Accueil > Débats > Constituante : tout changer pour que rien ne change ? Le cas du (...)

Constituante : tout changer pour que rien ne change ? Le cas du Chili

vendredi 6 août 2021, par Raymond Maillard

Le début du mois de juillet a vu l’installation au Chili d’une Convention constitutionnelle (CC), appellation locale d’une assemblée constituante. Il s’agit d’un évènement de grande portée, non seulement pour ce pays mais dans bien d’autres endroits du monde (dont l’Algérie, le Maroc ou la France) dans lesquels cette revendication est reprise par des secteurs sociaux significatifs. Au Chili, la convocation d’une Convention constitutionnelle a été la réponse des partis aux manifestations quasi-insurrectionnelles qui ont secoué le pays à l’automne 2019, culminant avec un rassemblement de plus d’un million de personnes le 25 novembre. Sachant que le Chili n’a que 18 millions d’habitants, ce chiffre montre l’ampleur extraordinaire de la mobilisation. Cette révolte contre le président de droite Sébastian Pinera a été réprimée de manière particulièrement brutale, avec plusieurs dizaines de morts, 23 officiellement. Entre la mi-octobre et la mi-novembre, près de 18 000 manifestants ont été poursuivis en justice. C’est l’augmentation du prix des tickets de métro qui a été l’étincelle mettant le feu aux poudres, s’étendant rapidement à une remise en cause de l’incurie de l’Etat dans des domaines comme l’instruction publique, l’accès aux soins ou la prise en charge des retraités. Outre la démission du président Sebastian Pinera, une fraction significative des manifestants réclamaient également une assemblée constituante.

Mais les espoirs révolutionnaires mis dans cette option ont trouvé rapidement leurs limites. Car, toutes proportions gardées, la classe dominante a choisi la même option qu’au Pérou en 1977, en prenant elle-même l’initiative d’un accord avec la « gauche » pour convoquer la constituante et faire du retour aux urnes le moyen de sauver les meubles. Il est vrai que la question institutionnelle revêt au Chili une importance fondamentale, non pas tant pour ce qui concerne l’organisation du pouvoir que la question sociale. En effet, la constitution actuelle, mise en place en 1980 a une dimension ultra-libérale affirmée, en instituant le rôle de l’Etat comme subsidiaire à celui du marché. Dès lors, non seulement tout est privatisé mais il s’avère légalement impossible de promouvoir des politiques redistributrices ou tendant à développer les services publics.

Mais la question est de savoir comment on règle les problèmes institutionnels, quand on le fait, et surtout pourquoi faire. Une assemblée constituante souveraine convoquée par les secteurs en lutte aurait pu être un levier pour que les couches exploitées se portent candidates au pouvoir à leur compte. Ou un renversement du régime aurait pu être le préalable à la convocation d’élections pour définir de nouvelles institutions. Avec dans un cas comme dans l’autre un sérieux risque d’expropriation de secteurs significatifs du capital, dans un contexte de stagnation économique et de surendettement massif de la population. Nous ne spéculerons pas ici sur les chances de réussite de l’une ou l’autre de ces options dans le contexte donné. Ce qui est certain par contre c’est que la révolte populaire de l’automne 2019 a donné suffisamment de sueurs froides aux possédants pour qu’ils tentent une manœuvre à grande échelle, en proposant eux-mêmes la convocation d’une constituante « à froid » et dans des délais assez longs pour laisser le soufflé révolutionnaire retomber. Et, bon an mal an, les partisans les plus endurcis de la domination bourgeoise se sont laissé convaincre qu’il fallait lâcher du lest pour ne pas tout perdre, quitte à autoriser une mise entre parenthèse du néo-libéralisme échevelé hérité du régime de Pinochet.
Ainsi, le ministre de l’intérieur Gonzalo Blumel, a exprimé son soulagement et sa satisfaction de l’issue trouvée par les partis de gauche comme de droite : « cet accord constitue un premier pas, mais c’est un premier pas historique et fondamental pour commencer à construire notre nouveau pacte social dans lequel la citoyenneté va tenir un rôle prépondérant ».

Les résultats ont quand même réservé quelques surprises, avec le recul spectaculaire de tous les partis traditionnels et l’élection de très nombreux indépendants, qui représentent 40 % des élus à la constituante. Parmi eux on trouve une forte minorité réputée ”populiste” voire d’extrême-gauche regroupée dans la Liste du Peuple. Mais au-delà des étiquettes les ambitions de la Liste du Peuple demeurent modestes : « un État environnemental, égalitaire et participatif », la fin du système de retraites par capitalisation, le rejet du traité d’intégration économique transpacifique et la "fin de l’exploitation de l’environnement". Aucune trace par contre de la demande que les institutions nouvelles placent structurellement les travailleurs au centre du processus décisionnaire.

Il est vrai que parmi les 155 élus à la constituante, seule une vingtaine sont réputés avoir participé au mouvement populaire de 2019. Elle n’en est donc pas l’expression électorale, mais déjà une réfraction très déformée et amoindrie. Les indépendants montrent également leurs limites en ne situant cette indépendance que par rapport aux partis pré-existants et non par rapport au système socio-économique, n’hésitant pas à prononcer des exclusives contre les militants ouvriers organisés.

La presse s’est extasiée devant le fait qu’Elisa Loncon, la présidente élue de l’assemblée constituante soit une indienne Mapuche, une des 17 personnes ayant été élues par un collège spécifiquement dédié aux peuples autochtones. Mais Mme Loncon est également une universitaire ayant fait une partie de ses études à l’étranger. Et son discours favorable à l’accès des minorités aux droits sociaux n’est pas exempt d’ambiguïtés, comme en témoignent ses références à la “Terre-mère” aux résonnances potentiellement hostiles au progrès. Si Elisa Loncon s’est ouvertement opposée à la répression policière des manifestations ouvrières tentant de faire pression sur la constituante, son horizon se borne à un Chili « pluriel, participatif et démocratique ».

Finalement, les piliers de l’ordre capitaliste ont résisté. Et l’hypothèse probable du retour de la gauche au pouvoir n’effraie pas les tenants de l’ordre établi. Elle le fera au prix de quelques revirements sur des questions symboliques mais secondaires, comme la libération des prisonniers politiques, alors même que des députés du Frente Amplio, une de ses grandes formations, avaient voté la loi « anti-manifestations ». Ensuite elle pourra tenter de déployer quelques amortisseurs sociaux, dans le cadre de nouvelles institutions le permettant désormais. Pour peu que le marché mondial l’autorise, bien sûr.

Raymond Maillard

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.