Accueil > Débats > Mais qu’est ce que la CFDT ? …

Mais qu’est ce que la CFDT ? …

… Ou la véritable nature de la béquille du système.

vendredi 31 janvier 2020, par Jacques COTTA

Le mouvement social sur les retraites qui s’oppose à Emmanuel Macron et son gouvernement depuis plus de six semaines met en exergue le rôle et la fonction de la CFDT. Certains voient dans la centrale de Laurent Berger un concentré de trahisons individuelles qui expliqueraient une stratégie récurrente dans chaque conflit social : chevaucher le mouvement dans un premier temps, chercher des points de détails sur lesquels négocier, et enfin mettre tout son poids dans la balance pour faire fléchir la mobilisation et jouer la béquille du gouvernement ou du patronat contre la volonté des salariés et ouvriers en grève. Cette vision purement policière occulte l’essentiel, la nature réelle de la CFDT. Par ses gênes, cette centrale qui pour les besoins de la cause gouvernementale porte le nom de syndicat, n’est en réalité qu’une organisation patronale et pro-gouvernementale opposée à la classe des ouvriers et salariés. C’est dans l’origine même de cette organisation, dans sa doctrine, dans ses textes fondateurs que l’on peut, si on s’en donne la peine, trouver la véritable nature de cette organisation, dont le patron n’est autre que le président de la Confédération européenne des syndicats, bras armé de l’union européenne dans le monde syndical, chargé de promouvoir l’ensemble des réformes que rejettent les peuples, dont celle sur les retraites. Evidemment il ne s’agit pas d’amalgamer les simples syndiqués à leur direction. Mais comme il serait de salubrité publique que les adhérents à cette organisation patronale lui portent un coup fatal, il est important et urgent d’éclairer sur sa véritable nature et sa fonction. J’avais traité dans le détail cette question dans mon livre « Hollande l’imposteur » paru en 2014. Mis à part quelques noms qui ne sont plus d’usage, je n’ai rien à retirer du contenu que je développais alors. J’en redonne ci dessous quelques extraits, mettant à disposition pour tous ceux qui me le demanderont, dans la mesure du stock encore disponible, l’ouvrage dans son ensemble.

A l’époque où j’écrivais ces lignes, le prédécesseur de Laurent Berger se nommait François Chérèque. Dans une réunion dans laquelle j’avais pu m’introduire alors qu’on m’avait indiqué que ma présence n’était pas souhaitée (une raison supplémentaire pour trouver un stratagème me permettant de franchir l’interdit), il faisait l’apologie des mesures gouvernementales et patronales et distillait ses conseils.

Extraits issus de « Hollande, l’imposteur », édition Balland - Février 2014.

(…) « les réformes de la recherche, des régimes sociaux, des retraites, de l’assurance maladie, de la santé, des hôpitaux n’ont pas été accomplies » assénait le leader de la CFDT. (…) « La protection sociale sera le gros morceau. Il faut finir le travail sur les retraites après ce qui a été commencé sur les régimes spéciaux, aborder la question du contrat de travail, enfin la sous-traitance dossier difficile »

(…) De la mobilisation des retraites à la confection de l’ANI, dans chaque période de conflit social, au moins depuis les années 90, la question de savoir les raisons pour lesquels ce syndicat est amené à rompre le front syndical et à casser l’unité des salariés est régulièrement posée. Les plus simplistes veulent y voir la preuve d’une trahison de quelques chefs à la botte du système, du pouvoir, du MEDEF. Evidemment cette vision manichéenne et policière de l’histoire ne répond pas à la question. (…) C’est dans la CFDT elle-même, ce qu’elle est, ses relations au pouvoir, son histoire, qu’il faut chercher pour tenter d’y voir clair et pour comprendre le rôle que tient aujourd’hui la CFDT (…) Dans les années 70, le socialisme français tel qu’il se reconstruit est très marqué par la présence des chrétiens sociaux issus de la mouvance cédétiste. Les responsables de la CFDT occupent déjà le terrain. L’homme en vogue se nomme déjà Chérèque, mais il s’agit de Jacques, le père de François. Acteur du passage de la CFTC à la CFDT dont il fut aussi permanent et secrétaire général adjoint, il traverse 1968 puis l’occupation de « Lip » qui met l’autogestion à l’ordre du jour, et adhère au parti socialiste après les assises du socialisme organisées par Michel Rocard en octobre 1974 dans la même période que jacques Delors. Sous le second gouvernement Rocard de 1988 à 1991, il est promu ministre délégué à l’aménagement du territoire et à la reconversion industrielle. Durant cette période éclatent de grands conflits sociaux, dans la sidérurgie notamment. La Lorraine, particulièrement frappée est la région de Chérèque père. « Il faut retirer les hauts fourneaux de la tête des sidérurgistes lorrains » assène alors l’ancien syndicaliste- préfet- ministre. Il accepte et accompagne la restructuration de la sidérurgie lorraine et les plans sociaux soldés par des milliers de suppressions d’emplois. Il prône le « réalisme », vante les « solutions de remplacement » et appelle « les ouvriers qui ne veulent pas crever » au sens des réalités.

Ainsi, au fil des années, la CFDT s’est révélée être un éclaireur parfait (…) Les déclarations de ses secrétaires généraux ont dans les faits valeur d’annonce (…) L’état major CFDT-PTT rédige la loi Quilès qui ouvrira la voie à la privatisation du téléphone. Le plan Juppé des retraites soutenu par Nicole Notat en 1995 contre des millions de manifestants et de grévistes ? Elle ne fait que dire tout haut ce que les responsables socialistes pensent alors en silence et qu’ils confirmeront deux ans plus tard au pouvoir. L’ANI dernièrement et l’accord avec le Medef ? Au point de départ de l’élaboration du texte, il y a la CFDT qui se retrouve au point d’arrivée à la demande du gouvernement socialiste pour le « valider ».

La CFDT concentre la conception générale que le PS a de la « politique sociale » : la gestion des pauvres et des exclus en lieu et place de l’émancipation des travailleurs. Les exemples abondent. L’apparition des restos du cœur sous la gauche indique bien la substitution de la charité privée à la place de l’égalité et du droit au travail. Comme la création d’aides et d’allocations –le RSA par exemple sous Martin Hirsch- assistance d’appoint, en lieu et place d’un salaire lié à un vrai travail. L’entreprise n’est plus le lieu de création de richesses où des intérêts conflictuels s’affrontent, capital d’un côté et travail de l’autre, mais un lieu, une communauté où peuvent être partagées des valeurs purement morales. Ce nouveau discours qui s’éloigne de l’esprit de revendication nous ramène au discours du patronat paternaliste et chrétien. Il vise entre autre à éviter que le système explose sous le coup des injustices et des inégalités qu’il produit, à éviter que saute le couvercle de la « cocotte minute » sociale.

La position singulière de la CFDT dans le syndicalisme français, ses relations au parti socialiste tourné vers la recherche d’une « troisième voie » à la sauce SPD allemand ou New Labour anglais n’ont rien de bien original (…) La question a toujours traversé le mouvement ouvrier français et international. L’antagonisme entre le catholicisme social et le socialisme a toujours marqué l’histoire sociale, le premier étant voué à ré évangéliser des milieux ouvriers, se posant en adversaire du second jugé « athée, destructeur des valeurs chrétiennes ». Dés 1920, la CFTC, ancêtre de la CFDT affirme qu’état et syndicats sont complémentaires. Là où le syndicalisme ouvrier défend son indépendance à l’égard de tout état et de tout gouvernement, le syndicalisme chrétien prône la participation et la complémentarité.

Débat d’histoire ? Pas vraiment à l’aune de l’actualité récente. Cette remise en perspective permet de comprendre que les positions parfois incompréhensibles de la CFDT pour le plus grand nombre des salariés qui aspirent à l’unité pour leurs revendications ne dépendent pas de tel ou tel responsable, mais sont génétiquement liées à l’organisation elle-même.

Quel rapport entre le syndicalisme chrétien et le syndicalisme ouvrier ?
Le premier veut corriger les effets néfastes du capitalisme. Il s’agit de l’aménager. Le pauvre n’a pas de manteau, qu’importent les causes de son dénuement. C’est sa pauvreté qui nous intéresse et qu’il faut soulager…
Le second recherche les causes du mal pour l’obtention des revendications. Le capitalisme ? Il faut donc l’affronter et non l’aménager, s’attaquer aux rapports sociaux qui concentrent les inégalités.

Le premier se veut porteur de l’intérêt général et à ce titre s’autorise la cogestion avec les politiques. Ceux-ci l’ont bien compris. Lorsque les députés socialistes félicitent la méthode qui a présidé à l’ANI, ils s’adressent aux syndicats en général qu’ils aimeraient voir à l’image de la CFDT, transformés en organisateurs et gestionnaires de la vie sociale et à ce titre en élaborateurs et rédacteurs d’une loi qui remet en cause le droit du travail et les acquis sociaux gagnés de longues luttes.

Le second se considère responsable des mandats et des revendications des travailleurs, et à ce titre préserve son indépendance vis-à-vis de tous les pouvoirs.

Le premier considère selon l’encyclique que « le travail de l’un et le capital de l’autre doivent s’associer entre eux puisque l’un ne peut rien sans le concours de l’autre » lorsque le second estime que « le travail des uns réalisent le capital des autres ». (…)

Sur chaque question, la CFDT fait valoir de timides avancées sectorielles –réelles ou fantasmées- pour accepter et promouvoir un recul généralisé. Les discours justifiant l’accord avec le MEDEF sur l’ANI sont illustratifs. N’est-ce pas parce que la loi prévoit par exemple « des droits rechargeables pour les chômeurs », c’est-à-dire la possibilité de garder des droits à l’assurance chômage non utilisés sous certaines conditions, qu’il faut accepter une régression sur la flexibilité, les licenciements, les garanties collectives et individuelles, le blocage des salaires, l’allongement du temps de travail, les mutations d’office ? Et n’est-ce pas avec un argument jumeau –ne pas être rangé dans le camp de la Grèce ou de l’Espagne en crise, bref « éviter le pire »- que sur le plan politique le gouvernement joue une musique qui n’a pas grand-chose à envier sur le fond au flamenco espagnol ou au sirtaki grec ?

Si la CFDT a eu des rapports privilégiés avec tous les gouvernements, c’est aujourd’hui avec le parti socialiste que les liens semblent les mieux établis, jusque dans le fonctionnement même des institutions. Ainsi, les responsables de la CFDT rencontrent une fois leur mandat terminé une oreille attentive des pouvoirs politiques et économiques porteurs du système. Les responsables nationaux d’abord.

Après avoir quitté ses fonctions à la tête de la CFDT, François Chèréque a été nommé inspecteur général des affaires sociales. Il est également (…)
Avant François Chèréque, c’est Nicole Notat qui dirigeait la CFDT. Nicole Notat célèbre pour le soutien qu’elle a apporté au plan Juppé en 1995 a aussi connu derrière sa responsabilité syndicale une carrière fulgurante.(…)

Laurent Berger, demeure dans la continuité (…)

Les responsables nationaux de la CFDT sont l’arbre qui cache la forêt. Jusqu’à récemment en effet, la question était posée de savoir qui se trouvait à la tête des organisations syndicales. La CGT et le parti communiste, quels liens au lendemain de la chute du mur de Berlin, de l’effondrement de l’Union soviétique ? Force Ouvrière, les socialistes et les trotskystes, historiquement opposés au stalinisme et à la subordination du syndicat à quelque parti politique, « intégriste » de l’indépendance vis-à-vis des pouvoir et des partis, quelle réalité aujourd’hui ? Et la CFDT, quelles relations avec le PS et la deuxième gauche à sa tête ? Mais aujourd’hui ces questions sont déplacées, au moins pour la CFDT. La question n’est pas de savoir si une aile du parti socialiste en a pris la direction, mais bien de savoir si la CFDT elle-même n’a pas pénétré les sphères du pouvoir au point d’y insuffler sa vision, et son orientation.

(…)

La liste est longue, aussi je ne retracerai ici que quelques parcours significatifs, sans être trop exhaustif mais avec la précision suffisante (…)

Jacques Cotta, le 31 janvier 2020

Messages

  • Des observations très justes dans le propos qui précède, j’en remercie l’auteur.
    Je voudrais faire une remarque : c’est bien parce qu’elle a été fondée par une encyclique du pape que la CFDT porte la doctrine sociale de l’église. ( L’image du manteau est très pertinente) Or, le bras armé de l’église catholique qu’est l’OPUS DEI est le principal pourvoyeur de dirigeants de cette organisation, et semble-t-il compte également parmi ses membres mamie MACRON. Fonctionnant selon le principe de subsidiarité et non sur le schéma fédéraliste de la CGT ou de FO, les militants CFDT ne sont donc aucunement gênés par les comportements de collaborateurs de leurs dirigeants.

  • Trop occupé le 31 janvier je n’avais que survolé l’article de Jacques COTTA mais je m’étais promis de le relire avec attention. L’analyse me convient en grande partie pour ce qui concerne les dernières décennies mais de mon point de vue, l’histoire de cette organisation est plus complexe.

    Si l’on reprend la métaphore génétique je dirais qu’il y a eu une première mutation qui a lentement débuté à la libération pour aboutir à la déconfessionnalisation au début des années soixante, puis une seconde mutation entamée au début des années 70 avec Edmond Maire et la deuxième « gauche » qui a abouti à la CFDT actuelle.

    Lorsqu’en 1963 j’ai adhéré à l’organisation qui était encore la CFTC après avoir mûrement réfléchi, c’était évidemment parce que dans l’entreprise ou je travaillais (près de 3000 salariés dont 90 % d’ouvrières) c’était le seul syndicat présent. Nouvel embauché c’est à une manifestation contre la guerre du Vietnam que j’ai rencontré quelques collègues, responsables de la section syndicale, que j’avais jusqu’alors seulement aperçus à la cantine. Rapidement je me suis aussi rendu compte que cette section syndicale était très active notamment pour obtenir une amélioration des conditions de travail des OS travaillant à la chaîne. Les militantes et militants étaient en moyenne assez jeunes et j’étais frappé par la conscience de classe dont beaucoup faisait preuve. Une part étaient membres de la JOC ou de l’Action Catholique ouvrière - les ouvrières qui habitaient souvent les campagnes de la périphérie avaient en fait plutôt fréquenté la JAC – mais d’autres n’avaient pas du tout ces références. Je constatais d’ailleurs que dans d’autres entreprises des militants issus de ces organisations avaient plutôt fais le choix de la CGT.

    Pendant la période ou j’ai été adhérent de la CFDT , j’ai fait la connaissance de militants et de responsables dans l’agglomération grenobloise. Les plus anciens avaient souvent été actifs dans la résistance et m’ont permis de découvrir le programme du CNR auquel ils étaient très attachés. Eux aussi avaient une forte conscience de classe. Beaucoup avaient soutenu Pierre Mendès-France quant il mit fin à la guerre d’Indochine mais aussi pour les positions qu’il avait prises, en 1957, lorsqu’il avait rejeté le traité de Rome. Les mêmes, mais aussi d’autres un peu plus jeunes, s’étaient fortement engagés pour protéger des Algériens pendant la guerre à peine terminée à l’époque. Dans de nombreuses entreprises de l’agglomération l’unité d’action était généralement une réalité.
    Ainsi pour moi comme pour la quasi totalité des adhérents la déconfessionnalisation et le changement de sigle, début 1964, allait absolument de soi.

    Dans les années qui ont suivi sous la responsabilité d’Eugène Descamps comme Secrétaire général et de Georges Levard puis d’André Jeanson comme Présidents la CFDT a abandonné les références aux encycliques papales, placé son action dans le cadre de la lutte des classes et prôné l’unité d’action. Elle a développé un projet revendicatif et social résumé par le triptyque « Nationalisation, Planification, Autogestion » Les Nationalisation étaient dans le programme du CNR, la planification démocratique avait déjà été adoptée quelques années plutôt et l’autogestion qui apparaissait alors affirmait que ce projet était radicalement anticapitaliste. Aux yeux de certains militants qui avaient lu Jaurès ce projet devait conduire à des réformes révolutionnaires.

    Élu délégué du personnel puis désigné délégué syndical, j’ai suivi plusieurs stages de formation qu’organisaient alors la CFDT. A coté d’éléments de législation sociale et de pratiques pour conduire des actions, une partie « théorique » portait sur le projet mais aussi sur la découverte de Marx. Ces formations d’un bon niveau étaient données par des marxistes professeurs à l’université de Grenoble.

    La seconde mutation a vraisemblablement commencée avec l’accession d’Edmond Maire au Secrétariat général, en 1971. Je n’ai pas noté la date mais je me souviens d’avoir été pour le moins étonné par certains de ses propos qui à mon sens contredisaient les engagements pris au cours des années précédentes. Je n’ai pas compris immédiatement que dans le sillage de la « deuxième gauche », de Rocard, de certains médias, de quelques intellectuels et de la Confédération Européenne des syndicats la CFDT était en voie de faire allégeance au projet européiste. A partir du milieu des années 70 j’ai pris des engagements qui ne permettaient plus de m’investir à quelque niveau que ce soit dans l’appareil de la CFDT. Toutefois, en 1991, devant me rendre à Bruxelles j’ai cherché à rencontrer un ancien camarade de la CFDT qui était devenu permanent de la CES. Nos retrouvailles n’ont pas été sereines car j’ai vite compris que la CES était devenu une propagandiste attitrée de la commission européenne et la CFDT son relais dans notre pays. Je essayé de lui expliquer que déjà l’acte unique mais aussi ce que l’on savait de ce qu’allait contenir le traité de Maastricht était complètement contraire à ce pourquoi nous avions milité vingt ans plutôt. Peine m’en a pris car je n’ai pu que constater qu’il était totalement converti à la religion européiste.

    J’ai alors pris conscience que dans la France déchristianisée la CFDT ne se référait plus à la religion catholique et aux encycliques mais à celle de l’européisme.

    Un historien des organisations syndicales, accédant à de nombreuses archives, expliquera peut être un jour les raisons profondes de cette seconde mutation. Bureaucratisation de l’appareil, nominations ciblées de permanents à divers niveaux de l’organisation ? Propagande idéologique d’intellectuels de la « deuxième gauche » et des médias ? Implantation privilégiée dans certains secteurs d’activités ou géographiques ?

    Je serais fort intéressé si un tel travail était entrepris et aboutissait.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.