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Contre les gouvernements techniques

Après la formation du gouvernement Draghi en Italie

samedi 13 février 2021, par Diego FUSARO

Avec cette brève intervention, j’essaie d’exposer, de manière très synthétique, les raisons pour lesquelles nous devrions toujours regarder avec inquiétude les gouvernements techniques, quels que soient les "techniciens" qui opèrent de temps en temps dans la pratique. Il est clair qu’il y a peut-être des techniciens meilleurs que d’autres. Mais cela n’enlève rien, pour les raisons que je vais immédiatement exposer, au fait que le gouvernement technique en tant que tel présente un certain nombre d’aspects négatifs qui ne peuvent être négligés. Je vais en énumérer trois, qui me paraissent de la plus haute importance.

En premier lieu, le gouvernement technique, par définition, ne répond pas à la souveraineté populaire. Et, par la même occasion, il n’est pas appelée à rendre des comptes. Il est présumé être là où il se trouve pour diverses raisons, qui de toute façon ne font pas référence à la souveraineté populaire. Habituellement, le gouvernement technique est nommé dans les cas d’urgence, pour sauver - dit-on - la situation qui est maintenant proche de l’abîme. Ainsi - c’est le point essentiel - le gouvernement technique opère toujours au nom d’une situation ardue, urgente, hautement critique, pour résoudre ce qu’il n’est pas nécessaire, et pourrait même être dangereux, de se référer à la volonté du peuple.

Le gouvernement technique est un gouvernement qui, à cet égard semblable au médecin, opère dans le but de la santé, pour laquelle il est souvent nécessaire de faire des sacrifices et de prendre des médicaments particulièrement désagréables. C’est précisément dans ce désengagement de la souveraineté populaire que réside l’élément dangereux du gouvernement technique.

En deuxième lieu - et c’est un argument lié à la contingence historique, je le sais - le gouvernement technique est censé être confié, précisément, à des techniciens au-dessus des partis, qui doivent simplement travailler pour l’intérêt collectif dans le moment le plus difficile.

Et pourtant, à l’analyse, on découvre toujours sans trop de difficultés que - au moins au cours des quinze dernières années - les techniciens désignés ne sont jamais, précisément, des techniciens au-dessus des partis, mais répondent plutôt à un positionnement précis qui est tout sauf neutre dans le schéma des rapports de force et des visions du monde : Qu’il s’agisse de cadres supérieurs comme Colao, d’économistes de confession orthodoxe et libérale de l’université Bocconi [1] comme Monti ou, encore, de banquiers aux perspectives de privatisation tout sauf voilées comme Draghi, nous avons toujours affaire à des représentants des classes dominantes qui se font hypocritement passer pour des techniciens, quand ce n’est pas pour des sauveurs du pays.

Au contraire, on a l’impression que les gouvernements techniques s’inscrivent dans une stratégie néo-libérale précise de contournement du principe de la démocratie parlementaire et d’imposition, par le biais du deus ex machina, de personnages qui ne sont pas élus, qui doivent être acceptés comme des compétents au-dessus des partis.

N’est-il pas vrai que la "nouvelle raison libérale" aspire depuis quelque temps déjà à imposer l’idée d’une expertise pour remplacer les incompétences nécessairement liées - comme elle aime à le répéter - aux masses populaires nationales des démocraties parlementaires traditionnelles ?

J’en arrive au troisième et dernier point, que je considère comme le plus important. Un technicien peut-il diriger les affaires publiques ? Un "expert" économique ou commercial peut-il administrer l’État ? La question, si l’on écoute Platon, ne connaît qu’une réponse négative.

Le technicien est indispensable dans des domaines techniques spécifiques - le potier pour la production de vases, le pilote du navire pour la navigation - mais il est congénitalement inadapté pour la direction politique de la cité. Pour gouverner les hommes, il faut un homme qui n’ait pas de "techne" mais de la "paideia", c’est-à-dire une formation culturelle globale, une éducation politique et philosophique.

En bref, en suivant Platon, on doit dire que mettre un technicien à la tête de la polis est la pire erreur qui puisse être commise. Le technicien ne peut pas structurellement viser le bien communautaire de la polis. Et dans le cas précis, après Platon, il y a un risque élevé qu’il se limite à veiller aux intérêts des marchés et de leurs classes.


[1L’université Bocconi de Milan est une université commerciale, bastion de la pensée "libérale".

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