl, cela évitera à la France d’avoir à traiter de nouveau le problème comme elle dut le faire en 93 et en 44.


[1On pourra lire mon article sur le film « Tirailleurs : l’Histoire de France au défi du narratif américain », in Revue Défense Nationale, Tribune n° 1459, 11 janvier 2023, https://www.defnat.com/e-RDN/vue-tribune.php?ctribune=1566.

Messages

  • Sur le site "Les amis de Bartleby" un article sur le livre de Michel Perraudeau "Vendée 1793, Vendée plébéienne" donne un point de vue différent qui mérite, selon moi, d’y prêter attention. Pour l’auteur de cet ouvrage, l’insurrection vendéenne fut victime de ses admirateurs autant que de ses détracteurs. Il pointe l’opposition entre le monde urbain et celui des campagnes (toujours d’actualité). Il fait aussi un parallèle entre la révolution française et la révolution russe. Je cite : "Sur bien des points, le parallèle s’impose avec la révolution russe de 1917. Pour Michel Perraudeau, on y vit se développer la même logique de récupération et de détournement d’un mouvement plébéien né dans les campagnes – en France, par l’Église et l’aristocratie et, en Russie, par le Parti bolchevik. Et, de fait, le parallèle avec Makhno n’est pas déplacé. Michel Perraudeau cite ainsi fort à propos un texte de Trotski daté de 1938 qui accuse l’anarchiste ukrainien « de lutter contre la dictature du prolétariat ». L’armée du peuple contre le peuple en armes, qu’elle fût Rouge ou Bleue. On ne peut oublier que, dans ces révolutions de 1789 et 1917, il s’est agi d’une passation de pouvoir se traduisant, dans les deux cas, par un renforcement de l’État et par l’accaparement du pouvoir au profit d’une classe et de sa bureaucratie. "

  • Bonjour Monsieur Maillet. La question n’est pas de savoir si la Révolution ceci ou la Terreur cela, s’il y a ou non passation de pouvoir et de qui vers qui, on n’en est plus à l’analyse socio-marxisante puisque ce film réfute et refuse les Lumières et les principes de la Déclaration de 1789 (liberté, égalité en droits, résistance à l’oppression, relégation de la religion au rang d’opinion de droit commun, etc). Ensuite on peut se faire plaisir en dissertant sur l’identité des Constituants et les circonstances du vote de ces 17 articles, sauf que, comme Fukuyama le rappelait il y a trente ans en citant les philosophes de l’Aufklärung, on pourrait mais on n’a jamais fait mieux à cette heure et on n’est pas sur le chemin de le faire. Or c’est ça qui est attaqué depuis des années par Le Pen, Villiers ou Zemmour qui, après Maurras ou après Pétain, veulent en finir avec ces universaux français pour nous ramener mille ans en arrière, à la douceur des lampes à huile et de la marine à voile comme disait de Gaulle dans un fameux discours. Il faut donc désormais choisir son camp.

  • La pseudo-révolution francaise de 1793 fut un coup d’état, une contre-révolution chargée de réprimer les étonnantes idées de grandeur des pauvres en 1789. La bourgeoisie n’avait pas besoin de révolutionnerla société puisqu’elle était déjà au pouvoir, la noblesse pouvait être achetée et la bourgeoisie se contenter de laisser ce qui restait de la noblesse gendarmer le peuple. On ne peut saisir à la volée les imbécillités d’un Zemmour pour recouvrir la révolution des pauvres de 1789 par la contre-révolution de riches de 1793 et qui se poursuit aujourd’hui. Pourquoi le peuple français des "gilets jaunes"a-t-il abandonné le drapeau rouge pour le drapeau tricolore et a ainsi rebuté la doxa de gauche. La gauche a dû remplacer le clergé dans sa fonction de tromper le peuple et de lui faire aimer son aliénation.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.