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Défendre les humanités

lundi 30 mars 2009, par Denis COLLIN

Depuis plusieurs semaines l’université est secouée par une agitation qui se poursuit de « temps fort » en « temps fort », avec une mobilisation inégale selon les secteurs et dont les points d’accrochage sont le décret concernant les enseignants-chercheurs, la réforme de la formation des professeurs des écoles et du second degré, avec la disparition des IUFM et l’introduction de mastères d’enseignement, mais aussi une remise en cause de la « LRU », une des premières lois du quinquennat Sarkozy, qui avait pourtant reçu un appui (plus ou moins critique) des présidents d’Université, des professeurs du supérieur et même de certains syndicats étudiants, y compris l’UNEF dirigée par les socialistes. Des facs bloquées, la Sorbonne sous garde policière… Des cursus chaotiques et des étudiants qui s’inquiètent pour un avenir que la crise annonce particulièrement sombre. Voilà le tableau.

Nous avons déjà eu l’occasion de nous exprimer sur les réformes en cause . Il est cependant nécessaire de voir les choses d’un peu plus loin et de penser à long terme. Ce qui est en cause, ce n’est pas une réforme, des statuts particuliers ni même (chose grave) l’emploi futur de dizaines de milliers d’étudiants. Ce qui est en cause, ce sont tout simplement les « humanités », c’est-à-dire une certaine idée de la civilisation. Dans une vidéo qui circule sur internet, Jean Salem, professeur de philosophie à Paris I, savant érudit autant en philosophie ancienne qu’en moderne, dénonce ce rétrécissement continu affectant les études qui s’occupent du passé, et en particulier depuis la mise ne œuvre de la LMD, c’est-à-dire la réforme des cursus universitaires adoptée, Jack Lang étant ministre, pour mettre l’université française en conformité avec les normes de l’Union Européenne. Les langues anciennes (le latin et le grec) sont de plus en plus réduites à la portion congrue au fur et à mesure que leur disparition est organisée hypocritement mais méthodiquement dans les collèges et dans les lycées. La philosophie et la littérature classique disparaissent progressivement des universités : découragés par les réductions drastiques des postes mis aux concours de l’enseignement, les étudiants se dirigent vers d’autres voies... Avec la mastérisation des concours, la recherche universitaire en histoire sera directement touchée – pendant que, côté lycée, les programmes, petit à petit, sont instrumentalisés à des fins politiques (voir la réforme des programmes de terminale qui sont presque entièrement occupés par l’Europe et la mondialisation).

Bref, la « professionnalisation » bat son plein. Que l’on puisse chercher à savoir pour savoir et que la société paye pour avoir permettre à des érudits qui n’ont pas d’autre objectif pratique que de transmettre à ceux qui naîtront après nous l’héritage culturel de notre passé, voilà qui est en train de devenir inaudible. Les mauvaises plaisanteries du président de la république sur La princesse de Clèves, ou ses déclarations de campagne selon lesquelles la nation n’avait pas à payer des études de latin ou de grec, sont évidemment calculées. Elles s’inscrivent dans une offensive idéologique qui vient de loin et qui est en train de tout emporter. Les classes dominantes font leur le mot d’ordre de l’Internationale, « du passé, faisons table rase ! ». En 1968, des écervelés maoïstes (ou d’autres groupuscules) voulaient détruire l’université bourgeoise pour en faire une « base rouge ». Les classes dominantes d’aujourd’hui (qui incluent bon nombre des « chefs » maos des années 60-70) mettent en pratique la première partie de ce programme. Les althussériens faisaient de l’humanisme leur cible théorique : ils sont servis, ce sont ses soubassements qui minés par une pensée scientiste technocratique qui réduit l’usage de la raison à la raison instrumentale.

Évidemment les adeptes de la nouvelle « révolution culturelle » prétendent parler au nom de l’avenir, de la modernité, de l’ultra-modernité ou de la post-modernité ! Ils oublient ou font semblant d’oublier que la modernité, celle qui naît à la Renaissance a commencé comme un retour vers le passé, pour restaurer la splendeur de la culture grecque et latine. Ils oublient que l’humanisme de Rabelais est inséparable de la remise à l’honneur de Platon.

Dans ce chaos culturel et moral, la gauche ne le cède en rien à la droite et, au demeurant leurs réformes sont interchangeables ; la réforme Darcos des lycées semble n’être qu’un prolongement de la réforme Allègre (et d’ailleurs on parle d’Allègre pour succéder à Darcos …). Les uns et les autres dénoncent les « archaïques », les « conservateurs », les uns et les autres idolâtrent le mouvement et le « progrès ». Mais si on veut concevoir et lutter pour un monde meilleur, il faut commencer par sauver le monde de la barbarie du capitalisme absolu. Car s’il n’y a plus de monde, il ne pourra pas être meilleur ! Banalité que ne peuvent comprendre ni les sociaux-démocrates aux ordres des « marchés » ni les dévots d’un gauchisme condamné à répéter les mêmes ritournelles.

Si on veut faire du nouveau, sortir du marasme dans lequel la « gauche » sous toutes ses formes emprisonne le peuple, il faut assumer résolument ce conservatisme-là. Être conservateur pour défendre une tradition culturelle, sans opposer la culture savante et la culture populaire, car la destruction de la culture savante s’accompagne de la destruction de la culture populaire authentique. Être conservateur donc pour défendre l’humanisme et ce qui va avec, les humanités classiques. Et donc aussi défendre certaines valeurs morales qui en constituent l’arrière-plan, une certaine décence, une certaine conception de la civilité et un certain usage de la langue. C’est seulement à ce prix qu’une alternative sérieuse au capitalisme pourra émerger.

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