Parler d’immigration est en passe de devenir impossible. À peine ouvre-t-on la bouche, toute l’armée des bien-pensants de gauche se mobilise et organise la chasse au méchant. Il est vrai qu’il ne faut pas accorder d’importance aux « petits blancs craintifs et haineux » (comme dit un sociologue-sic) et désormais les vraies classes populaires sont plurielles, intersectionnelles, et qu’on y trouve des immigrés et des militants de la mouvance Traoré, sans parler de tous les autres participants de la prétendue « intersectionnalité », dans cette gauche « créolisée » dont rêve Mélenchon, cette gauche « arc-en-ciel », pour qui le rouge est seulement celui de la semelle des chaussures Louboutin de Mme Traoré.
Sans nourrir d’espoir excessif sur le fait que je pourrais être entendu des membres de ce magma en décomposition qui s’appelle encore la gauche, je voudrais revenir sur quelques principes et quelques définitions.
Internationalisme
Comme le mot l’indique, l’internationalisme ne s’oppose nullement aux nations. Les décérébrés de la nouvelle gauche fuchsia liquéfiée peuvent le croire, car, en bons représentants de la gauche du capital, ils sont favorables à l’écrasement des nations et à un mondialisme sans frontières, nécessaire au capital dont le mouvement vise à éliminer toutes les bornes à son développement.
L’internationalisme, celui de l’Association Internationale des travailleurs, affirme (1) que les prolétaires de tous les pays doivent s’unir pour renverser le mode de production capitaliste et (2) qu’un peuple qui en opprime un autre ne saurait être libre. Donc l’internationalisme concrètement s’oppose à la guerre, à toutes les formes d’impérialisme et à tout ce qui empêche les peuples de devenir les maîtres de leur destin. Voilà pourquoi, lors de sa première réunion en 1864, l’Association internationale des travailleurs se prononça pour l’indépendance de la Pologne et de l’Irlande. Voilà aussi pourquoi on trouvait en son sein des partisans de l’unité italienne comme Mazzini et ses amis. Pour la « gauche Netflix », tout cela, c’est une vieille histoire, d’avant les « boomers », c’est tout dire !
Puisque le mot « internationalisme » suppose l’existence de nations, il ne peut vouloir dire qu’une chose : association pacifique de nations libres. C’est très exactement le contraire du mondialisme capitaliste, bien que M. Negri et ses amis aient jadis vitupéré « cette merde d’État-nation » tout en prétendant rénover le « communisme ». Le capital milite activement pour le « dépassement des nations » sous la conduite « éclairée » de la nation impérialiste numéro 1, les États-Unis d’Amérique. Des zones de « gouvernance » comme l’Union européenne, entièrement dévouée aux intérêts du capital « multinational », de cette « classe capitaliste transnationale » dont la résidence principale est New York, voilà ce qui est résolument moderne et que la gauche fuchsia approuve pleinement, pour peu que cette nouvelle gouvernance intègre une louche de LGBTQN+, de « wokisme » et de « racisés ».
Défendre l’internationalisme aujourd’hui, c’est défendre les droits des nations, le droit de vivre démocratiquement, c’est-à-dire d’être « maîtres chez soi ». La gauche chic, la gauche CSP++ se croit internationaliste parce qu’elle fait du tourisme et contribue ainsi au rabotage de toute diversité, pour soumettre le monde entier à sa domination culturelle, celle du « globish » et des dernières lubies nées à Paris ou dans les universités américaines.
Entre la gauche telle qu’elle existe maintenant et l’internationalisme authentique, il y a plus qu’un fossé, un abîme : le conflit de classe qui oppose les travailleurs salariés ou indépendants, les « gens ordinaires » pour parler comme Guilluy, et l’aile marchante du capital multinational et « high tech ».
Immigration et internationalisme
Le salariat est la concurrence que les ouvriers se font entre eux pour vendre leur force de travail au possesseur de capital. Très tôt, Marx développe cette thèse essentielle. C’est pourquoi d’ailleurs le mouvement syndical en imposant des horaires fixes et des salaires conventionnels abolit (partiellement) le salariat ! Et c’est aussi pourquoi le capital doit entretenir cette concurrence, rôle qui est dévolu à « l’armée industrielle de réserve ». Dans l’entretien de cette armée industrielle de réserve, l’immigration joue un rôle fondamental. Avec son optimisme foncier, Marx pensait que la lutte de classes aurait tôt fait d’avoir raison des antagonismes qui naissent fatalement entre travailleurs nationaux et travailleurs immigrés.
Les capitalistes adorent l’immigration. Elle permet de faire pression sur les salaires, de diviser la classe ouvrière et d’organiser une gestion mondialisée de la main-d’œuvre. Ainsi, profitant de la crise syrienne, les capitalistes allemands, derrière Mme Merkel qui pour l’occasion servit la soupe chrétienne humaniste, organisèrent-ils l’afflux d’un million d’immigrés en Allemagne, pays où la pénurie relative de forces de travail prêtes à être exploitées est une menace permanente. L’agriculture de cueillette en Italie du Sud, en Espagne et partiellement en France vit de l’immigration plus ou moins clandestine. La France, plus éloignée que ses concurrentes, des sources d’approvisionnement en esclaves a vu ainsi son commerce extérieur agricole se dégrader fortement dans le secteur des fruits et légumes.
Les adorateurs de l’immigration ont un mot d’ordre : l’immigration est une chance pour la France. C’est exact : c’est une chance pour la France capitaliste, mais une malchance pour la France des ouvriers, des travailleurs des villes et des campagnes. Ajoutons que c’est aussi une malchance pour les pays exportateurs de forces de travail. Le départ vers l’Europe ou les États-Unis demande beaucoup d’argent qui alimente les réseaux de passeurs (un des secteurs mafieux les plus florissants), alors que cet argent aurait pu être bien mieux employé sur place. En outre, ceux qui partent sont d’abord les jeunes les mieux éduqués et les plus habiles. Autrement l’immigration est un complément indispensable à l’exploitation et à l’appauvrissement des pays pauvres au profit des riches.
Il faudrait donc arrêter l’immigration ou ne l’autoriser qu’avec l’accord explicite des organisations de travailleurs. Évidemment, il n’en est pas question tant que les capitalistes tiennent les manettes du pouvoir politique et tant qu’ils reçoivent sur ce plan le soutien chaleureux de la gauche fuchsia.
On nous dira : il faut seulement exiger que les travailleurs immigrés soient embauchés dans les mêmes conditions que les travailleurs locaux. C’est une mauvaise blague qui fait l’impasse sur l’immigration clandestine qu’un patron peut embaucher à demi salaire pour un horaire à rallonges. C’est faire l’impasse sur le fait que beaucoup d’immigrés sont prêts à travailler pour des salaires de misère que refusent les travailleurs nationaux. Et puis franchement, pourquoi un hôpital public ou privé se priverait d’embaucher comme aide-soignant ou comme infirmier un médecin diplômé, arrivé d’un pays où ses compétences auraient pourtant été très précieuses ?
Quand la droite et l’extrême droite s’en prennent à l’immigration, c’est un miroir aux alouettes. Ils veulent fragiliser la situation des immigrés pour les rendre plus malléables et capter le mécontentement populaire au sujet de l’immigration, ni plus ni moins. On devrait au contraire mener un combat résolu contre l’immigration clandestine et proposer aux immigrés légaux un contrat sécurité sur le long terme, visant, s’ils souhaitent rester, à l’assimilation dans notre pays (notamment avec l’apprentissage de la langue française et un engagement à respecter les principes et les mœurs de notre pays).
Le racisme de gauche
Longtemps, le racisme fut une caractéristique de la droite. On oublie qu’il y eut pourtant un racisme de gauche (l’antisémitisme était vigoureux dans les milieux proudhoniens) et que toute une partie de la gauche éclairée était favorable à l’eugénisme. Tout cela fort heureusement a fini par être réglé ou presque. L’école de l’internationalisme prolétarien a répandu l’idée que les hommes sont partout les mêmes et que seuls doivent être condamnés les systèmes socio-économiques, les rapports de propriété et les formes de gouvernement oppressif.
Aujourd’hui cependant apparaît une nouvelle forme de racisme. Mais ce nouveau racisme a pris naissance à l’extrême gauche. Il consiste à affirmer que les « Blancs » (surtout ceux du genre masculin) sont les responsables de tous les maux qui ont affligé la planète depuis plusieurs millénaires. En fait, ces nouveaux courants racistes reprennent purement et simplement la logorrhée nazie mais au lieu de la réserver aux Juifs (qui, cependant, ne sont pas épargnés !), ils l’adressent à tous ceux qui sont classés comme « Blancs », sauf les « Blancs » qui auraient la chance d’être devenus musulmans et ne font donc plus partie des « Blancs », puisque l’adoption de la foi islamique lave celui qui s’y adonne de tout péché. Ainsi les « Blancs » sont réputés être les inventeurs de la traite négrière et si vous objectez que les Arabes l’ont pratiquée plus longtemps et sans doute à plus grande échelle, c’est simplement la preuve que vous n’êtes qu’un sale Blanc raciste qui veut perpétuer sa domination… On ne sait pas trop quoi répondre à cette étonnante folie qui a envahi les campus universitaires anglo-saxons d’abord pour se répandre dans le reste du monde. Ces gens disposent de relais médiatiques considérables (Mme R. Diallo est ainsi journaliste et professeur aux États-Unis tout en parcourant les salles de rédaction française) et ils sont appuyés par des entreprises capitalistes et non des moindres. La « haute couture » (un secteur qui concerne les « damnés de la Terre ») s’est assuré les services de Mme Traoré. Benetton s’est lancé dans le « hijab » pour tous. Les chaînes de radio et de télévision publique leur sont entièrement dévouées.
Il ne serait pas difficile de trouver sous les revendications les plus aberrantes, la revendication des couches intellectuelles de demi-instruits qui veulent occuper la place des anciens intellectuels. Pas de lutte de classes, mais la lutte des places pour savoir qui servira le mieux le capital. Ce nouveau racisme vient compléter l’offensive en faveur de l’immigration. Il s’agit, indépendamment des motivations des participants (mais la bêtise n’est pas un argument) de mener l’offensive pour casser définitivement les reins de la classe ouvrière dans les pays capitalistes avancés. En désignant l’ouvrier blanc comme son ennemi, Mme Houria Bouteldjah, égérie des « indigènes de la république » a indiqué sans la moindre ambiguïté la nature de classe de son mouvement, un mouvement anti-ouvrier fascisant, ayant vocation à rassembler le lumpenprolétariat dans la lutte contre les travailleurs.
Intersectionnalité
Selon ses initiateurs, l’intersectionnalité doit rassembler toutes les « luttes » (puisque c’est ainsi que ces gens ont rebaptisé leurs pitreries) contre toutes les « dominations ». L’origine lointaine de cette idée est la théorie de la Ligue communiste révolutionnaire du début des années 1970 qui se proposait de rassembler tous les mouvements des avant-gardes larges à caractère de masse (homosexuels, féministes, anti-impérialistes, etc.). Ce n’est donc pas un hasard si le NPA, formation générée issue de la LCR est un des champions de l’intersectionnalité.
On admettra parfaitement qu’il soit utile de rassembler des revendications diverses contre un ennemi commun — pour constituer ce que Gramsci appelait un « bloc historique » fondé sur l’alliance des différentes catégories de travailleurs. Mais les intersectionnels n’ont pas du tout cela en vue. Ils mettent sur le même plan la domination du maître sur son chien et celle du capitaliste sur les ouvriers. Conformément à l’idéologie inventée par Michel Foucault, il faut s’attaquer à toutes les micro-dominations et non en rester à la lutte contre le pouvoir unique (celui du capital) qui ne serait qu’un fantôme. Voyons un peu ce qu’est intersectionnalité : un ouvrier lutte contre son capitaliste, mais, manque de chance, ce capitaliste est une femme (pire, ce pourrait être une femme noire lesbienne) et alors l’intersectionnel devra prendre parti pour la lutte de la riche lesbienne noire contre ce sale ouvrier « petit blanc haineux ». On peut multiplier les exemples de cette absurde intersectionnalité. Les syndicalistes qui se heurtaient à Bergé et Yves Saint-Laurent étaient-ils des homophobes ? En vertu des thèses sur la « domination » que partagent tous les intersectionnels, ce devrait être le cas. Il est vrai que les hommes dirigeants usent couramment de leurs pouvoirs sur les femmes qu’ils salarient. Mais ça ne marche que dans ce sens-là. Les ouvriers mâles savent bien qu’ils n’ont pas intérêt à passer la main aux fesses de leur patronne…
Cette histoire d’intersectionnalité est le point suprême de la décomposition intellectuelle de la gauche. Tous les paresseux, les têtes creuses incapables de faire un vrai travail sociologique, psychologique, philosophique ou historique, se sont lancés dans ces nouvelles « études » et, curieusement, l’État bourgeois qu’ils vilipendent pourtant copieusement leur offre des bourses d’études, des postes de MCF, etc. Les commanditaires capitalistes, les vrais dominants, y trouvent leur compte.
Aucune concession ne saurait être faite à ces diverses formes de la haine petite-bourgeoise contre les travailleurs. Je ne suis pas convaincu que la dictature du prolétariat soit une formule bien judicieuse, mais la dictature du bobotariat (pour une formule de Jean-Pierre Garnier) est totalement insupportable. Plus que jamais, il est nécessaire de revenir aux principes anciens du mouvement ouvrier.
Denis Collin
PS : j’ai commencé la genèse historique de la cette nouvelle petite-bourgeoisie dans le numéro 1 de la revue Socialisme pour les temps nouveaux, dans un article intitulé « Les métamorphoses de la petite bourgeoisie radicalisée. »