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De quel ordre social a-t-on besoin ?

jeudi 9 février 2023, par Vladimir YEFIMOV

Si on réfléchit à ce qui distingue l’homme du monde des animaux, ce sont les qualités de son cerveau et de ses mains, et l’interaction avec l’aide des langages hautement développés. La nature humaine des gens est révélée si le cerveau et les mains sont impliqués dans des activités créatives et que l’interaction est basée sur la solidarité. Durant presque tout le xxe siècle, les gens de la planète entière ont été impliqués dans la confrontation de deux ordres sociaux : occidental et soviétique [1]. Pourtant ces deux ordres n’ont pas vraiment assuré la réalisation et la révélation de la nature humaine. La créativité menant à la découverte des capacités des gens était inaccessible à la plupart d’entre eux, et l’interaction pour la plupart était basée non pas sur la solidarité, mais sur la soumission des uns aux autres. Un exemple flagrant de privation des gens de leur nature humaine est l’organisation de la production dans les usines automobiles, où chacun effectuait de manière monotone une certaine opération qui lui est assignée, et il n’y avait absolument aucune interaction linguistique entre eux.

Les deux ordres sociaux, occidental ainsi que soviétique, étaient basés sur des idéologies qui ignoraient la nature humaine. Ces deux idéologies ne sont pas axées sur la créativité, mais sur la consommation. L’idéologie occidentale définissait en fait la consommation presque comme le but de la vie, et l’idéologie soviétique incluait la consommation même dans les définitions du socialisme et du communisme : dans le socialisme, tout le monde avait le droit de consommer suivant son travail, et dans le communisme — suivant ses besoins. En Occident, la créativité était accessible à une minorité. Par exemple, Henry Ford, en tant qu’inventeur, a pleinement réalisé son potentiel créatif pour créer des voitures, mais, en tant qu’organisateur de leur production de masse, il a privé ses travailleurs de la réalisation de leur potentiel créatif. Il convient de noter que la réalisation du potentiel créatif des gens peut toutefois se produire dans une variété de conditions : par exemple, en URSS, les ingénieurs arrêtés avaient pleinement réalisé, et avec succès, leur potentiel créatif dans les « charashki » (prisons spécialisées).

L’idéologie occidentale et l’idéologie soviétique ont également ignoré la solidarité. L’idéologie occidentale est en fait l’idéologie de l’individualisme total : au lieu de la solidarité, cette idéologie glorifie la concurrence entre les individus isolés, visant à maximiser leur consommation. La solidarité, qui, dans le christianisme, est définie comme l’amour du prochain comme soi-même, a été complètement exclue de cette idéologie. Et le collectivisme soviétique tant vanté n’était pas en fait une réalisation de solidarité, mais il conduisait à la suppression de la créativité suivant leur propre initiative de tout le monde, ne favorisant que la créativité par commande.

Il est intéressant de noter que, dans l’idéologie occidentale et l’idéologie soviétique, une invention humaine aussi importante que l’argent a été interprétée de manière fausse. L’argent, qui exprime une certaine valeur, donne droit à des biens et services ayant cette valeur. Ce droit ne découle pas du fait que l’argent, y compris les pièces de monnaie en métaux précieux, possède une sorte de substance ayant une valeur intrinsèque, mais du fait qu’il est de facto ce droit fixé dans les règles du fonctionnement du système monétaire en tant qu’institution sociale. Ces règles sont soutenues par l’autorité de l’État (y compris par sa capacité d’utiliser la force) sur le territoire duquel l’argent est émis dans un certain système monétaire, et par la confiance des utilisateurs de ce système monétaire dans cet État. Ces règles sont fixées par l’habitude et la croyance/conviction dans le pouvoir d’achat et de paiement de l’argent de ce système monétaire. Le Dollar, en tant que monnaie internationale, offre aux États-Unis d’énormes avantages : les Dollars, une fois imprimés, donnent à ceux qui les détiennent le droit de recevoir des ressources et des services réels non seulement à l’intérieur des États-Unis, mais également à l’étranger.

La nature du crédit de l’argent (la dette) se manifeste dans le fait que l’argent circule dans une certaine communauté (que l’on peut appeler une communauté de paiement), et il est en fait la reconnaissance de la dette de cette communauté envers les porteurs de l’argent. Pour la monnaie officielle d’un pays, une telle communauté est toutes les personnes physiques et morales opérant sur le territoire de ce pays. Ces « reconnaissances de dette » sont acceptées par les membres de la communauté comme moyen de paiement pour les biens et services qu’ils fournissent parce que chaque membre est convaincu que les autres membres de la communauté accepteront ces « reconnaissances de dette » en échange des biens et services dont ils ont besoin, ce qui remboursera la dette de la communauté à ces membres. Et dans le cas de la monnaie électronique qui prévaut dans les sociétés modernes, l’argent est une « écriture comptable » sur les supports électroniques des mêmes dettes, qui — en particulier avec l’aide des cartes bancaires — sera remboursée lors de la réception des biens ou de l’utilisation des services proposés et rendus.

Sous le socialisme soviétique, la nature du crédit de l’argent (la dette) se manifestait de manière spécifique, car en URSS il n’y avait en gros qu’un seul vendeur, qui était en même temps le seul employeur. L’argent était uniquement d’une grande importance pour les biens de consommation, car le rôle de l’argent dans le mouvement des ressources productives était négligeable : pour les ressources en nature distribuées, pour leur « achat », l’argent était alloué automatiquement par la Banque d’État. Il n’y avait pas de vraie communauté de paiement. Tous les employés des entreprises soviétiques recevaient deux fois par mois de leur seul employeur, l’État, un certain nombre d’unités monétaires (Roubles) sous forme de salaire, généralement sous forme de papier-monnaie et de pièces de monnaie. Après avoir reçu ces « coupons-tickets-jetons universels », les employés des entreprises et des organisations soviétiques achetaient auprès du seul vendeur — l’État — tout ce que ce vendeur offrait à la vente. L’argent reçu par l’employé était essentiellement une preuve de la dette de l’État à cet employé et pouvait être interprété comme des « reconnaissance de dette » normalisée. Lors de l’achat de biens dans les magasins d’État, la dette de l’État envers les employés se trouvait éteinte, et ces « reconnaissances de dette » retournaient à l’État.

Contrairement à l’opinion dominante selon laquelle la prérogative d’émettre de la monnaie appartient exclusivement à l’État, en fait, dans la plupart des pays, une grande partie de la masse monétaire est actuellement produite par des banques privées lors de l’émission de prêts. Et cet argent est produit en privé, on peut dire « à partir de rien » (de simple lignes d’écritures comptables). L’opinion selon laquelle les prêts bancaires sont émis par les banques à partir de leurs dépôts est également absolument fausse. La masse monétaire lors de l’émission de prêts bancaires augmente. Maintenant, imaginez les possibilités de capture de ressources de la communauté qui sont données aux membres qui ont le droit « d’imprimer/d’émettre » des
« prêts/coupons -tickets » pour recevoir des ressources et des services réels circulant dans cette communauté !

L’ordre social occidental est un ordre dans lequel l’argent, dont la nature est décrite ci-dessus, est la principale source de pouvoir. C’est pourquoi j’ai proposé d’appeler cet ordre « l’ordre social monétaire ». La première tâche des idéologues de l’ordre social monétaire était de saper l’idéologie de l’origine divine de la monarchie héréditaire. Auparavant, le protestantisme apportait une contribution importante au soutien idéologique à l’émergence d’un ordre social monétaire. En fait, dans la rhétorique de l’église protestante, la notion de péché a été abolie : entrer au paradis après la mort a cessé d’être associé à un bon comportement pendant la vie terrestre et est devenu une grâce pour les élus prédestinés, dont on déclarait que le signe d’appartenance était le succès dans les affaires conduisant à la multiplication de la richesse.

En Russie, l’idéologie de l’origine divine du pouvoir des Tsars a fonctionné avec succès jusqu’au début du xxe siècle. Les paysans russes pieux croyaient profondément que leurs propriétaires fonciers servaient l’oint de Dieu, d’où découlait leur devoir de servir les propriétaires fonciers sans réserve. De plus, le concept de Moscou–troisième Rome adopté par le peuple russe justifiait le rôle messianique de l’État russe et de son peuple orthodoxe. Nikolai Berdyaev a qualifié le système soviétique comme un système de servage, et le concept du communisme, dont la mise en œuvre sur terre visait les activités de la Troisième Internationale, était comme la continuation du messianisme russe. La guerre froide déclenchée par l’Occident contre l’URSS peut être considérée comme une réponse à ce messianisme. Cette guerre, dans laquelle les philosophes et les économistes, ainsi que les médias et les services de renseignement, ont été activement impliqués des deux côtés, a apporté la victoire à l’Occident : les États-Unis ont vaincu l’URSS en 1991 sans un seul coup de fusil par le rêve du peuple soviétique du bien-être matériel et l’imposition d’une idéologie qui « expliquait » ce bien-être.

Profitant de cette victoire, l’Occident a tenté d’imposer à la Russie l’ordre social monétaire qui la privait essentiellement de sa souveraineté. Il était difficile pour le peuple russe d’accepter un tel tournant dans son destin. Arrivé au pouvoir grâce à un certain nombre de circonstances subjectives, Vladimir Poutine est devenu le porte-parole de ce désaccord, d’où son soutien par une partie assez importante de la population. L’ordre social russe moderne est né et s’est consolidé d’une part grâce à l’inertie de l’héritage institutionnel de la fin de l’ère soviétique, et d’autre part grâce aux efforts des États-Unis et de leurs alliés pour établir un ordre mondial unipolaire, ainsi enfin que grâce au rôle de la Russie en tant que puissance mondiale dans les domaines du gaz et du pétrole. À la fin de l’Union soviétique, les réseaux sociaux sont devenus des éléments importants de sa structure institutionnelle : l’un d’eux, après l’effondrement de l’URSS, était un réseau de « tchéquistes » (membres actifs et retraités du KGB), dont beaucoup ont conservé leurs convictions de servir l’État. Après avoir dirigé et réorganisé le FSB (nouvelle appellation du KGB), Vladimir Poutine est automatiquement devenu le chef à la tête de ce réseau qui, après son élection en tant que président de la Russie, a grandement contribué à l’établissement dans le pays de l’ordre social de Poutine, que je qualifie d’« ordre social patronal ». Contrairement à l’ordre social soviétique, la communauté de paiement au sein de cet ordre social existe bien, mais le potentiel de l’institution de la monnaie, en tant qu’outil puissant d’interaction, est utilisé de manière très inefficace, tant sur le plan social que sur le plan économique.

L’ordre social patronal est un ordre social dans lequel des personnes sont hiérarchiquement liées, et dont la verticale est basée sur le sentiment de confiance des supérieurs envers les inférieurs et le devoir de fidélité inconditionnelle des inférieurs envers leurs patrons. Le recrutement fondé sur le principe de la fidélité inconditionnelle à ceux qui le font conduit presque inévitablement à la promotion de personnes moins efficaces dans l’exercice de leurs fonctions et à la sélection de personnes moins compétentes et moins socialement motivées. L’argent dans cet ordre social, sans être la principale source du pouvoir, joue néanmoins un rôle important, y compris sous la forme d’un motif d’obtention d’un poste ou d’une position sociale. L’ordre social patronal, en raison de sa faible efficacité économique et sociale, ne peut exister qu’avec un appareil répressif puissant et un niveau d’aspirations assez faible de la population.

Il est intéressant de noter que depuis son arrivée au pouvoir, Vladimir Poutine a subi une évolution idéologique assez radicale. Tout d’abord, fervent partisan de l’ordre social monétaire, il n’a pas posé la question d’une éventuelle révision des résultats inéquitables de la privatisation et il a formellement maintenu le système politique électoral vicieux adopté au sein de l’ordre social monétaire. Cependant, assez rapidement, il a mis en œuvre l’adaptation du système oligarchique et du système électoral pour renforcer son pouvoir personnel. Les oligarques d’Eltsine sont restés oligarques seulement s’ils n’étaient pas dans l’opposition à Poutine. La cohorte d’oligarques de Eltsine s’est complétée par les oligarques de Poutine nommés parmi les personnes fidèles au Président. Le système politique électoral a été ajusté en « apprivoisant » les partis politiques préexistants et complété par les procédures de fraude électorale inavouées. Face à un mouvement de protestation assez massif contre ces fraudes en 2012, il s’est rendu compte que non seulement le renforcement de l’appareil répressif devait servir à la préservation de son pouvoir personnel, mais aussi ce renforcement devrait être accompagné d’importants ajustements idéologiques. Son expérience sur la scène internationale a également contribué à ce changement. Dans les premières années de son règne, il envisageait l’adhésion de la Russie à l’OTAN [2]. Après avoir hérité d’Eltsine sa place dans le G8 occidental, il s’est rapidement rendu compte de sa position de subordonné en tant que représentant de la Russie, ce qui l’a conduit à son discours de Munich et à sa sortie du G8.

Il a introduit ses innovations idéologiques dans deux directions. En fait, le rôle idéologique de l’Église orthodoxe russe, qu’elle jouait dans la Russie tsariste, a été restauré, et les ouvrages de l’idéologue fasciste Ivan Iline ont commencé à être propagés de toutes les manières possibles.

En 1948, après la défaite du national-socialisme allemand et du fascisme italien, Iline s’est permis d’écrire dans l’article « Sur le fascisme » ce qui suit : « Le fascisme est un phénomène complexe, multilatéral et, il a, historiquement parlant, loin d’avoir survécu. Il est à la fois sain et malade, ancien et nouveau, le garde de l’État et son destructeur… Le Fascisme est né en réaction au Bolchevisme, en tant que concentration des forces de la protection de l’État à droite… S’opposant au totalitarisme de gauche, le fascisme a ensuite eu raison, car il cherchait des réformes sociales et politiques justes… Enfin, le fascisme a eu raison, car il est issu d’un sentiment national et patriotique sain, sans lequel aucun peuple ne peut affirmer son existence, ni créer sa culture. Cependant, parallèlement à cela, le fascisme a commis un certain nombre d’erreurs profondes et graves qui ont défini sa physionomie politique et historique, et ont donné au nom lui-même cette couleur odieuse que ses ennemis ne se lassent pas de souligner. Par conséquent, pour les futurs mouvements sociaux et politiques de ce type, il faut choisir un autre nom ». Poutine a suivi ce conseil d’Iline, et a appelé son idéologie simplement « patriotisme ». L’idéologue non officiel du régime de Poutine, Alexandre Douguine, est devenu un partisan des idées du fascisme italien. En 1997, dans l’article « Fascisme sans limites et rouge », Douguine écrivait : « Il y a des pays libéraux, il y a des pays communistes et il y a des pays fascistes (nationalistes). Il n’y en a pas d’autres. Et il ne peut pas y en avoir d’autres. En Russie, nous avons traversé deux étapes idéologiques — le communiste et le libéralisme. Reste le fascisme ». La même année, Douguine publie un livre intitulé « Fondamentaux de géopolitique : l’avenir géopolitique de la Russie ». Apparemment, après avoir commencé sa guerre en Ukraine (« l’opération spéciale militaire »), Vladimir Poutine essaie de mettre en œuvre cet « avenir géopolitique ». Deux sections de ce livre (« Le problème de l’Ukraine souveraine » et « La décomposition géopolitique de l’Ukraine ») peuvent être considérées comme une justification idéologique de la future guerre de la Russie contre l’Ukraine.

La guerre de la Russie avec l’Ukraine (ou ladite « opération spéciale militaire ») est en fait une guerre par procuration des États-Unis/OTAN/Occident avec la Russie, c’est-à-dire qu’elle peut être appelée « la guerre de l’ordre social monétaire avec l’ordre social patronal ». Cette guerre confirme une fois de plus le lien entre l’ordre social monétaire et les guerres visant à s’emparer des ressources et des marchés d’autres pays, ainsi que son lien avec sa position dominante dans l’ordre mondial. En ce qui concerne l’ordre social patronal, la conduite au début de la guerre des opérations militaires sur le front et la manière dont elles ont été accompagnées à l’arrière reflètent peut-être mieux qu’en temps de paix l’inefficacité de cet ordre, dans lequel les cadres sont choisis non pas en fonction de leur compétence, mais en fonction de leur fidélité à ceux qui les choisissent.

Le mensonge le plus insidieux est celui dans lequel le mensonge est mélangé avec la vérité. Dans les discours de Poutine et de son appareil de propagande, l’affirmation que la guerre en Ukraine est un affrontement entre l’Occident et la Russie est vraie. C’est grâce à cette idée que cette guerre reçoit le soutien d’une assez grande partie de la population russe. Le leadeur de l’Occident est les États-Unis qui portent actuellement le principal fardeau de l’aide militaire et financière à l’Ukraine. C’est donc non sans raison que de nombreux Russes considèrent cette guerre comme une guerre de la Russie avec les États-Unis.

Et il est clair que « l’objectif américain est d’affaiblir la Russie jusqu’au bout » [3]. On peut voir le début de la préparation de cette guerre par les Anglo-Saxons dès 2004 avec l’élection en Ukraine du Président Iouchtechenko dont l’épouse était agent de la CIA [4]. Depuis cette époque, les États-Unis ont renforcé et armé les néonazis en Ukraine [5], néonazis qui servaient à propager l’hostilité envers la Russie dans ce pays et à le préparer idéologiquement et militairement pour la future guerre avec celle-ci [6].

La guerre entre les États-Unis/l’OTAN avec la Russie sur le territoire de l’Ukraine, qui a donc été préparée depuis longtemps par les Américains, était inévitable, mais Poutine a commis une grave erreur en la lançant en premier, subissant ainsi immédiatement une défaite morale en assumant le rôle d’agresseur. Cette action n’a fait que jouer en faveur des néonazis ukrainiens avec leurs déclarations sur la Russie en tant qu’ennemi juré de l’Ukraine : maintenant, sur la base du fait de l’agression, ils peuvent dire qu’ils avaient raison. Avant cette action de Poutine, l’autorité de l’OTAN dans les pays de l’Union européenne tombait, et la question de la création d’un système de défense européen indépendant des États-Unis était posée. Maintenant, la confiance des membres de l’OTAN dans son chef américain a augmenté. Les résultats négatifs de cette agression pour la Russie sont, entre autres choses, le renforcement de l’identification nationale des Ukrainiens basée sur la russophobie et le renforcement de l’influence de l’OTAN sur l’Ukraine, dont les membres font maintenant preuve d’une solidarité sans précédent.

Il me semble que l’ordre social postsoviétique ukrainien avant l’agression de Poutine était à bien des égards similaire à l’ordre social russe des années 1990 : le même pouvoir des oligarques qui capturaient de manière douteuse les richesses nationales du pays, la même influence de l’Occident — en premier lieu des Américains — sur la politique intérieure et étrangère du pays, et la même montée, bien que plutôt marginale, des adeptes des tendances politiques d’extrême droite (en Russie, suivi du modèle du fascisme italien, et en Ukraine du nazisme allemand).

En Russie, en ce qui concerne l’extrême droite, il s’est passé quelque chose de très différent qu’en Ukraine : ce ne sont pas les organisations d’extrême droite (comme Secteur droit et Corps national/Azov) et leurs dirigeants qui ont obtenu de l’influence (il ne pouvait pas être question de leurs détachements armés en Russie [7]), mais leurs idées. Peu à peu, avec l’avancée de l’OTAN vers l’Est et son approche des frontières russes, l’influence des idées de l’extrême droite fasciste russe sur le président Poutine n’a fait que s’intensifier [8]. Poutine a évolué dans ses préférences politiques, passant du désir d’adhérer à l’OTAN à la confrontation militaire entre la Russie et les États-Unis dans le monde entier. En ce sens, on pourrait dire que le Poutine, qui a attaqué l’Ukraine, est en grande partie le produit de la politique américaine.

Avant le 24 février 2022, il y avait un certain nombre d’incertitudes dans la définition de l’identité nationale des Ukrainiens, l’une de ces incertitudes tenant à leur attitude envers leur passé soviétique. Certains d’entre eux — principalement à l’ouest de l’Ukraine — le considéraient comme une occupation russe ; d’autres — majoritairement à l’est — n’étaient pas du tout d’accord avec cela. L’invasion russe a poussé ce désaccord à la périphérie des préoccupations des Ukrainiens presque partout dans le pays, et actuellement l’élément déterminant de l’identité nationale ukrainienne est devenu leur désir commun de défendre leur indépendance vis-à-vis de la Russie et leur réticence à voir chez eux l’ordre social existant dans la Russie actuelle.

La guerre montre que les ordres sociaux existants, à la fois en Occident, en Russie et en Ukraine, devraient être remplacés par ceux qui correspondent bien mieux à la nature humaine, les changements à apporter devant être fondés sur une idéologie qui privilégie la créativité et la solidarité plutôt que la consommation ou une idéologie basée sur la violence au service du maintien au pouvoir de quelques-uns et l’asservissement de la grande majorité de la population.

Après la fin de la Seconde Guerre mondiale dans laquelle l’URSS a joué un rôle crucial, l’autorité du marxisme en Occident en tant qu’idéologie soviétique officielle était très élevée, en particulier en France et en Italie. Après la disparition de l’URSS, cette autorité a fortement chuté. Il y a encore beaucoup de gens qui associent le marxisme dans leur analyse des ordres sociaux existants et qui aimeraient fonder à nouveau la réforme de ces ordres sociaux sur cette idéologie. On peut aisément démontrer que le recours au marxisme est totalement improductif.

Marx était contre non seulement le capitalisme, mais aussi contre l’existence de communautés de paiement, c’est-à-dire contre, si on utilise sa terminologie, la production marchande en général, dont le rejet signifie en réalité l’abolition de l’existence de l’institution de la monnaie. Il ressort de ses « Manuscrits de 1844 (économie politique & philosophie) » qu’il était également opposé au travail salarié en général, car il y voyait la cause de « l’aliénation » (en allemand : « Entfremdung »).

L’Union soviétique fut un bon laboratoire pour tester ces idées. La production marchande est étroitement liée à l’institution de la monnaie : les produits sont fabriqués et vendus, et les services sont effectués et fournis pour de l’argent, ces coupons-tickets-jetons universels. Sous le socialisme soviétique, construit sous Staline, l’universalité de ces coupons-tickets-jetons s’est trouvée fortement limitée. Staline constatait à juste titre que la portée de la production marchande en l’URSS était « limitée aux objets de consommation personnelle ». C’est un changement radical qu’a subi également la communauté de paiement sous le socialisme soviétique ; on peut même dire que pratiquement la communauté de paiement avait cessé d’exister puisqu’elle avait été remplacée par l’État. La conséquence de cela était que, sans la nécessité vitale de confirmer par l’achat la nécessité des produits fabriqués, les entreprises soviétiques produisaient souvent des produits qui n’étaient pas en demande. D’autre part, elles ne produisaient pas, et parfois elles ne savaient tout simplement pas produire, ce qui était très demandé par la population. Les tentatives d’imposer aux dirigeants soviétiques des entreprises du complexe militaro-industriel la fabrication de produits de consommation n’ont pas résolu le problème de la pénurie chronique desdits produits de consommation.

L’État, en tant qu’employeur universel et unique, s’est également révélé très inefficace. La faible productivité du travail, voire la simple esquive du travail, était une conséquence courante du manque de responsabilité des employés envers leur employeur, ce qui a contrario est vital pour l’exécution rapide et qualitative du travail par le salarié. À l’époque soviétique, l’expression suivante était très populaire : « L’État fait semblant de nous payer, et nous faisons semblant de travailler ». Le gouvernement a essayé d’encourager le travail en augmentant les salaires. Cependant, en l’absence de biens en demande dans les magasins, cela a conduit à une accumulation d’argent chez la population, c’est-à-dire à une augmentation de la dette de l’État envers celle-ci (c’est-à-dire envers presque toute la population active), à qui l’État donnait deux fois par mois un paquet de « reconnaissances de dette de l’État » sous forme de salaire. La libération ou l’effacement de ces dettes accumulées par l’État — c’est-à-dire le retour de l’argent reçu sous forme de salaire (dettes) à l’État — dans les conditions d’absence de biens en demande dans les magasins, est devenu de plus en plus difficile. Sous Staline, cela a été partiellement résolu par l’imposition de prêts publics à la population. Plus tard, la couverture partielle du déficit, et ainsi la libération d’une partie de ces dettes de l’État, a été réalisée par l’achat de marchandises étrangères par les organisations soviétiques de commerce extérieur qui ont acheté ces marchandises étrangères en utilisent des fonds en devises fortes provenant de la vente de pétrole. Pourtant à cause de la chute des prix du pétrole, cette source de couverture du déficit était pratiquement épuisée à la fin de l’existence de l’URSS.

Marx avait caractérisé la réalité socio-économique sur la base de la notion des « rapports sociaux », en particulier des « rapports de production », les rapports sociaux étant compris comme le cadre des interactions sociales. Dans l’institutionnalisme, un tel cadre est concrétisé sous la forme des règles d’interaction sociale. L’ensemble de ces règles applicables à certains types d’interactions est appelé « institution », d’où est tiré le nom de cette direction scientifique. Les règles selon lesquelles les interactions sociales se produisent sont une source de régularité sociale. En connaissant ces règles, les personnes agissant dans une société peuvent anticiper et coordonner le comportement des uns et des autres, et les chercheurs peuvent comprendre les différents phénomènes sociaux de cette société. Les règles peuvent être formelles, fixées par écrit, et/ou informelles, fixées par la tradition.

Dans les règles de l’interaction, c’est le pouvoir qui se manifeste. Le pouvoir d’une personne, d’un groupe ou d’une classe sur d’autres personnes, groupes ou classes est la possibilité d’influencer leur comportement. L’institutionnalisme met beaucoup d’accent sur la manière dont les institutions répartissent le pouvoir de manière inégale entre les différents groupes sociaux. Au lieu d’un monde où les individus contractent librement, les institutionnalistes voient un monde où les institutions donnent trop d’accès dans le processus décisionnel à certains groupes ou intérêts. Au lieu de chercher dans quelle mesure une situation donnée profite à tous, ils insistent sur le fait que certains groupes sociaux peuvent être gagnants et d’autres perdants.

Parmi les rapports sociaux, Marx, à la suite d’Adam Smith, accorde une attention particulière à la relation d’échange d’un produit à l’autre. Mais cette relation est en grande partie purement spéculative, car les recherches des anthropologues montrent que l’économie de troc n’a jamais vraiment existé nulle part [9]. Mais à partir de cette relation d’échange, en suivant également Smith, Marx explique l’émergence de l’argent. Puis, déjà sans s’appuyer sur Smith, il caractérise la transformation de l’argent en capital et arrive à son but ultime, à savoir de montrer le contenu de l’exploitation des travailleurs embauchés par leurs employeurs-capitalistes en s’appropriant une plus-value. Si vous abandonnez cette conception fictive, la construction théorique réalisée dans le premier volume du « Capital » s’effondre. Il faut dire que le mot « exploitation » a acquis une signification très négative par les écrits de Marx. Cependant, en Français par exemple, l’exploitation agricole signifie « entreprise agricole », et en France la plupart de ces entreprises sont purement familiales et n’emploient pas de travailleur salarié. Pour faire la critique du capitalisme moderne dans lequel l’argent est la principale source de pouvoir, il serait plus correct de mener l’analyse non pas sur la base de la notion d’« exploitation », mais sur la base de la notion de « pouvoir ». L’excès de pouvoir des riches — leur abus de ce pouvoir — est actuellement le principal problème politique de l’Occident. En ce sens, les pays occidentaux et un grand nombre de pays non occidentaux exigent des changements institutionnels de nature proche d’une véritable démocratisation qui va bien au-delà d’un système électoral représentatif.

Pour ceux qui souhaitent promouvoir un ordre social équitable, il est très important de comprendre la vraie nature de la monnaie, et les mécanismes de leur production et de leur fonctionnement. Considérer l’argent comme une marchandise contribue peu à une telle compréhension. Pourtant Marx, toujours suivant l’exemple de Smith, était un fervent partisan de la théorie marchande de la monnaie. Voici ce qu’il écrit dans le premier volume de son livre « Le Capital » : « La première fonction de l’or est de fournir au monde des marchandises la matière de son expression de valeur, ou de représenter les valeurs des marchandises comme des grandeurs homonymes, de qualité identique et comparables en quantité. Il fonctionne donc comme mesure universelle des valeurs, et c’est seulement en vertu de cette fonction que l’or, marchandise-équivalent spécifique, est d’abord devenu monnaie. Ce n’est pas la monnaie qui rend les marchandises commensurables. C’est l’inverse. C’est parce que toutes les marchandises sont, en tant que valeurs, du travail humain objectivé, et qu’elles sont, pour cette raison, commensurables, qu’elles peuvent collectivement mesurer leurs valeurs dans une seule et même marchandise spécifique et, par là-même, transformer cette dernière en leur mesure de valeur collective, en monnaie. La monnaie en tant que mesure de la valeur est la forme phénoménale nécessaire de la mesure immanente de la valeur des marchandises, c’est-à-dire du temps de travail ». Le point de vue alternatif sur la monnaie, à savoir que la monnaie n’est pas une marchandise, mais une institution, c’est–à-dire l’ensemble de certaines règles d’interaction, a bien été démontré ci-dessus. Passons maintenant à un autre concept essentiel utilisé par Marx, le concept de propriété.

La propriété d’un individu ou d’une organisation sur un certain objet, qui peut aussi être un moyen de production, est le pouvoir de cet individu ou de cette organisation par rapport à cet objet sur tous les autres qui ne sont pas propriétaires de cet objet. Ce pouvoir est institutionnalisé sous la forme de règles régissant l’accès à cet objet et son utilisation. Et ces règles ne permettent pas nécessairement l’utilisation arbitraire par le propriétaire de son bien. Par exemple, si un terrain est classé par les autorités locales comme terre agricole, le propriétaire ne peut pas construire une maison d’habitation sur ce terrain. En principe, les règles qui sous-tendent la propriété peuvent changer radicalement, et pas nécessairement seulement par nationalisation. Par conséquent, la disposition de Marx selon laquelle « la nature des rapports de production dépend de la propriété des moyens de production » n’est vraie que dans le cas des droits exclusifs, sans restriction, du propriétaire sur sa propriété des moyens de production, en particulier des règles de connexion de la main-d’œuvre avec ces moyens de production. Des restrictions minimales, telles que le salaire minimum fixé par la législation nationale, existent depuis longtemps dans bien des pays et, dans le cadre d’un ordre social équitable, les règles régissant la propriété des moyens de production doivent être considérablement modifiées en faveur à la fois des travailleurs qui utilisent ces moyens de production (par exemple, leur participation aux bénéfices de l’entreprise) et de ceux qui utilisent les produits ou services (par exemple, au moyen de normes de qualité).

Comme mentionné ci-dessus, le problème qui existe dans l’ordre social occidental est que la source la plus importante, sinon principale, du pouvoir est l’argent. Par conséquent, la position exprimée par K. Marx et F. Engels dans leur « Manifeste du parti communiste » reste fondamentalement vraie, que « le gouvernement moderne n’est qu’un comité administratif des affaires de la classe bourgeoise ». Bien comprendre la monnaie en tant qu’institution sociale met facilement en lumière cette position.

La vérité marxiste élémentaire considère que « l’état des rapports de production montre comment les moyens de production et, par conséquent, les biens matériels produits par les hommes sont répartis entre les membres de la société ». En fait, les biens matériels entre les membres de la société sont répartis sur la base de relations de pouvoir, souvent au-delà de la relation de propriété des moyens de production. Imaginez qu’un capitaliste possède les locaux et l’équipement d’une usine, mais n’a pas d’argent pour embaucher de la main-d’œuvre. La situation à grande échelle est impensable, car la bourgeoisie, représentée par son groupe le plus influent, à savoir les banquiers, produit elle-même, sous la forme de prêts, la majeure partie de la masse monétaire. C’est le besoin des travailleurs d’avoir de l’argent pour vivre qui les oblige aller se faire embaucher par les capitalistes. Ainsi, le pouvoir de la bourgeoisie sur les travailleurs est basé non seulement et non pas tant sur leur propriété des moyens de production, mais sur la disponibilité pour eux d’une grande quantité d’argent, c’est-à-dire d’une grande quantité de ces coupons universels-tickets-jetons pour obtenir les produits vitaux pour ces travailleurs. Et le pouvoir de cette bourgeoisie s’applique non seulement aux ouvriers, mais à presque toute la population du pays, y compris les politiciens et les journalistes, ainsi que les dirigeants des institutions de l’État. Les mécanismes d’une telle subordination du monde entier à l’argent sont maintenant parfaitement développés et ne sont pas nécessairement liés à la corruption directe dans sa forme classique. Le milliardaire américain d’origine hongroise George Soros, qui n’a pratiquement aucun moyen de production dans sa propriété, a influencé avec succès la politique intérieure de ce pays et a influencé pendant un certain temps ce qui se passait dans la Russie postsoviétique. Pour priver la bourgeoisie de ce pouvoir absolu qui découle de l’institution existante de la monnaie, même si elle a la propriété des moyens de production, et également pour remettre cette institution sociale au profit du peuple, ou en d’autres termes au profit de larges masses de la population, il est nécessaire de mettre en œuvre des procédures de contrôle populaire sur l’ensemble de ces flux financiers, ce qui actuellement, avec le caractère de plus en plus électronique de l’argent, est techniquement tout à fait réalisable.

Maintenant, à mon avis, le slogan suivant serait pertinent : « Intellectuels de tous les pays, unissez-vous pour élaborer les règles d’un ordre social qui serait une alternative humaniste aux ordres sociaux occidentaux et autoritaires ».

La première étape dans la construction d’un ordre social équitable consisterait à passer à la monnaie souveraine, c’est-à-dire que les banques privées devraient être dessaisies des droits d’émission de monnaie, et que cette émission devrait devenir le monopole des banques centrales. Cependant, pour la souveraineté réelle de la monnaie, le peuple — c’est–à–dire le souverain inscrit dans la Constitution (le pouvoir suprême) et sa partie la plus active, le public — devrait avoir accès à la gestion des flux financiers. Cette gouvernance ne peut être assurée que dans le cadre d’un système développé de démocratie délibérative, qui doit compléter la démocratie représentative et pénétrer dans tous ses pores.

La démocratie délibérative suit la tradition athénienne et prend comme modèle la cour d’assises. Si une décision est prise à l’échelle nationale ou même régionale, la discussion lors de réunions en face à face de tous les votants devient impossible, mais la discussion sur un sujet donné, parmi disons pas plus de 1000 personnes sélectionnées parmi les citoyens impliqués choisis au hasard (par tirage au sort), comme cela a été fait à Athènes au Ve siècle avant notre ère, une telle discussion sur, par exemple, une semaine devient possible. Cet ensemble de citoyens tirés au sort est en quelque sorte un modèle de toute la société (dans tout le pays ou dans une région donnée). Un vote sans discussion institutionnalisée — c’est-à-dire obligatoire et organisé selon certaines règles — présente actuellement de nombreux défauts, tels que le manque de connaissances par les citoyens, la manipulation des votants par les médias engagés, le mépris des opinions et des positions des votants, etc. L’accession au pouvoir du peuple ne pourra s’effectuer que par l’élargissement progressif des compétences lors de réunions délibératives, c’est-à-dire des réunions au cours desquelles des débats auront lieu dans le but de prendre des décisions dans des entités provisoires, semblables aux réunions de jurés créées pour résoudre des questions bien définies, dont les membres sont choisis au hasard parmi les citoyens. Dans cette démocratie, les partis politiques seront remplacés par des associations temporaires de citoyens qui participeront activement aux débats et à la prise des décisions politiques. Dans une telle démocratie, la nationalisation totale des banques et des entreprises serait inutile pour protéger les intérêts de la majorité des citoyens.

Dans l’intérêt des citoyens, en conservant la monnaie comme moyen efficace d’interaction et de coordination des activités des entreprises, il est nécessaire de priver l’argent de sa capacité à devenir une source de pouvoir, qui découle de sa grande disponibilité chez certains individus et certaines organisations. Cela peut être fait en privant l’argent de sa fonction d’accumulation de richesse : au lieu de payer des intérêts pour le stockage de l’argent sur les dépôts dans les banques, un tel stockage devrait être facturé proportionnellement au montant stocké couvrant ainsi les frais pour un tel stockage. Dans ce cas, il ne sera pas rentable de stocker l’argent et ainsi de le retirer de la circulation, mais de l’utiliser uniquement comme un moyen d’interaction et de coordination. Ayant de l’argent, les gens s’efforceront de le dépenser le plus rapidement possible pour leurs besoins et de le mettre ainsi en circulation.

Actuellement en France, la Gauche se bat pour le pouvoir, mais avant de se battre seulement pour le pouvoir, il conviendrait de se battre surtout pour l’homme. Tant que la plupart des citoyens ne changeront pas leurs habitudes d’agir et d’interagir, rien de bon ne pourra se produire. Il est clair qu’un changement radical des habitudes ne peut se produire du jour au lendemain, mais il faut penser aux générations suivantes, et il faut bien comprendre que des changements radicaux dans le domaine de l’éducation sont d’une importance capitale à mettre en place.

Cette nouvelle éducation devra faire en sorte que le débat collectif et les décisions collectives qui s’en inspirent puissent voir le jour et qu’elles prévalent. Ces discussions conduiront à des décisions menées par des citoyens choisis au hasard et, comme dit précédemment, suivant le modèle de prise de décision par les jurés devant les tribunaux, ces discussions devront devenir universelles pour toutes les décisions sociopolitiques et économiques importantes. Avant de voter (« coupable » ou « innocent »), les jurés devant les tribunaux examinent longuement les résultats de l’enquête policière, puis discutent longuement entre eux de ces résultats et d’autres éléments liés au crime commis et à l’identité de l’accusé. Les nombreuses expériences menées en application de la démocratie délibérative et organisées selon le modèle des jurys montrent qu’après les débats, les participants changent souvent leur avis pour un avis contraire. Avant de voter sur toutes les questions sociopolitiques et économiques importantes, il sera nécessaire de discuter collectivement, d’échanger collectivement les connaissances et les expériences, et c’est ce qui sera un élément essentiel pour l’avenir de la vraie démocratie. Ceux qui veulent changer quelque chose dans le système actuel doivent stimuler et guider l’activité des gens à agir collectivement d’une manière nouvelle, afin de contribuer à un changement collectif des habitudes d’action et des interactions existantes, et de participer au processus collectif d’apprentissage des nouvelles générations à vivre d’une manière nouvelle.


[1Un ordre social est un ensemble d’institutions d’un pays. L’institution, à son tour, est un ensemble de règles formelles et informelles installées dans une société. On parle de l’institutionnalisation si les règles sont suivies par les membres de la société par habitude.

[6Les réponses aux contestations éventuelles des informations contenues dans ce paragraphe peuvent être trouvées ici : https://la-sociale.online/spip.php?article915.

[7Le groupe Wagner est une société militaire privée (SMP) et pas un mouvement politique d’extrême droite.

[9David Graeber (2013) Dette : 5000 ans d’histoire. Éditeur Les Liens Qui Libèrent