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Brexit, le croque-mitaine façonné par l’UE

vendredi 31 mai 2024, par Antoine BOURGE

Brexit, le croque-mitaine façonné par l’UE

Dans les médias euro-béats de toute obédience [1], le Brexit est vilipendé et serait la source de tous les maux du Royaume-Uni. Malgré tout, le 31 janvier 2020, les Britanniques ont repris le Graal qui leur permettrait de reconquérir tous les autres : leur souveraineté.

Faisons le point sur quelques idées reçues.

  1. Le Royaume-Uni s’enliserait dans une crise économique.
  2. En 2021, une croissance record de 7,5% est enregistrée et septembre 2023, l’ONS (Office for National Statistics [2]) indique que le PIB du Royaume-Uni est 0,6% au-dessus de son niveau pré-pandémie. Avec 7,5% de croissance en 2021, le Royaume-Uni se place ainsi parmi les pays les plus performants du G7, derrière les États-Unis et le Canada, mais devant l’Italie, la France et l’Allemagne.
  1. Les échanges internationaux seraient défavorables au Royaume-Uni.
  2. L’accord commercial avec l’UE voté le 24 décembre 2020 entre en vigueur après sa ratification par le Parlement européen le 27 avril 2021, ce qui normalise les échanges internationaux. Le commerce entre la France et le Royaume-Uni demeure stable avant et après Brexit [3] et les voisins européens restent naturellement des partenaires commerciaux majeurs (secteurs automobile, agricole, aéronautique, pharmaceutique, luxe).
  3. Pour entériner la stratégie ’Global Britain’, les Britanniques ont conclu en mai 2023 un accord de libre-échange avec l’Australie ; relation qui leur était interdite depuis l’entrée dans le marché commun en 1973. D’autre part, l’adhésion britannique au partenariat de libre-échange trans-pacifique (CPTPP) a été entérinée en juillet 2023. Celui-ci compte 11 pays dont le Japon, la Nouvelle-Zélande, l’Australie, le Canada, le Chili, la Malaisie, le Mexique, Singapour.
  4. Les négociations avec le gouvernement américain sont gelées mais le Royaume-Uni s’affaire à signer directement des accords de libre échange avec les États. A ce jour [4], le Royaume-Uni a déjà signé des accords avec huit États, soit près de 25% de l’ensemble de l’économie américaine.
  1. Le Royaume-Uni n’a pas su faire face à la crise du Covid-19 ?
  2. C’est en partie vrai. Le Royaume-Uni, comme les services hospitaliers des autres pays européens, a dû faire face à des pénuries multiples en personnels (docteurs, infirmiers), matériel médical et médicaments. Les causes sont multiples : coupes budgétaires drastiques dans les hôpitaux publics [5] (National Health Service), baisse des indemnités à une population pauvre déjà très précarisée et gestion du dépistage du Covid par des entreprises privées incompétentes [6]. Le Brexit n’est pas responsable de l’impéritie du gouvernement et du rôle dévastateur du désengagement de l’État au profit de l’idéologie du marché tout puissant faisant fi de l’humain. Le taux de mortalité a été notoirement élevé au Royaume-Uni [7] en 2020-2021.
  3. Il faut par contre noter qu’en collaboration avec la Suède, le Royaume-Uni a réussi à mettre au point le vaccin AstraZeneca et a massivement incité la population à se faire vacciner très tôt. Ainsi, le Brexit n’a pas tari la coopération entre les nations.
  1. L’UE protégerait les droits des salariés face à un Royaume-Uni peu protecteur socialement. Comme le dépeint très crûment le film Moi, Daniel Blake (2016) de Ken Loach, le Royaume-Uni de Thatcher jusqu’à nos jours n’est pas un modèle d’État social : entre 1960 et 2002, la population britannique touchant des revenus inférieurs à la moitié du revenu moyen est passée de 11% à 23% ! L’écart des revenus entre les plus pauvres et les plus riches n’a pas cessé de se creuser pour atteindre des situations comparables à l’époque victorienne. La réorientation des emplois industriels qualifiés vers des emplois de services, l’auto-entrepreneuriat et les contrats ’zéro heure’ favorisent des emplois précaires : 38% des bénéficiaires d’aides sociales avaient un emploi en 2023. [8] Dès avril 2024, face à une inflation galopante [9] le salaire minimum sera revu à la hausse [10] de 9,7%. Un revirement historique des Tories en lieu et place du dogme de la non intervention de l’État. Pourquoi cela ?
  2. Pendant de longues années, le Royaume-Uni a rejeté toute UE sociale et parallèlement encouragé le dumping social par l’élargissement aux pays d’Europe de l’Est à la main-d’œuvre à bas coût, comme par exemple dans le transport routier [11]. Aujourd’hui la pénurie de main-d’œuvre au Royaume-Uni est finalement riche d’enseignement pour l’UE et ses États membres, car sans le Brexit, le sujet de la revalorisation salariale et de la relocalisation de certains emplois se serait-il posé ?
  3. Le secteur agricole était protégé par l’UE, après le Brexit les agriculteurs britanniques seraient en difficulté.
  4. Une grande partie des propriétaires terriens et des agriculteurs bénéficiaient de subventions de l’UE, la fameuse Politique Agricole Commune (PAC). Or, le système de la PAC a été dénoncé pour plusieurs raisons au premier rang desquelles l’encouragement de l’agriculture intensive peu respectueuse de l’environnement et de l’agro-business [12] au détriment des exploitations à taille humaine.
  5. Depuis sa sortie de l’UE, le gouvernement britannique s’est fixé de promouvoir une agriculture écologique et qui assure la sécurité alimentaire du pays avec comme objectif de produire 60% des denrées alimentaires consommées dans le pays. Cependant, le talon d’Achille de ce projet réside précisément dans les accords de libre-échange [13] conclus avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande entre autres. Ces accords prévoient une exonération totale des droits de douane sans limiter le nombre de marchandises que ces deux pays pourront exporter vers le Royaume-Uni, aussi bien pour la viande comme le bœuf ou l’agneau que pour les produits laitiers. La concurrence induite se fera au profit des produits australiens et néo-zélandais moins chers du fait d’un élevage plus industriel aux normes sanitaires plus souples, sans compter la pollution liée au transport.

Le Brexit ne résout pas magiquement le besoin d’un renouveau démocratique appelé se leurs vœux par une majorité de Britanniques [14]. La sortie de l’UE était le préalable à la reprise en main des affaires de la cité, mettant au pied du mur les responsables politiques qui, trop souvent, rejetaient les conséquences de leurs décisions sur l’UE mais aussi en redonnant aux citoyens la mesure de leur rôle essentiellement politique.

Antoine Bourge

Le 03/04/2024


[2Équivalent britannique de l’INSEE.

[5’Les nations avec les décès en excès les plus importants pendant la période de l’étude sont ceux qui ont connu des investissements inférieurs dans leurs systèmes de santé. Par exemple, l’Autriche, qui a déploré très peu de décès toutes causes, possède presque trois fois plus de lits d’hôpital par habitant que le Royaume-Uni.’ https://www.ined.fr/fr/tout-savoir-population/memos-demo/focus/covid-19-la-france-au-8eme-rang-parmi-21-pays-industrialises-en-termes-de-bilan-de-mortalite/

[6En octobre 2020, Boris Johnson a déclaré qu’était venu « le moment où l’État doit prendre du recul et laisser le secteur privé prendre les choses en main ».

[7L’Angleterre & Pays de Galles et l’Espagne ont connu l’impact le plus important : environ 100 décès pour 100 000 habitants, soit l’équivalent d’une augmentation relative des décès de 37 % en Angleterre & Pays de Galles, et 38 % des décès en Espagne. Source : Ined.

[8Lire le rapport ’La pauvreté et l’exclusion sociale en Grande-Bretagne’ – Insee (2005).

[910,4% sur un an (février 2022-février 2023).

[12Un milliardaire saoudien aurait perçu, en 2016, pour plus de 400’000 £ de subventions européennes pour son élevage de chevaux de course au Royaume-Uni.

[1489% sont en faveur d’une réforme des institutions afin de favoriser le développement de la démocratie locale. Rapport complet sur https://www.ippr.org/articles/talking-politics-building-support-for-democratic-reform