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Réformer l’enseignement professionnel

samedi 13 août 2022, par Robert POLLARD

…« Et rendre le travail plus soutenable » prêchent les bonnes âmes (Le Monde 31/07 & 1/08) plutôt que de s’en prendre aux chômeurs, ils déplorent qu’un tour de vis contre l’assurance chômage soit annoncé. Aux yeux d’un expert de la santé au travail, par exemple François Desriaux qui, s’il analyse clairement les intentions du Président d’accentuer la pression sur les chômeurs, voit aussi le fond des choses : trop de chômeurs d’un côté qui vivent aux dépends de la société, de l’autre des emplois qui ne trouvent pas preneur, position officielle s’entend, du Gouvernement et du Président. Simpliste en conclut Desriaux.

Mais au fond du fond… il se trouve dans Le Monde du même jour, une étude très soignée sur « Comment la réforme du lycée professionnel se prépare », complément indispensable au lamento précédent. Il y est dit, entre-autre, que « Le chef de l’État (Curieuse formulation) veut améliorer l’insertion des jeunes, répondre aux besoins des entreprises et favoriser la synergie avec l’apprentissage  », outre l’apparition d’une sorte de maladie infantile du capitalisme, le corporatisme, qui pointe dans cette déclaration, on apprend que la ministre déléguée a été placée sous la double tutelle des ministères de l’éducation et du travail. En d’autres termes, il est signifié que les entreprises vont dicter (on dit «  synergie » dans leur langage) leurs besoins en quantité d’abord (très important la quantité synergétique) comme en qualité, aux établissements professionnels qui seront supervisés, orientés sur les grands principes de la performance par un sous ministère de l’éducation en liaison directe avec le ministère du travail, à part entière, qui s’occupe des grandes orientations voulues par « le Chef de l’État » lui-même en perfusion permanente avec les grands acteurs du CAC40 et du Medef.

En résumé, ils ont des donneurs d’ordre, un Chef et des courroies de transmission et la « synergie » pour le coup de fouet et entretenir la meilleure entente possible entre tous les “acteurs“ de ce consortium dont les intérêts sont quelquefois contradictoires et concurrentiels. Nécessaire, par conséquent, de présenter quoi qu’il en soit un front commun contre la masse insatiable des salariés revendiquant, capables de faire grève pour une augmentation de salaire, de meilleures conditions de travail comme si nous n’étions pas en période de crise ! Ils le savent pourtant que l’augmentation des salaires est un facteur d’augmentation du taux d’inflation, que de meilleures conditions de travail nécessitent de nouveaux investissements et donc une augmentation des prix et donc d’une augmentation consécutive du taux d’inflation, ils savent tout ça mais rien ne les arrête pour autant, leurs directions syndicales elles-mêmes ne semblent plus pouvoir les contenir très longtemps.

Et puis sont venues ces élections législatives poisseuses, jetant dans l’arène suffisamment de trublions pour augmenter la difficulté d’agir ! Car c’est d’action dont nous avons besoin, pas de discours, pas de morale. Certains se félicitent de voir la démocratie revigorée, d’autres s’inquiètent de constater que le principe des vases communicants fonctionne dans le sens unique droite vers la droite, l’extrême se tenant en embuscade, multipliant les déclarations apaisantes, par la voix de ses élus, proposant de voter pour les “mesures qui vont dans le sens national “, un appel du pied qui garantit l’avenir. De l’autre côté, ayant abandonné la perspective d’une Assemblée constituante élue au suffrage universel, il ne devrait leur rester que les effets de manche… Nous tenons, nous du parti jupitérien en grande faiblesse, le RN en réserve de la Vème République.

Ce discours imaginaire, mais mentalement plausible, sans doute, chez les quelques députés pensants de LREM s’accorderait avec le projet professionnel qui, si j’ai bien compris, est une sorte d’accomplissement quelques vingt années plus tard, de la graine semée sous Lionel Jospin par son ministre délégué à l’enseignement professionnel, Jean-Luc Mélenchon. C’est Mélenchon, nous rappelle Vincent Troger historien, « qui expérimente en 2001 le rapprochement entre le lycée professionnel et l’apprentissage en lançant le label des “ lycées des métiers “ » après en avoir vérifié la fiabilité, notamment dans le fief de Raffarin qui lui apporta confirmation du bien-fondé de sa stratégie et de ses objectifs : rapprocher autant que possible la formation délivrée par l’Éducation Nationale des apprentissages voulus par le patronat. Il fallut donc vingt années pour parvenir à une formulation plus précise du projet. Lequel pourrait très bien se marier avec la réforme globale d’un enseignement qui vise la massification d’une part, et la mise en forme d’établissements élitistes de l’autre. L’un servirait de réservoir de main d’œuvre adaptée aux besoins patronaux, l’autre permettrait un maintien des capacités de direction et d’invention dans différents domaines, en rapport avec les besoins de la haute bourgeoisie.

Jean-Michel Blanquer avait caractérisé ces formations en apprentissage comme des « Harvard professionnels », ce qui stricto sensu ne signifie rien, sinon flatter l’ego de ceux qu’on a livrés au patronat. Probablement un coup d’épée dans l’eau des petites phrases qui ne sera pas entendu ni reçu par les intéressés dans leur grande majorité. Les directions syndicales elles-mêmes sont en désaccord sur la conduite à tenir : se tenir à droite ou combattre à gauche ? Lorsqu’il s’est agi de mettre sous tutelle du ministère du travail celui de l’enseignement professionnel Snetaa-FO et le Snuep-FSU se sont opposés en ces termes (Le Monde 31/07) : « Le Snetaa-FO a salué un “symbole fort“ rappelant qu’il fallait remonter à 2001 pour trouver en la personne de Jean-Luc Mélenchon un ministre délégué se consacrant entièrement au sujet », ils ne s’y sont pas trompés, Mélenchon père spirituel de la doxa. Au contraire, le « Snuep-FSU a estimé qu’une ligne rouge venait d’être franchie, dénonçant le risque qu’un tiers des 650.000 élèves inscris dans ces établissements perdent le statut scolaire pour basculer vers celui d’apprenti — assujetti au lien de subordination a un patron », c’est en effet vers cela que s’oriente la réforme de l’enseignement en général, l’enseignement professionnel pourrait dès lors servir de test.

Tout cela devrait donner l’impression d’avoir été embarqué par l’Histoire, son socle révolutionnaire composé du marbre de la démocratie, son Assemblée nationale, sa démocratie portée sur les fonds baptismaux de 1789 après que les droits féodaux furent abolis, le 4 août durant une nuit parlementaire longue et agitée. La Noblesse s’encanaillait dans les bons sentiments et larguait les amarres, abandonnant une bonne partie de ses droits sous condition de rachat, aussi bon marché fussent-ils, ils restaient inaccessibles au manant, mais parfaitement accessibles au bourgeois tant soit peu averti. Enfin ils renoncèrent à leurs privilèges, à moins qu’ils ne les aient transmis inconsciemment aux futurs dominants qui, aujourd’hui, exercent de droit leurs privilèges comme se déplacer en Falcone pour un oui ou pour un non, quand d’autres auraient du mal à se faire une place dans un bus bondé à 6h30 du matin. Et encore, n’est-ce là que la pointe émergée de l’iceberg. Alors cette Histoire porteuse comment s’en servent-ils à l’occasion ? Avec une relative discrétion, à ma connaissance, comme dans cette chronique de « face à l’Histoire » du Franc- Tireur n°38 intitulée « La fin des privilèges » sous la signature de Jean Garrigues, historien aux multiples fonctions, dont je n’ai rien lu. J’en viens, par conséquent à ne rapporter, sans préjugés, que sur cet écrit face à l’Histoire . Après avoir dressé, dans un enthousiasme contenu, un tableau des renoncements successifs de « nobles éclairés », il note comme en passant, que « l’Assemblée nationale quelque peu effrayés parla Grande peur“ détruit entièrement le régime féodal », cette Grande peur dans les pas de la prise de la Bastille, précise-t-il et voilà qu’en une nuit un Nouveau monde est apparu… Dans sa grande majorité, la Noblesse a la trouille : des châteaux ont été mis à sac, des terriers [1] dévastés, certains châtelains malmenés, bien que faisant la remarque l’auteur ne s’y attardera pas, ce sont les effets sur l’institution parlementaire qui retiennent son attention lui offrant la conclusion : « Ce fut sans conteste la séance parlementaire la plus productive de notre histoire. En une seule nuit, tous les fondements du système seigneurial et de la société d’ordres se sont effondrés et l’on est entré dans un monde nouveau », en une seule nuit à laquelle s’ajoutent les évènements explosifs depuis la prise de la Bastille — que personne ne semblait avoir planifié — en passant par les révoltes paysannes, ce qui fait de cette nuit, la plus longue qu’ait jamais connue le royaume ! Si bien que la dernière phrase est d’une importance évidente autant que mystérieuse quand le professeur Garrigues écrit «  On n’en exige pas autant de notre Assemblée nationale d’aujourd’hui. Mais on pourrait espérer que les révolutionnaires du buzz prennent modèle sur les députés de 1789 et cessent le petit jeu des postures pour radicalement réformer le pays !  » c’est un peu ce que se disaient certains gilets jaunes, accompagnés par des grévistes c’est certain, leur faudrait-il reprendre le mouvement là où il fut interrompu ? Beaucoup y pensent, y travaillent…

Robert Pollard


[1« Un livre terrier, papier terrier ou terrier, est un registre contenant les lois et usages d’une seigneurie, la description des bien-fonds, les droits et conditions des personnes, ainsi que les redevances et obligations auxquelles elles sont soumises »
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