Il suffit de parcourir une rue de quelque ville de France, lever les yeux et lire le nom de différentes enseignes de commerce pour constater que nombre d’entre elles portent des appellations anglicisantes. Signe des temps comme celui où, dans de grandes entreprises, l’anglais devient presque une obligation pour rédiger des reporting, participer à des meetings voire à certaines formations professionnelles afin, par exemple, d’acquérir des soft skills (compétences « relationnelles ») [1].
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L’intrusion marquée de l’anglais dans de nombreux domaines d’activité, nous vient du monde managérial, de l’entreprise capitaliste dirigée par des détenteurs de capitaux, des actionnaires de contrôle et des cadres supérieurs, acquis au modèle du capitalisme prééminent : celui du monde anglo-américain. Cela relève d’une logique de domination où l’utilisation, l’emprunt de plus en plus intense de mots, d’expressions d’une langue au regard d’une autre – en l’occurrence l’anglais par rapport au français- est le reflet de rapports de force politiques et géopolitiques.
L’UE, subrepticement, sous la houlette d’Ursula von der Leyen, présidente de la Commission de Bruxelles, impose de plus en plus l’anglais comme seule langue de travail. Rappelons qu’au sein des institutions de l’UE, sont reconnues théoriquement comme langues officielles de travail, les langues parlées des pays membres. Ce principe est de plus en plus bafoué, ce qui dénote un tropisme atlantiste prononcé à Bruxelles. La perte d’indépendance de la France, par un total et égal alignement atlantiste, a pour conséquence, un alignement linguistique, ce que l’on peut constater de plus en plus ces derniers temps. [2]
C’est dire l’enjeu. Aussi défendre la langue française n’a-t-il rien à voir avec la xénophobie, un esprit chauvin ou un nationalisme ou encore avec ce que d’aucuns s’empressent de taxer d’anti-américanisme. Résister contre ce phénomène est aussitôt vilipendé, assimilé à un esprit retardataire, un has been et comme l’Union européenne est largement anglicisée, est alors réputé « anti-européen » (de quelle Europe s’agit-il ?) tout acte allant contre ce mouvement, celui de défendre sa langue.
Se battre pour sa langue est synonyme de préservation de la richesse culturelle des peuples, des nations et de leur indépendance. Lutter contre ce qui s’apparente bel et bien à un colonialisme linguistique (le tout anglais) revient à penser aussi ce combat en termes de lutte de classe, de combat politique. Tout combat anticapitaliste doit être mené de conserve avec celui visant l’hégémonie linguistique qu’impose le monde capitaliste.
Par ailleurs, il faut bien être conscient que la juste défense des langues régionales – qui comptent dans la richesse des expressions humaines – ne doit pas être instrumentalisée à des fins ethnicistes, ce que sous-tend le projet de la charte européennes des langues régionales qui correspond, en fin de compte, au projet de la disparition des états-nation, mais surtout à celui de la perte de la souveraineté populaire qui se confond avec la souveraineté nationale. Le sujet humain n’est alors plus considéré comme citoyen relevant de la République, n’est plus un sujet politique au sein de cette dernière, mais est renvoyé à ce qui est propre (entre autres) à l’extrême-droite : un essentialisme identitaire. C’est ce qui a lieu lorsque ce dernier tend à opposer l’alsacien (et se variantes), le breton, l’occitan etc., au français. Or, dans cette dynamique, il en serait des langues régionales comme du français : elles seraient marginalisées face au rouleau-compresseur de l’anglo-américain.
Globalement, ce qu’il est convenu d’appeler la gauche ne semble pas réaliser ce qui se joue en ce moment : la dépréciation de la langue de la République (constitutionnellement inscrite). Elle confond nationalisme avec patriotisme républicain et universaliste, universalisme qui n’efface en rien les traits singuliers de la diversité et vice-versa. Elle ne sait plus ce que signifie inter–nationalisme, c’est-à-dire la coopération respectueuse et équitable entre les peuples, entre les nations et, en l’occurrence, en ce qui concerne leur culture dont le premier vecteur d’expression et de transmission est la langue. Elle serait bien inspirée de relire ou lire ce que disait Jean Jaurès : « Un peu d’internationalisme éloigne de la patrie ; beaucoup d’internationalisme y ramène. Un peu de patriotisme éloigne de l’Internationale ; beaucoup de patriotisme y ramène ».
Certains de cette gauche qui défendent l’écriture inclusive, aberration qui ne revêt aucun caractère scientifique du point de vue de la linguistique - d’autant plus au regard de la langue française dont l’oralité est assez éloignée de l’écrit -, qui promeuvent cet objet, feraient peut-être mieux de réaliser ce vers quoi le capital nous emmène sur le plan linguistique, lequel correspond à ses objectifs de domination économique, pour l’heure encore, comme dit plus haut, la domination économique capitaliste anglo-américaine. Il leur serait opportun de lutter contre l’impérialisme linguistique qui tend à reléguer, pour le moins, l’usage de notre langue. [3] Si ce cas devait échoir, vouloir instaurer l’inclusivité n’aurait plus aucun sens, car le français étant considéré comme une langue de second ordre, les inclusivistes de tout poil seraient conviés à s’inclure, pour le coup, dans la langue anglaise, sous peine d’exclusion professionnelle et sociale.
Il faut dire que cette gauche de la petite-bourgeoise intellectuelle, wokiste et inclusive, se soucie comme de sa première culotte, de ces enjeux. Cette gauche-là ne fait plus d’analyse de classes. Elle confirme son éloignement des couches populaires, laissées en déshérence et proie facile pour le RN qui aura beau jeu de défendre les « vrais Français », les Français dits de souche et se servira des langues régionales à des fins politiques sur fond ethnolinguistique.
Que cette petite-bourgeoisie intellectuelle aille faire une virée au Québec afin qu’elle se rende compte de ce qu’est cette bataille linguistique là-bas et des enjeux de classe qu’elle comporte, face au business world des entreprises canadiennes, bien capitalistes et uniquement anglophones. La démission, la soumission des « élites » françaises au tout-anglais est bien partagée par une partie de cette gauche française. Cela s’appelle la trahison et participe du recul de cet humanisme que voulait promouvoir l’esprit des Lumières. Lesdites élites sont les premières fossoyeuses collaborationnistes de notre patrimoine linguistico-culturel (mais aussi du reste) certes français, mais aussi italien, allemand, espagnol, grec, portugais etc.
Un réel mouvement progressiste et émancipateur ne saurait faire l’impasse sur les enjeux linguistiques qui participent d’enjeux anthropologiques donc politiques, car la langue est un objet éminemment politique.
Gilles Ringenbach
Docteur en sociologie
Messages
1. Ancien directeur d’hopital public, 4 mars, 18:09, par Toulouse
Entièrement d’accord avec Gilles Ringenbach ! La liquidation programmée des langues nationales et leur transformation en patois locaux, avec le globish en tant que "langue européenne"(alors que l’Angleterre s’est retirée de "l’UE"...), fait partie de ce projet de "fédération européenne" que Macron veut nous imposer.
La défense de notre langue est un impératif catégorique ! ce qui ne nous empèche pas de préconiser l’enseignement des langues étrangères dés l’école primaire ! jmichel Toulouse
2. Défendons la langue française, 10 mars, 14:42, par PLAQUET Eric
Bonjour, merci monsieur de me donner du grain à moudre.
La défense de la langue Française est un combat de chaque instant, mais un combat enrichissant tant notre vocabulaire est fourni.
Il y a maintenant 3-4 ans qu’un heureux hasard m’a permis de développer une stratégie cohérente ; étant marié à une femme Brésilienne, elle m’a procurée une grande joie, elle au Brésil et moi en France avec un "bon final de semana", que je me suis empressé de reprendre à mon compte. Certes, il faut de l’insistance mais cela fini par fonctionner.
Au travail, avec mes amis, même si c’est dur pour eux, tous comprennent ma démarche et c’est avec un grand plaisir que je m’entends souhaiter une "bonne fin de semaine".
Ainsi, dès le plus jeune âge, pourquoi ne pas commencer par le plus simple, avec une bonne fin de semaine ?, c’est plus joli et on peut lui donner beaucoup d’intonations.
D’ailleurs, le simple fait de me le souhaiter à l’ Anglaise me questionne sur la sincérité de mon interlocuteur, et en fonction, soit j’ignore, soit je lui réponds en Français.
C’est aussi logique que ce soient les étrangers installés en France qui sont le plus à même de corriger cette incohérence de notre langage courant.
P.S. si quelqu’un pouvait m’éclairer à propos de l’histoire de cette (première) grande déchéance de la langue Française ?
Eric PLAQUET, Breton d’adoption, Brésilien de cœur, Français, citoyen du monde.